On avait interviewé Phil Lageat en 2014 pour la sortie du premier volume de « AC/DC Tours de France 1976-2014 ». Depuis la parution de ce premier tome, les auteurs, Philippe Lageat et Baptiste Brelet, sont repartis fouiller dans les archives poussiéreuses et en ont ressorti des centaines de nouvelles photos (pour la plupart totalement inédites et jamais publiées à ce jour) prises entre 1976 et 2014, ainsi que quelques interviews exclusives. « AC/DC Tours de France 1976-2014 : LES BONUS », le petit frère du premier livre, est disponible en librairie en version « standard », mais aussi dans une version « deluxe » limitée (ce tirage collector est accompagné de trois lithographies et d’un luxueux écrin) uniquement disponible sur www.acdclelivre.fr
Lionel / Born 666 : Dans l’édito de Rock Hard de novembre 2017, tu parlais du décès récent de George Young. Lors de la sortie de « AC/DC – Tours de France 1976-2014 », tu évoquais la maladie neuro-dégénérative de Malcolm. La semaine dernière, le « Riffmaker » est décédé. Qu’as-tu ressenti en apprenant cette nouvelle ?
Phil Lageat : Malcolm était malade depuis 2008, à minima. C’est cette année-là que sont apparus les premiers symptômes. Il s’agissait de pertes de mémoire. Des choses assez banales : il lui arrivait d’oublier son blouson en venant en studio ou, en atterrissant à Los Angeles, de dire à son frère Angus : « Je suis content qu’on soit enfin à la maison ! », alors qu’il habitait à Sydney. C’est donc à cette époque qu’Angus a commencé à comprendre qu’il se passait quelque chose, d’autant que Malcolm était d’ordinaire le mec le plus carré du groupe. Ce dernier agissait un peu comme un manager au sein même d’AC/DC. C’était celui qui organisait, qui prenait les décisions. Ses pertes de mémoire étaient ponctuelles, mais hélas, la maladie d’Alzheimer – car c’est bien de ça qu’il s’agit – est une maladie qui ne se soigne pas. Lorsque tu es diagnostiqué, ton temps est compté. Pour en revenir à la question initiale, j’ai donc été très triste, mais pas vraiment surpris.
Lionel : On dit souvent que c’est une libération pour la famille…
Phil : Oui, en apprenant la triste nouvelle, j’ai bien sûr pensé à sa famille qui a pu ressentir son décès comme une forme de libération car l’accompagnement des malades d’Alzheimer est très lourd. Malcolm avait une fille et un fils, une femme, une sœur, des frères. Il était aussi celui dont j’étais le plus proche au sein du groupe. Nous sommes restés en contact au fil des ans, jusqu’en 2009 où Baptiste et moi avons profité du passage d’AC/DC sur Paris pour l’interviewer une dernière fois. C’est donc une part de ma vie qui s’en va. Comme je le dis dans le Rock Hard qui sort aujourd’hui, « ce n’était pas un membre de ma famille, même si, à bien y repenser, c’était tout comme… ».
Lionel : Un mot sur les obsèques de Malcolm dont certaines images sont parues dans la presse australienne : défilé de cornemuses à la sortie de l’église, Angus portant la guitare de son frère derrière le convoi funéraire, les membres d’AC/DC en larmes, etc.
Phil : J’étais assez partagé quant à ces images. Pas vraiment envie de m’y attarder. Il s’en dégage néanmoins beaucoup d’émotion, notamment quand on voit Angus portant la Gretsch fétiche de Malcolm qu’il va donner au « croque-mort » car elle va être enterrée avec son frère. Et puis, Brian Johnson, Phil Rudd, Cliff Williams et Stevie Young étaient par ailleurs présents à la cérémonie. Une journée détestable pour tous les fans de rock, certes, mais il y avait quand même cette petite lumière au bout du tunnel : les cinq d’AC/DC ensemble, apparemment soudés. On sait ce qui s’est passé avec Phil Rudd, puis avec Brian, ces dernières années. Depuis 2014, lorsqu’ils ont enregistré Rock Or Bust (puisque Phil n’a pas fait la tournée qui a suivi), c’était donc la première fois qu’ils se retrouvaient tous les cinq. Par-delà des différends, ils étaient là ! J’ai trouvé l’image et le symbole très forts.
Lionel : Penses-tu qu’ils vont continuer ?
Phil : Je n’en sais rien. Ma conviction, c’est qu’Angus veut continuer.
Lionel : Des albums ?
Phil : Oui, je pense aussi. Et toujours sous le nom d’AC/DC.
