Jeff Waters, leader d’Annihilator

"On aime mettre les fans mettre en difficulté"
 

A l'occasion de la sortie de Suicide Society, Jeff Waters, éternel leader du groupe de thrash canadien Annihilator, s'est entretenu une nouvelle fois avec La Grosse Radio. Toujours d'aussi bonne humeur, le musicien parle en détail des chansons du nouvel album, mais aussi du départ du chanteur Dave Padden, sans tenter de minimiser les difficultés que peut rencontrer un groupe.

Bonjour Jeff et merci de nous donner cette interview. Comment te sens-tu avant la sortie de Suicide Society ?

Je n'ai pas une minute à moi ! Quand j'étais plus jeune, je pensais que les groupes attendaient patiemment la sortie d'un album en se reposant, mais pour moi, je reviens à peine des festivals d'été et je commence déjà à préparer notre tournée de deux mois en Europe avec tout plein de matos et de nouveaux effets de lumière. Je m'occupe aussi des clips qui vont sortir et de plein d'autres trucs qui vont arriver… En fait, les seuls moments où je me souviens que j'ai un album qui va sortir, c'est quand je donne des interviews à des journalistes ! [rires]

Parlant de festivals, on a vu que le concert à Alcatraz a été annulé après deux chansons. Que s'est-il passé ?

C'est un des meilleurs festivals que j'ai vu, on n'y avait jamais joué et il a fallu qu'on quitte la scène après deux chansons, c'était une accumulation de choses qui n'allaient pas. J'en ai parlé à Phillip, le propriétaire du festival, et on en rit encore. Tout à commencé à notre arrivée. Après 12 heures de routes, nous arrivons à l'aéroport de Bruxelles et un gros van devait nous prendre, nous et notre matériel et c'est un petit van à passagers qui vient nous chercher. Une heure et demie avant le concert, nous étions assis sur le trottoir, attendant de pouvoir contacter les organisateurs pour qu'ils nous envoient une autre navette, parce que nos techniciens étaient partis en premier. Moins d'une heure avant le concert, on change les piles de nos accordeurs. Il se trouve que quand tu changes les piles, ils reviennent à la configuration d'usine. Vu la précipitation, on n'a rien pu vérifier. Du coup, nous avions tous un accordage différent ! Quand nous avons commencé à jouer, j'ai vu que quelque chose n'allait pas, mais je n'ai pas tout de suite compris quoi et après la première chanson, je me suis rendu compte qu'on était tous désaccordés ! [rires] On a essayé de régler ça, mais tout est allé de travers en coulisses. Du coup, je me suis dit que je ne pouvais pas continuer comme ça, sachant que des fans nous attendaient. Du coup, nous avons pris quelques minutes pour recalibrer les accordeurs. Une de mes guitares a ses têtes qui se bloquent, il faut tout dévisser pour la réaccorder. Une guitare en moins. Entre ça et un tas d'autres problèmes liés à l'accordage, nous nous sommes rendus compte que nous ne pouvions pas continuer comme ça. Je me suis mis en colère et j'ai jeté un accordeur contre notre backdrop. Death DTA, qui jouait avant nous, avait déjà joué 20 minutes de trop, et il s'est trouvé que le stage manager est venu nous voir pour nous dire qu'on devait enlever quelques unes de nos chansons. C'était un tel désastre que j'ai dit, on ne peut pas remonter sur scène et dire : voici Annihilator. C'est la première fois que ça nous arrivait et c'était le dernier festival de notre tournée. C'était la pire façon de la finir ! Nous avons parlé aux organisateurs et nous sommes mis d'accord sur le fait que ce n'était la faute de personne, juste un mauvais concours de circonstances. Il y a des chances pour que nous revenions l'année prochaine pour nous rattraper.

Annihilator

Venons-en maintenant à l'album Suicide Society. D'où vient le titre ?

Il vient d'une des neuf chansons du disque. Souvent, quand j'ai fini un album, je regarde les titres des chansons pour savoir lequel correspondrait le mieux au disque. Et Suicide Society colle bien ! Ce n'est pas un concept pour l'album, cela s'arrête à la chanson. Cela correspond à tout le mal et l'aspect immoral de ce que les êtres humains se font et font à l'environnement. C'est plus une vision réaliste qu'une vision pessimiste de ce qu'on fait. La pochette a suivi, l'idée est que les humains sont un genre d'expérience mise en place par un dieu ou autre chose qui nous a mis là pour voir ce qui se passerait. Et j'aime l'idée d'un genre de terminator, une créature mécanique qui nous détruit pour tout recommencer parce que nous avons échoué l'expérience. J'aime ce genre d'histoires de science-fiction.

