Devin Townsend, génie canadien déjanté

En ce jour ferié fête du travail ou en ces temps de béatification pontificale, le pape du metal underground Devin Townsend nous a fait l'honneur d'une entrevue le 8 avril dernier dans un hôtel parisien. Le temps pour ce génie canadien de revenir sur ses deux nouveaux albums de la tétralogie Devin Townsend Project, à paraître le mois prochain... Récit d'un moment unique qu'ont vécu nos amis Nathan (questions) et Nastia (photos).

Nathan : Les quatre albums de la tétralogie ont une atmosphère et un concept différent, peut-tu expliquer ce qui est derrière Deconstruction et Ghost ?

Devin : Je crois que par le passé le fait d’avoir écrit de la musique extrêmement compliquée a causé chez moi des réactions émotionnelles qui m’ont causé des problèmes personnels. Je pense que je donnais trop d’importance à la musique, comme si je la gardais constamment trop près de moi, comme si elle était extrêmement précieuse. Et du coup, sur aucun des deux albums où j’ai décidé d’expérimenter ce type de mentalité dans la conception du projet musical, c’est à dire Infinity et Alien, je n’ai fini le disque en contrôlant la musique, c’était plutôt la musique qui me contrôlait! Ce qui ne m’empêche pas d’être très fier de ces deux albums.

Depuis ce temps là, je me suis toujours demandé si ce manque de contrôle était dû à un défaut de ma personnalité au dessus duquel je n’arrivais pas à m’élever, ou si c’était dû a des circonstances extérieures, comme la drogue, l’alcool, ce genre de chose. Et donc avec Deconstruction, j’ai essayé très consciemment de «re-visiter» l’énergie qui m’avait amené si près de finaliser ces deux disques, mais évidemment la dernière fois ça s’est cassé la figure. Donc cette fois mon intention était de comprendre ces choses qui me font peur et de prendre le contrôle à leur place, et la compréhension du fait que ces peurs n’était que dans ma tête m’a permis d’être plus à l’écoute d’autres sensibilités musicales que je cachais. Et ça au final c’est devenu Ghost.

Je pense que si je n’avais pas fais Deconstruction, je n’aurais pas eu la confiance en moi necessaire pour faire de Ghost un album aussi paisible qu’il est. En faisant Deconstruction je suis arrivé à un point où je me suis rendu compte que les choses qui avaient causées mon échec, du moins de mon point de vue, les deux dernières fois où j’avais essayé de faire un projet comme celui-là, étaient des stimuli que je m’administrais (i.e : de la drogue et de l’alcool). Je ne suis pas du tout anti-drogue et je n’ai aucun engagement moral de ce coté là, mais avec ma chimie interne, à mon âge et après avoir expérimenté tout ça pendant des années je sais que ça ne marche pas avec moi. Donc me «reconnecter» avec Deconstruction en tant qu’extension de l’énergie qui m’avait posé des problèmes auparavant, m’a aidé à comprendre que effectivement, je n’avais pas besoin de ces stimuli. Et non seulement j’allais arriver à aller au delà de ça mais en plus, je peux à présent atteindre des niveaux de complexité musicale que je n’aurais jamais pu atteindre parce que j’étais trop accroc.

Alors je me suis dit, tiens on va mettre un orchestre dessus, juste pour être un enfoiré... et puis tiens on va aussi mettre un paquet de chanteurs... tiens et puis un choeur aussi... Mais en plus l’intention derrière ça était : Non seulement on va faire ça, mais en plus on ne bossera pas les samedis et dimanches, je vais rentrer chez moi à 5h, je vais jouer avec les enfants et si jamais j’arrive au point où la musique m’obsède trop, je vais éteindre l’ordinateur et aller regarder la télé en calbar. L’objectif était de garder le contrôle, car depuis les deux autres disques je me demande si je n’ai pas en moi « un méchanisme programmé d’autodestruction inhérent » qui me causera des problèmes indéfiniment.

