… Back in Black Sabbath
Après le Summer of Love de 1967 qui avait ensoleillé la jeunesse de San Francisco, un esprit libertaire hippie envahit l’Europe à la fin des années soixante, le Flower Power allait réveiller enfin les jeunes européens et en particulier les anglais.
Ce mouvement pacifiste s’élevait contre la guerre du Vietnam « Love Not War ». Les Etats-Unis avaient les Doors, Jefferson Airplane, The Grateful Dead, Jimi Hendrix et Janis Joplin. Tous en train de tester des cocktails de substances toutes plus hallucinatoires les unes que les autres dans des débordements sexuels qui auraient fait passer les dépassements d’un ancien illustre personnage politique pour un bisou sur le nez dans une famille versaillaise.
C’était psychédélique, libertaire, onirique… on contestait sur une musique planante… Peace & Love. Pendant ce temps là en Angleterre, un jeune groupe loin de toutes ces considérations du nom de Earth répétait ces titres dans une cave afin de préparer leur tournée des petits clubs et discothèques de la Perfide Albion. Au sein de ce groupe se trouvait 4 musiciens : Ozzy Osbourne, Tony Iommi, Geezer Butler et et Bill Ward.
Après cette tournée, Ils sont prêts à partir en Allemagne jouer au Star Club d’Hambourg là même où les Beatles avaient débuté. Ils y rencontrent un succès d’estime en découvrant pour la première fois le sacro saint triptyque « Sex, Drugs & Rock ‘n Roll ».
Après un aller retour en Angleterre, sur le Ferry qui les ramène sur le continent entre Douvre et Dunkerque ils décident d’abandonner ce nom qu’ils trouvaient éloigné de leur univers musical. Ça tombait bien, Geezer Butler vennait d’écrire un nouveau titre intitulé « Black Sabbath »… Le titre est tiré d’un film d’épouvante italien de série B réalisé en 1963 s’appelant I tre volti della paura (Les trois Visages) avec Boris Karloff et Michel Mercier et qui sortait en Angleterre plusieurs années après sous le nom de Black Sabbath. Constatant l’engouement du public à se faire peur ils décidèrent d’en adopter le nom ! C’est vrai que Butler était déjà intéressé par l’occultisme et le satanisme. Il était littéralement fasciné par l’ésotérisme et la magie noire.
Après avoir joué le 1er Octobre 1969 au Poke Hole de Lichfield tous les morceaux que l’on retrouve sur leur premier opus, le groupe rentre au Trident Studio de Denmark Street à Londres pour enregistrer pendant 48 Heures sur un Quatre pistes leur premier album et ce pour un montant de 600 Livres Sterling sans même avoir un contrat de distribution !
Leur manager de l’époque Jim Simpson décroche dans la foulé un contrat avec Philips qui venait de créer un label spécialisé dans les nouvelles musiques progressives : Vertigo Records. Il fut signé en janvier 1970 avec une distribution réalisé par Phonogram, qui dans un geste de largesse leur accorda une avance de 50 Livres Sterling !!!…qu’Ozzy dépensa dans une paire de chaussure, des pintes de bière et de l’Eau de Cologne.
Le marketing de la maison de disque décide de sortir l’album le Vendredi 13 Février 1970. La pochette est somptueuse et donne une image à l’ambiance que l’on est en droit d’attendre à l’écoute de Black Sabbath. On aperçoit une femme habillée de noir ressemblant à une sorcière tenant dans ses bras un chat noir. Elle se tient devant un arbre, à côté d’un lac devant un grand manoir médiéval anglais. Dans des teintes sépia, le cliché a été réalisé devant le Moulin de Mapledurham, dans le Berkshire à côté de Reading dans le sud de l’Angleterre. C’est donc la fille du poème ésotérique « Still Falls The Rain » que l’on retrouve à l’intérieur de l’album…
« The long black night begins, yet still
By the lake a young girl waits.
Unseeing she believes herself unseen, she smiles faintly
At the distant tolling bell, and the still falling rain. »
(La longue nuit noire commence, bien qu'encore.
Près du lac une fille jeune attend.
Ne voyant pas, elle-même croit ne pas être vue, elle sourit vaguement.
A la cloche qui sonne au loin, et à la pluie qui tombe encore.)
Dans la première version de l’album, la pochette était double et permettait lorsqu’on l’ouvrait en grand d’apprécier le paysage dans toute sa longueur.