Lionel : Pour les tournées aussi ?
Phil : De la même manière, c’est mon sentiment, une conviction, rien de plus. Je pense que si le physique d’Angus suit comme il a suivi sur la tournée précédente, il n’y a pas de raison qu’il s’arrête. Angus est le seul membre du groupe qui n’a raté aucun concert d’AC/DC sur toute sa carrière. Ce qui n’est pas le cas de Phil, de Malcolm, de Bon Scott de son vivant ou, bien sûr, de Brian. Il a donc une certaine légitimité à perpétuer le nom AC/DC. Et puis, il a peut-être fait une promesse à son frère Malcolm quand ce dernier était encore lucide. Si tant est que Mal ne lui ait pas lui-même demandé de continuer, coûte que coûte… Je pense donc que l’aventure va se poursuivre. Mais sous quelle forme et avec qui, je ne sais pas.
Lionel : Avec Axl Rose ? (rires)
Phil : Cet été, on a vu Angus jammer avec les Guns N’Roses en Europe et en Australie. Angus n’étant habituellement pas du genre démonstratif, on peut légitimement penser qu’Axl doit avoir un rôle à jouer dans ses futurs projets. Ce n’est, là encore, qu’une hypothèse de travail.
Lionel : Une amitié peut-être, pas que du business ?
Phil : Oui, je sais, de l’intérieur du groupe, qu’Angus s’entend très bien avec Axl, ce qui n’était pas gagné au départ. Déjà, Axl est un vrai fan d’AC/DC et de rock australien en général. Secundo, il a un humour qui est assez proche de celui d’Angus. Ils se sont trouvés, m’a-t-on dit. On peut en penser ce qu’on veut au niveau personnalité ou en tant que chanteur – et certains ne s’en privent pas – mais humainement, ça se passe bien entre Angus et lui.
Lionel : Revenons maintenant à ces fameux Bonus que Baptiste, Vanessa et toi publiez aujourd’hui sous le titre « AC/DC Tours de France 1976-2014 : LES BONUS ». D’où vous est venue l’idée de publier un livre composé de bonus de la période 1976-2014 ?
Phil : L’idée d’origine était d’écrire la suite du premier livre en retraçant la période 2014/2017 car il s’est passé plein de choses durant ces quatre dernières années. C’en est arrivé à un point où, à un moment, on s’est même dit – je plaisante, évidemment – : ce n’est pas possible, ils font ça pour nous ! (rires) Beaucoup nous ont dit que nous n’aurions pas grand-chose à raconter dans un volume 2, mais il ne s’est jamais passé autant de trucs dans leur carrière que depuis 2014 !!! (rires) Plaisanterie mise à part, on a énormément avancé sur le volume II, qui va donc traiter du Rock Or Bust Tour, mais pas que… On a énormément de photos, d’interviews, beaucoup de matière. De quoi faire un troisième livre de 450/500 pages ! Nous étions donc partis là-dessus… Mais parallèlement, des fans nous ont envoyés de vieilles photos… Tu sais comment ça se passes : tu bosses sept ans sur un projet, les gens n’y croient pas trop parce que ça traine. Et puis, finalement, le premier livre sort et ces fans le trouvent super et se disent : « Mince, j’avais des trucs à vous passer ! ». Nous avons donc reçu du matériel supplémentaire relatif à la période 1976-2014. Et de notre côté, nous avons aussi retourné certaines pierres. Comme, par exemple, les archives de Paris Match. Ça a été une enquête de dingue pour parvenir à les localiser. Au début on voulait faire le Tome II Rock or Bust avec 100 pages de bonus. Bref, on s’est finalement retrouvés avec 300 pages de bonus. Comme nous ne voulions pas refaire un livre de 700 pages, nous avons finalement opté pour ce petit frère qui vient de sortir, LES BONUS, constitué de 300 pages. Dans un troisième et probablement dernier temps, nous publierons « le vrai » volume II consacré à la période 2014-2018 ou 2014-2019…
Lionel : A l’époque de la sortie du premier volume, tu me parlais de Belges qui travaillaient sur le même concept que toi et Baptiste Brelet, à savoir les tournées d’AC/DC en Belgique…
Phil : J’ai l’impression que c’est hélas au point mort. Ils ont trouvé énormément de choses très belles, d’autant que le groupe y a réalisé certaines tournées comme celle de Let There Be Rock qui ne passaient pas par la France. Ils jouaient dans des bars et pas seulement dans des clubs. Il y a donc des archives et des photographes qui étaient là au départ pour shooter Rainbow, Black Sabbath, et qui s’intéressaient aussi aux premières parties. Il y a de très belles choses ! Ils ont donc beaucoup de documents pour sortir un livre, mais leur métier n’est pas d’écrire ni de s’occuper de la mise en page. Alors, ça traîne. J’espère néanmoins que ça se fera un jour.