Pendant la première semaine de Deconstruction je me suis dit « au moins j’en serai sur ». Et si ce n’est pas le cas, et bien putain ces choses n’auront pas le contrôle, quoi qu’il arrive, et c’est ce qui est arrivé. C'était au final l’objectif de Deconstruction... au delà de la métaphore interne au disque, qui est un peu stupide à sa manière, mais qui à le même principe. Sur le dernier morceau je dis « maintenant que l’on s’est expliqué, vous n’êtes plus invités dans mon processus de création musicale ».

Pourquoi est-ce que je fais ce style de musique ultra-compliquée etc... ? Parce que j’y arrive bien... et que j’aime ça ; mais si vous voulez mon avis honnête et profond, je choisi tout de suite les trucs simple au lieu des trucs compliqués. La mode actuelle des musique que j’écoute va vers des genres de métal très, très compliqués. Comme du Death-Metal technique avec des guitares à 19 cordes et des morceau de 25 minutes etc... et je pense qu’il m’a fallut produire un album entier de ce type de musique pour dire : "oui j’aime ce type de musique, mais je préfère des choses plus simples". Je pense qu’il est plus élégant de dire les choses avec deux mots plutôt que d’entremêler énormément de complications afin de pouvoir arriver à quelque chose qui... n’est pas inutile mais... je me dis qu’en général la pensée compliquée et la musique compliquée sont le résultat de l’état d’esprit du « oh mais regarde ce que l’on fait c’est génial! Regarde à quel point nous sommes géniaux! ». Ce que je recherche dans la musique c’est ce qui m’émeut profondément, au-delà de tout le Jazz et le métal que j’ai plus écouter, mais plutôt des musiques plus simples comme des berceuses ou de la musique New Age que j’écoutais quant j’étais gamin.

Donc ce disque c’est pour dire : « Vous entendez comme c’est génial ? Comme c’est compliqué ? eh bien... je ne veux pas faire ça! » ... Mais ce n’est pas comme si je n’aimais pas Deconstruction, je l’aime vraiment et je pense que c'est un un bon album mais... on devrait le vendre avec une plaquette d’ibuprofène! Parce que c’est un peu un mal de tête que de l’écouter!

Devin Townsend (Interview 2011)

Nathan : Est-ce pour cela que tu as enregistré Ghost en premier ?

Devin : Oh oui ! Parce que je savais qu’après Deconstruction je ne voudrais plus riens écouter ! Mais Ghost était sûrement l’album le plus sympa à faire, et sûrement mon préféré des quatre. Quand cela a commencé avec Ki, le sentiment était très doux mais comme je ne m’était pas encore purgé de Deconstruction, le coté Heavy continuait de revenir. Il y avait comme une partie de moi qui voulait dire « hey les gars, j’suis pas une mauviette ! Je suis toujours Heavy » mais après Deconstruction je peux dire « hey les gars mais ÉVIDEMMENT que je ne suis pas une mauviette ! Bon on à reglé ça ? Temps mieux parce que maintenant on va faire un truc vraiment joli, parce que c’est ce que je veux vraiment faire. »

Nathan : Est ce que la tétralogie est venue d’un bloc ou as-tu pensé les différents albums les uns après les autres en tant que concepts et ainsi composé les morceaux en fonction ?

Devin : Au départ cela a commencé avec ma peur de mon rapport à la musique metal, et avec tous les questionnements que cela a engendré, ce qui a donné cet espèce de « drame personnel » du genre « qu’est ce que ça veut dire.. blah blah blah blah blah...» ... Et du coup cela a pris beaucoup de changements personnels que, d’une certaine façon, je me suis forcé à faire. Je ne suis pas le genre de personne qui aime énormément le changement. Vous savez il y a des gens qui sont comme ça : « Ouais la météo à changé!! Youpi! je vais sauter de mon hélicoptère blah blah...»  ... moi j’aime bien rester au lit toute la journée avec un bon oreiller, ça c’est mon trip. Mais soudainement... des gens dans ma famille sont morts, des enfants sont nés, j’ai arrêté le groupe, j’ai arrêté la drogue, l’alcool, on a déménagé, je me suis coupé les cheveux... je me disais « putain qu’est ce qui se passe !! »

Tellement de choses se sont passées dans ma vie au même moment que cela à affecté ma façon d’écrire de la musique.

