Déjà 10 ans d’activité pour Lutece et trois albums à leur actif. Avec From Glory Towards Void, les français passent un nouveau cap et donne beaucoup plus de relief à leur black metal beaucoup plus epic en posant les bases d’un groupe plus mature et sûr de lui. Et c’est Hesgaroth, chanteur et parolier qui nous en parle le mieux.
Lionel/Born666 : On avait fait une interview l’année dernière pendant le Cernunnos où vous jouiez. Tu me disais que l’album devait sortir en mai (2015). Or il sort en janvier 2016. Que s’est-il passé au sein du groupe depuis un an ?
Hesgaroth : C’est vrai l’album a pris un peu de retard. Deux raisons principales à cela, d’abord on a pris du retard sur le visuel ce qui nous a fait repousser à juin, puis Hod Imensul et Ask ont quitté le groupe. On a donc décidé de ne pas se presser et de reconstituer un line up pour être en mesure d’assurer les concerts dès la sortie de l’album. Une sorte d’année au vert si tu veux ! On a donc de nouveaux membres dans la Horde, Aslagën et Vaahrn (guitare et basse), avec qui on bosse les morceaux depuis cet été.
Lionel : Peux-tu nous présenter les musiciens que l’on retrouve sur l’album ?
Hesgaroth : Les musiciens sur l’album sont en revanche ceux de l’ancien line up, à savoir Denosdrakhh (musique & guitares), Kraftum (batterie), Hod Imensul (guitares), Ask (basse) et moi au chant. Le départ de Hod Imensul et d’Ask s’est fait après l’enregistrement. Aslagën et Vaahrn sont donc arrivés alors que l’album était déjà finalisé. Ils ont fait un gros boulot pour s’approprier les compos tout en collant à l’esprit de l’enregistrement. Ils sont solides et on a hâte de monter sur scène avec cette nouvelle configuration.
Lionel : Avant d’aborder le contenu, peux-tu nous présenter les visuels qui illustrent From Glory Towards Void ?
Hesgaroth : Le visuel est signé Metastazis qui a fait un super boulot. On ne lui a donné aucune indication de ce qu’on voulait. Il nous a simplement demandé de lui expliquer le concept de l’album et de lui fournir les textes. A partir de là il a fait cavalier seul et est revenu avec un design qui nous a surpris dans un premier temps puis qui s’est avéré évident. Metastazis n’est pas un graphiste qui bosse à la commande, il tient à son univers et a vraiment sa touche. On s’est contenté de l’orienter en lui disant ce que l’on aimait ou pas mais il avait complètement carte blanche. C’est aussi lui qui s’est chargé des photos, cela nous paraissait essentiel pour préserver la cohérence du visuel. Il a réussi à faire transpirer la dimension martiale et cette notion de fin de cycle, de décadence qui colle parfaitement avec le concept de l’album. Nous sommes vraiment très satisfaits de son travail.
Lionel : Vous portez un très grand soin au livret, à une certaine logique visuelle. Est-ce important de nos jours pour un groupe de black metal?
Hesgaroth : C’est vrai qu’on est assez attaché au support physique. Pour nous il ne s’agit pas d’un simple emballage mais bien d’un élément à part entière de l’œuvre. Il doit par conséquent être cohérent et servir un propos ; pas simplement illustrer une musique. De plus c’est aussi une question de respect. Le mec qui achète un CD est en droit de recevoir quelque chose de bien fini, sinon quel est l’intérêt par rapport à un simple MP3 téléchargé ? Donc en effet c’est important pour un groupe de black metal, mais ça devrait aussi l’être pour tous les autres styles.
