Ihsahn au Fall of Summer 2015


" Il n'y a que la création qui m'importe. "
 


C'est avec un Ihsahn souriant et visiblement de très bonne humeur que nous avons pu nous entretenir brièvement lors de la deuxième édition du Fall of Summer. Nous en avons profité pour parler du temps qui passe, mais aussi de son album à venir... Et de black metal, bien sûr.

Bonjour Ihsahn et merci beaucoup de nous accorder cet entretien.

Ha, cette interview a interrompu ma conversation avec Tom Warrior... [Rires] ce qui était un immense plaisir pour moi, mais allons-y !

Tu t'apprêtes à sortir ton sixième album solo, et tu as maintenant sorti plus d'albums seul qu'avec Emperor. Est-ce que cela a une signification particulière pour toi ?

Pas vraiment. Après, je suppose qu'il m'est venu à l'esprit à un moment ou à un autre que j'avais commencé ma carrière solo depuis si longtemps ! D'ailleurs quelqu'un m'a rappelé un fait indébiable  : je n'y avais pas pensé parce que, dans ma tête, je ne fais pas cela depuis si longtemps ! Donc, quelqu'un m'a rappelé que le 2 août dernier était le dixième anniversaire de la sortie de The Adversary, mon premier album solo. Du coup je me sens plutôt vieux ! [Rires] Et l'année dernière, nous fêtions les 20 ans de In The Nightside Eclipse... Le temps passe vite !

Par rapport au nouvel album, tu as déclaré dans la presse qu'il était un peu plus simple.

Hum, " simple " est sans doute un terme un peu exagéré. Mais je vois ce que tu veux dire. En fait, l'album précédent Das Seelenbrechen est un disque complètement fou, qui part très loin. Il est très inspiré par... Tu connais Diamanda Galás ?

Oui, grâce à toi d'ailleurs !

Parfait ! J'ai été très inspiré par ce genre de musique improvisée. Je peux d'ailleurs aussi nommer Scott Walkerparmis ces influences. Vois-tu, depuis mes débuts, j'ai toujours été du genre à garder le contrôle sur tout. Particulièrement du fait que je travaille beaucoup en studio, toujours à surveiller mon accordage et à anticiper tout. Donc faire de la musique improvisée, pour moi, c'était du saut en parachute musical. C'était vraiment effrayant d'arrêter de tout contrôler, en un sens. Mais d'un autre côté, même si cet album n'est pas du black metal traditionnel, je crois qu'avec Das Seelenbrechen, j'ai renoué avec l'état d'esprit que j'avais lorsque nous avons fait In The Nightside Eclipse. A l'époque, je n'avais aucune expérience, je n'avais aucun contrôle sur ce que je faisais... J'avais juste cette idée,très instinctive de comment je voulais que ça sonne. Donc pour moi, ces deux albums ont été fait dans le même état d'esprit. Ceci dit, j'ai pris cette impulsion de contrepied, car c'est au moment où j'ai composé Das Seelenbrechen que j'ai aussi décidé que l'album d'après aurait une approche très différente. Pour être plus précis, je pense que le nouvel album se concentre sur les caractéristiques de la musique que j'écoutais dans ma jeunesse : des riffs puissants et reconnaissables, des parties vraiment accrocheuses avec des refrains épiques, et aussi un élément rythmique conducteur.
 

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Est-ce que tu considères qu'aujourd'hui, le satanisme influence toujours ton travail de composition ?

[Il hésite] Cela dépend ce que tu entends... par satanisme.  Toute l'idée derrière cela est qu'il est impossible de pointer du doigt quelque chose de précis, comme le satanisme ou l'occulte, et dire que c'est cela qui t'influence. En ce qui me concerne, je pense que c'est avant tout lié à une rébellion, et pas juste être sataniste ou quelque chose du genre. Ce que je vais te dire va peut être te paraître métaphysique, mais pour moi, depuis que j'ai commencé à composer de la musique, il y a toujours eu cette...  Source de créativité. C'est quelque chose à l'intérieur de toi, mais reste à une certaine distance et que tu essayes d'atteindre. Et chaque album, chaque chanson est une tentative de se connecter à cette source. C'est une constante pour moi. Le décor et mon expérience changent mais cette force conductrice est restée la même.

Avec la chanson "Pulse" sur Das Seelenbrechen, tu t'ouvres de nouveaux horizons, notamment vers la musique électronique, un peu à la Ulver. Est-ce que tu as pensé faire un album complet dans cette veine ?

Non, non ! [Rires] Je veux juste incorporer ces éléments au tout. Il y a beaucoup de choses de ce type sur le nouvel album, mais qui ne sont pas présentées de la même manière. Depuis des années je fais beaucoup d'arrangements orchestraux, avec des cordes et tout ce qui va avec... Mais pour le nouvel album, je me suis beaucoup intéressé aux synthétiseurs analogiques. Je bidouille des filtres, etc... 

Sur Eremita, il y a cette chanson instrumentale qui s'appelle "Grief". Pour moi, elle sonne vraiment comme une musique de film. Est-ce qu'écrire des B.O pour des films ou des jeux vidéos t'intéresserait ?