Qu'en est-il des autres paroles ?

C'est une observation de ce qu'il se passe autour de moi ou dans le monde, des choses de la vie, des trucs que je vois aux infos qui me marquent, que ce soit positif ou négatif. La dernière chanson du disque, "Every Minute", qui fait figure de chanson hard rock, fait référence à un documentaire que j'ai vu sur une fille qui était en train de mourir du cancer, qui dit de vivre chaque minute comme si c'était la dernière. On entend toujours ça, mais quand tu vois ça dans un documentaire, ce n'est plus un simple cliché, tu comprends pourquoi. La chanson "Break, Enter" me ramène à l'époque du thrash de la bay area, quand Metallica, Megadeth, Exodus et le reste émergeaient. Cette chanson parle de cambrioleurs que j'ai attrapé en train de s'introduire chez moi il y a des années. J'en ai attrapé trois et poursuivi deux autres, je les ai rattrapés et maintenus au sol jusqu'à ce que la police arrive. Il y a des thèmes différents, sur les addictions, comme "Narcotic Avenue". Cette chanson est aussi inspirée par mes groupes de thrash préférés des années 80.

Parlant de thrash des années 80, la chanson My Revenge m'a rappelé "Damage Inc." de Metallica.

Exactement, elle est inspirée par "Battery" et "Damage Inc.", tout ce thrash de l'époque Master of Puppets. Quand je l'ai écrite, il était évident que j'allais dans cette direction. Normalement, je m'arrête et je me dis que ça ressemble trop à un autre groupe. Mais là, je me suis dit que si tu écris une chanson qui n'est pas un plagiat, mais qui est très inspirée d'un de tes groupes préférés à sa meilleure période, où est le problème à être inspiré par un riff de cette époque en 2015 ? C'est un moyen de passer le message et de rappeler aux gens ce qu'est la meilleure époque de la musique pour moi. Ce ne sera jamais aussi lourd que Pantera ou aussi brutalement thrash que Metallica, mais ça peut s'en rapprocher. C'est pour ça que j'ai continué dans cette direction quand j'ai écrit cette chanson. C'est ce que j'écoutais à 17 ans et c'est un moyen de leur rendre hommage. L'ironie veut que les paroles traitent d'un petit nombre de journalistes metal qui n'en sont pas et qui ne font que dire des choses cruelles. Cela arrive à des amis qui sont dans des groupes, où ils lisent qu'ils devraient mourir, ou qu'ils sont indignes d'être parents dans des chroniques de leurs albums. Ma revanche ("My Revenge") est de continuer avec mon groupe malgré cela.

A côté de ce thrash classique, on a "Snap", une chanson assez inhabituelle pour Annihilator.

C'est peut-être la chanson la plus facile à jouer à la guitare que je n'ai jamais écrite pour mon groupe. J'ai voulu écrire une chanson qui a une ligne de chant très mélodique, un côté inquiétant dans les couplets et développer un côté ambiant dans le pré-refrain. Pour cela, j'ai écrit trois riffs différents, et je les ai assemblés. Ensuite, pour l'intro, j'ai fait un très léger clin d'oeil à Rammstein. Et le groove de la chanson est basé sur la simplicité entre la basse, la batterie et la guitare. J'ai voulu essayer quelque chose de différent et voir ce que ça ferait. On a fait un clip pour celle-ci, qui sortira pendant la tournée, qui risque de choquer tous ces fans de thrash. C'est bien pour moi de pouvoir faire du thrash old school et un genre de heavy metal mélodique. Plein de gens attendent du thrash de notre part, du coup, on aime les mettre en difficulté ! [rires] On peut se faire des ennemis parmi les fans en changeant de style, mais je pense qu'on est toujours dans le circuit parce qu'on a su être diversifié.

Annihilator

Parmi les changements, cet album est aussi le premier depuis 12 ans sans Dave Padden. Parle-nous de son départ.