Lionel : From Glory Towards Void, rien que dans le titre on imagine que les textes (dont tu t’occupes à 100%) sans obligatoirement traiter de faits historiques parlent des « démons » de l’être humain, qui à force de vouloir trop (conquêtes, richesses) se retrouve sur un champ de ruines (l’empire romain, Napoléon…). Ce qu’on retrouve aussi sur les illustrations…
Hesgaroth : En effet cet album ne traite pas de faits historiques mais il ne traite pas non plus des « démons » de l’être humain à mon sens… Le concept de l’album tourne autour de cette notion de fuite en avant de notre monde moderne. Cette apologie d’un soit disant progrès qui à bien des égards se bâti sur des valeurs qu’on considérait autrefois comme médiocre. Une déliquescence de ce nous sommes. C’est vrai qu’on retrouve cette notion de ruines, de chute, de fin de cycle. C’est cette décadence orchestrée que l’album pointe du doigt… Pour reprendre ton analogie avec l’empire romain, je dirais que c’est comme si nous étions à l’époque de Néron, notre monde brule sous les yeux amusés de certains…
Lionel : Peut-on dire que l’homme n’a qu’une envie, c’est l’apocalypse, il crée inconsciemment sa fin du monde ?
Hesgaroth : Comme disait Bossuet, « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes ». Je ne crois pas que l’Homme aspire à l’apocalypse, en revanche je pense qu’il est souvent inconscient quand il est porté par la masse et qu’il manque de vision quant aux conséquences des ses actes.
Lionel : Ce qui marque d’emblée à l’écoute de From Glory Towards Void c’est sa dynamique, sa puissance ? Comment avez-vous passé cette étape du deuxième album ?
Hesgaroth : Très sincèrement je pense que cela vient en partie d’une meilleure qualité des prises d’enregistrement, mais surtout du fait que cette fois-ci c’est un vrai batteur derrière les futs. Le jeu de Kraftum apporte beaucoup à la dynamique de l’album. La composition a aussi son impact, plus de changements de rythme et des passages plus lourds accentuent cette dynamique. On voulait une production plus puissante pour cet album avec en perspective le rendu en live. Nous n’avions pas forcément cette approche avec le précédent opus …Our Ashes Blown Away.
Lionel : Comment se sont passés les mix et le mastering ?
Hesgaroth : Nous sommes repassés par Lasse Lammert (Alestorm, Svartsot, Glory Hammer…) qui s’était déjà occupé du précédent album. Cela fait plus de 4 ans maintenant qu’on échange avec lui (principalement Denosdrakhh) et il connait parfaitement le groupe et ce l’on a en tête. Nous avons tout enregistré en home studio mis à part la batterie qui a été enregistrée au Hybreed Studio par Andrew Guillotin. Nous avons tout envoyé à Lasse pour le mix et mastering. C’est intéressant de travailler de cette façon, car même si nous avons toujours échangé par mails avec Lasse, il n’a pas hésité à nous demander de nouvelles prises pour améliorer le rendu final. Il s’est impliqué de la même façon que si était physiquement dans son studio et c’est aussi pour ça qu’on repasse par lui. On est arrivé au mix final en seulement trois échanges de mails c’est dire si nos visions des choses sont alignées ! Il s’est réellement impliqué et d’une certaine façon il est le sixième membre de Lutece.
Lionel : Quelle est l’impacte des 7 ou 8 cordes des guitares sur les compositions et sur le ressenti sur l’auditeur ?
Hesgaroth : L’utilisation des 7 et 8 cordes apporte plus de lourdeur, une occupation différente des guitares sur le spectre. Par exemple sur From Glory Towards Void on n’a quasiment pas utilisé de clavier pour la simple et bonne raison que les guitares occupaient déjà l’espace et qu’il était donc inutile d’en rajouter une couche. Pour être franc on ne passe pas notre temps sur la 7ème ou la 8ème corde, mais les morceaux sonnent différemment que s’ils étaient joués sur une guitare 6 cordes.
Lionel : Pour un groupe de black metal français, qu’est ce qui est le plus difficile (par ordre décroissant) : 1 - réaliser un album, 2 - se faire connaître, 3 - se faire une place parmi la multitude de groupes pour tourner avec une tête d’affiche connue ou 4 - être bien distribué sur le marché européen ?
Hesgaroth : Question piège… Je dirais :
1 : Etre bien distribué sur le marché européen parce que pour cela il faut d’abord trouver un bon label et qu’il est de plus en plus compliqué de signer un deal avec une maison sérieuse. C’est l’étape fondamentale pour continuer à grandir.