Pour ce qui est des films, j'en ai toujours eu envie. D'ailleurs, au commencement d'Emperor, nous étions très inspirés par les musiques de film. C'est d'ailleurs la principale raison pour laquelle nous avons décidé d'apporter ce type de sons à notre musique. Car nous aimions faire quelque chose d'épique, avec beaucoup d'émotions... Donc c'est clairement une envie, mais de nos jours, il faut être vraiment très bon en arrangements orchestraux pour avoir une chance, de sorte qu'il faut probablement ne faire que ça pour arriver à produire quelque chose qui marche. De fait, si j'avais le privilège d'écrire une B.O, je ne ferais probablement pas quelque chose de ce style, j'irais sans doute dans une toute autre direction, car il y a déjà tellement de compositeurs qui sont exceptionnellement bons en arrangements orchestraux... C'est un business très ingrat. Ceci dit, j'ai composé une intro' orchestrale pour le nouvel album de Trivium ! [Rires]

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L'année dernière était donc le vingtième anniversaire de In The Nightside Eclipse. Sur l'édition spéciale du disque ressorti par Candlelight records, il y a une version de l'album avec un mixage alternatif qui date de 1993. Pourrais-tu nous dire ce qui vous a poussé à choisir la version que nous connaissons tous par rapport à ce mixage de 1993 ?

Nous avons terminé l'enregistrement, et ce mixage alternatif est en fait le rendu brut des sessions, sans réelle retouche au mixage. C'était une autre époque, tout a été enregistré sur bande analogue, etc... Donc nous avons fait quelques copies de cette version de l'album pour pouvoir l'écouter chez nous. Nous avons ajouté un peu de reverb, ce genre de choses, mais pas beaucoup plus. Quelque semaines plus tard, nous avons écouté ce premier mix en prenant des notes sur ce que nous voulions changer, et nous avons entièrement remixé l'album. Mais entretemps, comme il y avait toute cette scène underground, nous avions fait circuler des copies du premier mix à nos amis, à  d'autres groupes... De ce fait, cette version de l'album a commencé à circuler dans l'underground, e les personnes qui suivaient déjà le groupe à l'époque ont toujours connu l'existence des deux mixages. Du coup, nous avons pensé que c'était intéressant de ressortir cette version, elle est intéressante. D'ailleurs, ce mix alternatif est par certains aspects plus précis et détaillé que le mixage final. Tu peux y entendre des choses inaudibles sur la version que tout le monde connaît !

Oui, d'ailleurs, je crois que je préfère le mixage alternatif à la version finale.

Oui, ça peut se comprendre.

Est-ce que tu t'intéresses toujours au black metal aujourd'hui ? J'ai récemment interviewé Frost et Vortex, et ils avaient tous les deux le même discours sur le genre, disant qu'ils ne trouvaient rien d'intéressant dans le black metal d'aujourd'hui. Frost parlait même d'une perte de l'esprit pionnier des débuts de ce type de musique.

Je suppose que je suis en partie d'accord. En ce qui me concerne, la musique a toujours été associée à une forme d'euphorie, l'excitation d'entendre quelque chose de nouveau, que tu n'avais jamais entendu auparavant et qui te touche d'une manière inédite. Et ces groupes de black metal dont on ressent fortement les influences, toute cette scène retro qui essaye de refaire les choses comme elles étaient à l'époque… Tout cela n’a aucun intérêt pour moi. Et je suis persuadé que c'est injuste, la plupart de ces groupes sont probablement très bons, bien meilleurs que nous l'avons jamais été ! Mais le fait est que tout cela part du principe de recréer quelque chose qui a déjà été imaginé par tant d’autres auparavant. Donc l’excitation qui allait de paire avec cette nouveauté s'est envolée. Personnellement, je suis bien plus intéressé par d’autres styles de musique qui, je pense, sont plus tourné vers l’avant-garde. Mais être un pionnier musical n’est pas tout, il faut aussi avoir les trippes. L'attitude, l’arrogance de faire quelque chose d’extrême. Prenons James Blake par exemple. Je pense qu’il n’aurait jamais été signé sur un label dans les années 90. Car l’industrie musicale reste comme elle a toujours été, mais Internet ouvre l’arène pour de la musique un peu plus expérimentale. Et c’est la même chose pour la musique plus orientée grand public. As-tu écouté l’album Yeezus de Kanye West ?

Oui.

Cet album est dingue ! Je n’aime pas forcément toutes les chansons… Mais à la rigueur, le fait d’aimer ou pas est un autre sujet.  Je suis juste fasciné par cette arrogance. C’est un artiste on ne peut plus commercial, mais son message est simple : « Allez vous faire foutre ! ». Il a eu envie de faire un album de rap / hip hop commercial sans boîte à rythme classique, et utiliser à la place des sons de basse overdrivée d’un Moog... Et il l’a fait. Point à la ligne. De plus, il y a beaucoup de choses qu’il fait qui ne sont pas très orthodoxes, musicalement parlant. Après, je ne suis pas sûr qu'il ait forcément une solide formation musicale, mais il le fait parce qu’il le veut. D'ailleurs, nous avons agi à peu près de la même façon avec le black metal. Je veux dire : nous ne faisions pas ça pour plaire à qui que ce soit… C’était juste : « On le fait, putain ! Et à notre manière ! ". Ce genre d’attitude devient rare, et c’est bien dommage.

En guise de conclusion, je ne sais pas si tu es au courant, mais ils vont tourner un film sur Lords of Chaos…

Oui, j’en ai entendu parler, mais je n’ai jamais lu ce bouquin. Pour être honnête, ça ne m’intéresse pas du tout. Certaines personnes s’intéressent beaucoup à l'aspect historique des choses, mais ce n’est pas mon cas. Il n’y a que la création qui m’importe, et ça a toujours été ainsi. Le « Qui est qui ? », « Qui a fait quoi ? », « Qui a eu quoi ? », je ne m’y suis jamais intéressé. Désolé ! [rires]

Interview par Tfaaon (Facebook)

Photos : © 2015 Lionel / Born 666
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