A l’intérieur, on découvre un grand encadré noir représentant le fameux poème ainsi qu’une croix renversée, symbole du satanisme. Le travail de la maison de disque avait ainsi collé un côté maléfique au groupe qui lui ne se sentait pas vraiment concerné par cette imagerie. Vertigo avait ainsi créé un concept occulte autour du nom d’un groupe qui allait devenir « Ô culte ! »
Pour l’époque l’album est obscur et ténébreux. On y retrouve des classiques du groupe qui sont devenus incontournables sur scène par la suite.
Le titre éponyme « Black Sabbath » est monumental et restera un morceau culte pour toujours. C’est pesant, angoissant. C’est basé sur un rythme très lent (les bases du Doom), agrémenté d’un simple accord de trois notes de guitare diaboliquement lourd. C’est une progression harmonique avec le triton (sol-do#). Au Moyen Âge le triton était associé au Diable car le sentiment qui s’en dégage à son écoute est effrayant, oppressant et malsain.
La chanson parle de la rencontre d’une personne avec le Diable lors d’un sabbat de sorcières. Nous sommes écrasés par un tel rythme, ahuris par la voix d’Ozzy pleurante, c’est lugubre, les notes des cloches en fond sonore accentuent cette impression d’abandon.
C’est hypnotique et tels des disciples on poursuit notre chemin vers notre Maître… jusqu’au moment ou Ozzy hurle « Oh no no, please God help me ». La basse tremble et compresse l’air, plombe l’ambiance et nous redonne un rythme plus enlevé. C’est puissant, épique, le solo de Iommi arrive et nous montre la maîtrise du musicien. Le solo est torturé, d’une beauté époustouflante.
Dire que le guitariste après avoir quitté l’école à 15 ans afin se consacrer à la guitare faisait des petits boulots à gauche à droite, principalement dans une usine où il découpait des plaques de métal. Un jour, 2 de ses phalanges furent sectionnées par la machine. Son employeur démuni par la tristesse de Iommi lui parla pour le réconforter de Django Reinhard (guitariste légendaire de Jazz) qui avait lui aussi 2 doigts en moins. Mais Tony ne voulant pas changer son jeu en devenant droitier, remplace les cordes de sa Gibson SG par des cordes plus fines et plus légères d’un bandjo. Pour plaquer ses accords de la main droite et sentir les frettes, il s’était fabriqué avec des morceaux de cuir des bouts de doigts. Son style inimitable est du à ce « mal(heureux) » accident.
« The Wizard » bien sûr où Ozzy nous montre sa maîtrise de l’harmonica. Quelle intro ! « N.IB. » et son « Oh Yeah » en intro, indémodable. Contrairement à l’idée reçue, le titre n’est pas l’acronyme de Nativity In Black mais, selon une interview de Tony Iommi une référence à la barbichette du batteur Bill Ward qui était taillée comme un pen-nib (la pointe d'un stylo à plume) !
« Behind the Wall of Sleep » avec son rythme lent, et l’échange entre voix et guitare ,nous promène dans un monde ésotérique. La basse nous plombe dans un groove bluesy inquiétant. Le solo est long, puissant et entrainant (écoutez-le avec des écouteurs pour encore plus apprécier le travail de Butler : phénoménal).
« Sleeping Village » reprend des accords, des phrasés typés Black Sabbath avec un son de guimbarde à la sauce Morricone en intro. Un morceau sous estimé. « Warning » et « Evil Woman » sont des reprises de standards blues. « The Wizard » et « Wicked World » sont quand à eux des morceaux plus longs et moins bien structurés et font plus penser à de l’improvisation ancrée dans le blues dont le solo de guitare devient indigeste à la longue et ce malgré des passages intéressant où des riffs apparaissent par ci- par là. Ça déteint du reste. Il est dit que Iommi n’a eu le droit qu’à 2 prises pour enregistrer…
Le fameux journaliste musical Lester Bangs du magazine Rolling Stone qualifia ainsi l’album : « Improvisations dissonantes aux guitares effroyablement rapides qui envahissent tout le périmètre musical sans jamais pourtant être synchronisées avec le reste. »… Le provocateur adepte des drogues et de l’alcool fut renvoyé du magazine en 1973 pour « manque de respect envers les musiciens ».
Au fait, comme on est dans les albums de légendes, il est dit que lorsque la photo fut prise, la femme en noir n’était pas là et qu’elle n’apparut que lors du développement de la photo…
Lionel / Born 666