En général quand j’écris de la musique, je l’écris en rapport avec ce qui se passe dans ma vie à ce moment. Mettons, il pleut, il y a beaucoup de mélancholie chez moi à cet instant, je vais prendre ma guitare et jouer une série de note qui me rappellerons ce moment ; et à la fin de l’année, je prend tout ces morceaux et je les examine. Ils me rappellent cette période de ma vie. Qu’est ce qu’il y avait de significatif dans cette période? Il pleuvait. Mettons de la pluie dans l’Artwork. Les émotions de l’album sont comme sous une sorte de couverture. Très bien, mettons une sorte de brume etc... et donc cette année se trouve résumée à travers ce disque et à chaque je suis surpris et je me dit « wow! C’est dingue! Ça parle de ça? wow! À ouais c’est à propos d’un extra-terrestre, ok... » ... Mais avec cette tétralogie plus qu’avec tout mes autres albums, étant donné qu’il y avait tant de choses à intégrer, j’ai dû faire face à toutes ces choses qui font ma personnalité, desquelles je ne m’étais jamais occupé avant.

Et quand j’ai commencé à écrire, je n’arrivais à rien de concret. Je prenais ma guitare et tout ce que je pouvais sortir c’était des plans bluesy à la con. « Qu’est ce qui se passe, je ne suis pas en train de fumer... j’ai tant de mon identité musicale investie dans ce processus et je ne sors rien! Peut être que je ne peut plus écrire ! » ... Je suis donc allé voir quelques amis qui m’ont aidé par le passé en leur disant :

« Qu’est ce qui se passe, je n’arrive plus à écrire du métal, qu’est ce qui ne marche pas avec moi, je veux en écrire mais j’en ai peur. »

Ce à quoi il m’ont répondu : « Pourquoi en as tu peur ?
- J’ai peur que ce processus d’autodestruction me domine et me cause des problèmes au final, et que je ne m’en rendrais pas compte avant la fin. C’est ce qui s’est passé avant.
- Pourquoi, tu prends de la drogue?
- Non.
- Tu bois?
- Non.
- Alors pourquoi ne te fais-tu pas un peu confiance? Et alors tu verras si vraiment tu es une si mauvaise personne, parce que je pense que non. »

Ainsi je me suis mis à écrire sans me dire dans quelle direction aller, et je suis arrivé à ces quatre voies distinctes (en fait plutôt 5 ou 6 mais 4 c’était déjà pas mal pour des albums). J’ai ensuite essayé de regrouper ces morceaux (environ 45 au total) et de leur donner une espèce de chronologie.

Ki est cette sorte de subtilité... il y a évidemment des éléments sombres dans Ki mais ils sont dans l’ombre donc ça leur donne un coté indéfinissable, et puis à chaque fois que la tension monte il y a cette chose qui la retient et à la fin on a le morceau "Ki" qui nous fait penser que « ah mais au final c’est peut-être pas si mal ici ! ».

Avec Addicted, l’idée c’est « arrêtons nous un peu pour danser et faire la fête avant de commencer le reste. » ... Donc Addicted est très optimiste et très cru dans ces émotions mais tout ceci est presque complètement dilué dans son optimiste. C’est un peu : (hurle) : « everything’s great !!!!! » ... Et après ça il est temps de « déconstruire » !