2 : Tourner avec une tête d’affiche connue – mais j’ajouterais aussi de ne pas payer pour ça… En effet tourner avec une grosse tête d’affiche signifie que soit on est dans le roster d’un bookeur sérieux auquel cas ca veut dire que le groupe est déjà assez connu, ça c’est compliqué et pas donné à tout le monde. Soit on est le groupe qui ouvre le plateau avec la tête d’affiche et ça c’est juste une question d’argent… Il faut savoir que les groupes qui ouvrent lors des grosses tournées payent pour faire partie de l’aventure… Même si ce n’est pas proposé à tous les groupes, pas besoin d’avoir une énorme notoriété pour accéder à ce type de plateaux. C’est généralement l’occasion de se faire un nom et d’accéder à des salles et des villes auxquelles on aurait pas accès autrement.
3 : Se faire connaitre – Avec tous les réseaux sociaux et autres players en ligne il est plus simple aujourd’hui de faire sa promo. Encore faut il avoir quelque chose à proposer et ne pas être noyer dans la masse. Pour se faire connaitre il faut aussi jouer en live, c’est souvent aussi là où se fait la différence entre les groupes.
4 : Réaliser un album – Aujourd’hui tout le monde peut réaliser un album grâce aux nouveaux outils numériques. Plus besoin d’un gros budget et quasiment tous les logiciels, base de données d’instrus sont craqués et dispo sur le net. Après la qualité varie mais tous les jours des projets naissent et meurent, ce qui est devenu compliqué c’est de durer.
Lionel : Comment se passe la distribution du disque pour l’Europe ?
Hesgaroth : Grace à Dooweet on a enfin accès à une bonne distribution en Europe et à l’international. Je ne pourrais pas te lister l’ensemble des noms de distributeurs mais je sais qu’on couvre quasiment l’ensemble de l’Europe ainsi que les Etats Unis avec l’assurance d’avoir l’album disponible aussi bien chez les disquaires spécialisés que les grosses enseignes. Pour ce qui concerne la France c’est Season of Mist qui se charge de la distribution. Dooweet s’est forgé un réseau sérieux et même s’il est encore trop tôt pour avoir des chiffres, je pense qu’on est entre d’excellentes mains et que c’est une véritable chance pour le projet.
Lionel : Maintenant que vous êtes chez Dooweet vous devez avoir des envies de tournées et de festival ?
Hesgaroth : On avait des envies de tournées et de festival avant Dooweet ! Mais c’est vrai qu'avec leur accompagnement pour la promo on espère voir certaine portes s’ouvrir. Tout simplement le fait d’être chroniqué et découvert à l’étranger est le premier pas pour espérer pouvoir aller jouer là bas. Dooweet nous apporte une certaine visibilité que le groupe n’avait pas en autoproduction mais après c’est aussi à nous de faire le boulot, de démarcher pour convertir leurs efforts.
Lionel : Avez-vous réfléchi à une nouvelle déco pour la scène ?
Hesgaroth : Qui dit nouvel album dit aussi nouveau visuel sur scène. On va reprendre pas mal d’éléments graphiques du dernier visuel pour rendre nos prestations live plus immersives et en cohérence avec l’imagerie du nouvel album. Je pense que notre prochaine date à Paris le 5 Mars au Petit Bain offrira de bonnes conditions pour tout mettre en place !
Lionel : Avez-vous des contacts avec le Fall of Summer ? Car vous êtes typiquement le groupe qu’on rêverait de voir là-bas !
Hesgaroth : Je pense que comme beaucoup de groupes on aimerait bien jouer au Fall of Summer. C’est un festival certes récent mais qui a réussi à se créer une identité avec de belles affiches et un lieu au top. Lutece pourrait avoir sa place sur ce type d’affiche mais ce n’est pas à moi de trancher sur cette question. Nous n’avons pas été contactés par l’organisation mais qui sait, peut être qu’on en sera un jour.
Photos Live : © 2016 Lionel / Born 666
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