Dans LES BONUS, nous retraçons néanmoins le troisième concert d’AC/DC avec Brian Johnson, à Arlon, en Belgique. C’est un fan suisse qui s’occupait d’un fan club « officieux » dans les années 80 qui m’a envoyé ces photos qu’on a retravaillées car elles étaient très abimées. Il s’agissait d’un concert frontalier, à 20 kilomètres de la France. Il y avait même de la publicité dans les magasins français, ce qui avait attiré de nombreux fans français. En publiant ces clichés incroyables, nous avons voulu rendre hommage à Brian Johnson : « On a même des photos de tes débuts où tu as joué devant une bonne moitié de fans français ! »
Lionel : (rire) Comptes-tu ouvrir maintenant une franchise dans chaque pays du monde pour travailler sur le passage d’AC/DC dans chacun de ces pays ?
Phil : Si j’étais un chat et que j’avais neuf vies, je ferais déjà un volume sur l’Allemagne car AC/DC y a fait beaucoup de choses, très tôt, mais aussi un sur l’Angleterre pour les mêmes raisons et un dernier sur l’Australie. Hélas, je n’ai pas le temps…
Lionel : Et tu possèdes une méthodologie dans ton travail.
Phil : Beaucoup de recherches et de matériel inédit, voilà notre credo. Par exemple, si tu veux faire un bouquin sur les tournées d’AC/DC en Allemagne, tu peux compiler des photos déjà connues : ce sera rapide et facile. Mais aller chercher chaque concert, faire appel aux fans, nettoyer les documents, c’est plus compliqué. Reste que j’adorerais qu’on fasse des émules. Il y a un bouquin qui est sorti en Espagne, sur le même principe, mais il est assez léger, ce qui est dommage car j’ai, à ma disposition, de nombreux documents relatifs aux concerts espagnols qui ne figurent pas dans cet ouvrage qui ne va donc pas aussi loin que ce qu’on a fait…
Lionel : Sais-tu dans quels pays AC/DC n’a pas joué ?
Phil : La Chine, l’Afrique aussi…
Lionel : Depuis que les Bonus sont en vente, as-tu encore reçu du nouveau matériel ?
Phil : Oui, deux ou trois choses, mais pas de grande qualité. D’ailleurs, j’ai dit à Baptiste d’arrêter de chercher (rires). Lui pourrait chercher ad vitam aeternam, mais il faut qu’on se concentre maintenant sur le Rock Or Bust Tour et la suite… (rires) mais il ne m’écoute pas. Bon, d’un autre côté, si nous trouvons de sublimes photos d’AC/DC en première partie de Black Sabbath à Colmar, nous les glisserons évidemment à la fin de ce troisième tome !
Lionel : Qui sortira fin 2018, courant 2019 ?
Phil : Il est terminé au niveau des recherches. Au niveau de l’écriture, pas du tout. Nous avons toute la matière, reste une interview à finaliser. Et bien sûr, depuis quelques jours, un nouveau chapitre vient de s’ajouter, qui sera consacré au grand frère George et Malcolm, récemment disparus.
Lionel : Vos deux livres sont toujours en tête des ventes de livres rock. Où pouvons-nous les acheter ?
Phil : On peut trouver l’édition « standard » dans toutes les bonnes librairies. L’édition deluxe, avec un fourreau et trois lithographies exclusifs, ne sont disponibles que sur notre page : www.acdclelivre.fr Il y en reste 90 sur 2000. Cette édition deluxe est déjà un collector.
Lionel : Quels ont été tes trois meilleurs concerts d’AC/DC ?
Phil : Brest, forcément, le 23 janvier 1981. C’était la première fois que je voyais le groupe. La tournée Back In Black. On n’oublie jamais son premier concert ! La grosse caisse qui tape dans le cœur. Tu découvres la puissance de la musique live. Tout ce que j’avais lu dans Best et Rock & Folk prenait enfin vie devant mes yeux.
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Lionel : C’était qui en première partie ?