En décembre 2014, je lui ai envoyé un mail pour lui dire que l'album était écrit et que les démos étaient prêtes, je lui en ai envoyé pour qu'il puisse se préparer à enregistrer le chant à mon studio. Il m'a répondu que ça l'avait travaillé depuis un moment, mais qu'il ne voulait plus continuer. Après ça, je suis resté sous le choc pendant une semaine, parce qu'il mon frère dans le metal pendant 12 ans ! Il m'a dit qu'il n'en pouvait plus de voyager, mais je ne pense pas que c'est la seule raison. Je lui ai demandé si c'était moi, la musique, la direction qu'on prenait avec le groupe, l'argent… Il m'a dit que ce n'était rien de tout ça, donc je pense qu'il y a quelque chose de vraiment personnel derrière, un problème de santé ou autre chose, mais il ne m'a pas dit. Mais je dois respecter le fait qu'il n'était plus content de son activité et que ça n'avait rien à voir avec Annihilator ou moi. Je lui souhaite le meilleur et on se parle toujours. Quand je suis en tournée, il m'envoie des images marrantes qu'il trouve sur internet. [rires] J'ai cherché un autre chanteur pendant quelques semaines mais ça ne marchait pas. Un chanteur que je respecte énormément et qui ferait un super boulot dans Annihilator serait Stu Block, le chanteur d'Iced Earth. Son cri est impressionnant, on ne l'entend pas beaucoup dans Iced Earth, mais si tu écoutes son autre groupe, Into Eternity, tu vois à quel point il a du talent en tant que chanteur. Je n'ai pas pu l'atteindre, vu qu'il est déjà pris. Si ça se trouve, peut-être qu'il ne voudrait même pas venir ! Du coup, je me suis dit tant pis, je vais le faire, je chante déjà sur trois albums d'Annihilator. Comme je savais que je ne pouvais pas enregistrer comme ça, j'ai pris des cours de chant pendant trois mois et j'ai relevé le défi. C'est facile pour moi de faire un album et une tournée ensuite, mais ce n'est pas du tout facile d'enregistrer le chant et ensuite de le faire en même temps que la guitare en tournée. Il y a dix fois plus de travail et c'est normal, ce n'est pas une chose aisée.

Penses-tu continuer à assurer le chant sur tes prochains albums ?

A ce point de notre carrière, on ne sait pas quand on va s'arrêter, peut-être trois ou quatre albums, mais pas beaucoup après ça en tout cas. Judas Priest ou Rolling Stones y arrivent, mais je ne pense pas arriver à faire correctement ce que je fais actuellement quand j'aurai 60 ans ! On ne sait jamais, après tout, j'ai passé ma vie à faire ça. Mais j'aime chanter, donc il y a des chances que je continue. Après, si Stu Block ou Rob Halford m'appelle, je prends ! [rires]

Du coup, est-ce que le fait que tu chantes oriente la setlist pour la tournée à venir ?

Oui, parce Dave Padden, Aaron Randal et Joe Comeau faisaient des choses que je ne serais jamais capable de faire, ils chantent trop haut pour moi et ont une meilleure technique. Il y a certaines chansons d'eux que je peux faire, mais pas la majorité. La première chose que j'ai faite a été de regarder les chansons de Suicide Society et des trois autres disques sur lesquels je chante et prendre celles que je voulais chanter. Puis, j'ai pris les chansons que je suis obligé de faire : "Alison Hell", "Set the World on Fire" et "King of the Kill". Et ensuite, je n'avais que 50 chansons à choisir sur 165. C'est l'avantage d'avoir un répertoire conséquent et une carrière longue

Annihilator

Peux-tu nous dire quelle est la chose la plus importante que tu as apprise au cours de ta carrière ?

Arrête de boire et ne prends pas de drogue ! Ca paraît cliché, mais de nos jours, le monde de la musique est très différent d'avant. Maintenant, il y a de moins d'argent et les labels font moins d'avance, c'est très dur pour un groupe de sortir un disque et encore plus d'en tirer un quelconque bénéfice pour continuer. Il faut apprendre à faire plusieurs métiers. J'ai 49 ans, donc j'ai vu comment ça se passait. A l'époque où j'ai enregistré Never, Neverland (1990), tu pouvais engager un ingénieur pour le studio et régler les machines, un producteur, quelqu'un pour mixer l'album, quelqu'un pour le masteriser, ça pouvait coûter jusqu'à 80 000 dollars. Ensuite, il fallait payer le studio, on monte à 200 000… Aujourd'hui, ce n'est plus possible, il faut que tu apprennes à te servir de tous ces appareils et parfois même jouer plusieurs instruments, même si tu n'es pas si bon, pour être capable de faire des démos, même être capable de programmer une boîte à rythmes. Du coup, si tu passes ton temps à faire la fête, boire et te défoncer, tu perds ton temps à le faire au lieu d'apprendre ces métiers et aussi à survivre dans ce business, il ne faut pas non plus négliger cette partie-là. Tu perds une soirée à t'éclater et le lendemain, tu es loin d'être d'attaque ! [rires] En plus, si tu deviens accroc, tu as de gros problème. Ce n'est plus l'époque où un manager te servait de baby-sitter, ou même un assistant personnel qui te contrôle pour que tu ne sois pas trop naze en tournée à force de sortir. Cela n'existe plus, donc tu dois te débrouiller tout seul pour être capable d'affronter ce monde. 

Photos : © 2014 Nidhal Marzouk
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.



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