Phil : Maggie Bell, une chanteuse écossaise signée sur le label de Led Zeppelin. À l’époque, elle s’était pris dans la tronche tout ce que les gens avaient sous la main, y compris des sandwichs ! (rires) Je l’ai d’ailleurs interviewée dans le Volume I et elle m’a dit que c’était le pire souvenir de sa carrière. Après, je dirais 1988, le 6 avril, au Zénith. Le groupe était dans sa passe assez dure, même si le passage le plus difficile avait été entre Flick of the Switch (1983) et Fly on the Wall (1985). Ils s’étaient ratés à Bercy quatre ans plus tôt et n’étaient donc pas passé en France en 1986 pour défendre Fly On The Wall. Et attendre quatre ans, à l’époque, c’était une éternité. On était 8.000 dans le Zénith que j’ai rarement vu aussi blindé, même par la suite. Les 8.000 derniers fidèles. Ça chantait du début à la fin, une très, très grosse ambiance. Pas forcément le meilleur concert que j’ai vu, mais j’en garde le souvenir d’une communion.
Lionel : Et à la batterie il y avait qui ?
Phil : Simon Wright…
Lionel : Et les stades ?
Phil : Stade de France 2001. Pourquoi ? Parce que c’était le premier groupe de hard rock à jouer au Stade de France. Parce que le stade était complet alors que nombreux étaient ceux qui pensaient qu’ils n’allaient pas réussir à le remplir. Parce qu’il faisait beau.
Lionel : Ils portaient le maillot de l’équipe de France de foot (la France avait été championne du Monde de football en 1998) ?
Phil : Oui, Brian commence le concert avec le maillot de l’équipe de France. Et ils terminent sur un « Ride On » complètement inespéré. C’est la seule fois, à ma connaissance, qu’ils ont joué ce titre live durant les années Brian Johnson. Dans les années Bon Scott, ça s’est peut-être produit, mais je n’en ai jamais entendu parler. AC/DC qui joue un morceau après « For Those About To Rock », c’était génial. Une consécration. Et d’une certaine façon, je l’ai aussi pris pour une victoire personnelle, très immodestement, car en 1984, mes potes qui me disaient, en écoutant Metallica : « Arrête avec ta merde ! ». Mais moi, je suis toujours resté fidèle même quand le groupe était dans le creux de la vague.
Lionel : C’est vrai que dans Enfer Magazine, Brian était surnommé Corbeau Braillard…
Phil : Ou la Casquette Hurlante. Moi, je n’aime pas brûler mes idoles. Je reste fidèle. Je n’arrive pas à renier ce que j’ai aimé dans le passé.
Lionel : A part avec les Rolling Stones est-ce qu’AC/DC a fait des reprises ?
Phil : Au départ, ils faisaient beaucoup de reprises. Leur set était basé sur quelques morceaux originaux de Malcolm et le reste de reprises : Free, les Stones, les Beatles. C’était en 1974, après ils ont arrêté, exception faite de « Scholl Days » (Chuck Berry) et « Baby Plaese Don’t Go » (Big Bill Broonzy). Ensuite, quand ils étaient amis avec un groupe, ils pouvaient aller taper le bœuf sur une reprise comme ils l’ont fait avec Cheap Trick (« Johnny Be Goode »), avec Rose Tattoo, les Angels, etc. Toujours des morceaux des pionniers, le rock’n’roll des 50’s. A la fin de la tournée européenne Back in Black, à Bruxelles, ils ont interprété « Lucille » de Little Richard afin de célébrer la fin de la tournée.
Lionel : Penses-tu que les festivals de cet été vont rendre hommage à Malcolm ?
Phil : Je n’en ai franchement aucune idée. Ce serait Angus, je te dirais « oui ». Dans la tête des gens, AC/DC c’est à 95% Angus Young car il est l’image du groupe.
Lionel : Faut dire que, dans 20 Minutes, ils ont parlé, à l’occasion de son décès, des 20 meilleurs solos de Malcolm (rires)…
Phil : Dans le Télégramme de Brest, ils ont mis une photo d’Angus… Mais bon, il faut quand même être un gros fan du groupe pour savoir à quel point le rôle de Malcom était important, tant au niveau musical – l’architecture, les riffs – qu’au niveau de la vision du groupe… Il y a des groupes qui vont faire des reprises. Ça a déjà commencé : Death Angel a fait « Dog Eat Dog », Jimmy Barnes « High Voltage », les Foo Fighters « Rocker », etc. Mais bon Dave Grohl joue un morceau dès qu’un musicien décède (rire général). Après, je ne suis pas persuadé que ça ira très loin car Malcolm a toujours cultivé une certaine discrétion et n’était donc pas aussi emblématique qu’un Lemmy ou un Ozzy.
Photos Angus Young & Brian Johnson: © 2017 Vanessa Girth
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.