Ainsi donc avec Deconstruction tout commence lentement et l’idée c’est : « Ok on va le faire. Nous allons explorer ces éléments tout en sachant qu’on le fait exprès. Et, quoi qu’il arrive, si on ressort de ça en étant un connard, et bien on acceptera que l’on est un connard. Et si on en ressort bien, alors il faudra être prêt à en accepter les conséquences Monsieur Autodestruction! Donc on y est allé et c’est ça l’idée : Fait-toi face. Mais en plus, cette partie de toi qui est si forte et si loin dans l’ombre et qui te fais peur parce qu’elle assombrit tant le reste dis-lui « Ok, tu as le droit de dire ce que tu veux, mais tu ne peux le dire qu’en relation avec les 3 autres disques ». Et dès que je l’ai fait c’était... (soupir de soulagement) Bon ben maintenant que ça c’est fini, j’ai deux trois trucs à vous dire : Ça n’arrivera plus, compris! (prend une voix penaude) « ah... bon ok... »

Et Ghost n’a pas de vraie thématique si ce n’est : les fantômes du passé, les choses que tu dois accepter. Tu dois te pardonner les choses que tu as faites par le passé, aussi dégueulasses soient elles parce que le seul moyen d’aller de l’avant c’est de ce dire que ces choses là ne changeront pas. Tu dois les accepter car tu es responsable de ces actions. Et mon point de vue spirituel sur ce point est, comme le dis la voix à la fin de Addicted : Et si il n’y avait rien d’autre ? Si il n’y a rien d’autre, pas de Grand Horloger, pas d’extra-terrestres, pas de Dieu, si on est juste un paquet de petites choses placées aléatoirement sur une planète au milieu de l’univers et qu’il n’y a rien d’autre, alors nous sommes responsable de tout ce que l’on fait. Si tu veux que tout aille bien, et bien fais le bien, et si tu veux que les choses soient merdiques, et bien fais des choses merdiques. Et ça n’a pas d’importance, il n’y a pas d’engagement moral la-dessous, tout ça ce sont tes choix. Et je trouve le fait de penser comme ça assez libérateur. Ce n’est qu’une hypothèse, je n’en sais rien, si ça se trouve on est en ce moment même sur le dos d’une immense tortue quelque part. Mais j’aime l’idée que non seulement il n’y a rien après mais en plus : on va tous crever! Et donc si on doit tous crever qu’est ce que tu choisis de faire ? Tu préfères tout détruire ou tu choisis d’être sympa ? Et à vrai dire pourquoi être sympa ? C’est comme si il n’y avait aucune motivation à être sympa; mais en même temps c’est peut-être le truc le plus metal que tu puisse faire ! Ouais on va tous crever ! Fais-moi un câlin !

Devin Townsend (Interview 2011)

Nathan : Comment as tu approché l’écriture pour orchestre ? As-tu commencé par écrire pour un groupe de rock normal et après tu as ajouté des arrangements ou as tu écrit le tout d’une seule pièce ?

Devin : Tout est un peu venu ensemble. J’ai toujours réfléchi en termes de couches successives donc pour moi l’orchestre est juste une version encore plus extravagante de ce que je fais d’habitude sauf qu’à la place d’utiliser des guitares et des synthés j’ai utilisé des vrais instruments. Mais bon je ne connais pas bien la théorie musicale... enfin si mais je ne sais pas lire et écrire, donc j’ai tout écrit dans Pro Tools et je l’ai envoyé à quelqu’un qui pouvait le transcrire de façon à ce que ce soit compréhensible pour un orchestre, tout en me donnant des suggestions comme : « ah au fait cet instrument ne peut pas jouer ça, mais peut être que l’on peut transférer cette partie vers un autre instrument » ... et donc Florian à fait un boulot génial mais l’écriture et l’arrangement sont de moi et lui l’a traduit pour l’orchestre afin d'éviter qu’il me regarde en se demandant si j’avais quatre têtes ou quelque chose du genre...

Nathan : Comment s’est passé l’enregistrement de l'orchestre à Prague ?

Devin : C’était génial. On avait que quatre heures...

Nathan : Quatre heure ??? C’est court !!!

Devin : À qui le dis-tu ! Et en plus ça coute une fortune ! Donc du coup l’ambiance c’était un peu : « Oh merde! aller on y va! Go Go Go!! »

Nathan : Et ça comprend la répétition ?

Devin : Il n’y a pas eu de répétition  ! On leur à donné la musique et ils l’ont jouée et c’est tout! Ça donnait un côté « Punk-Rock Orchestra ». Et en plus voir des gars de 60 ans jouer des morceaux parlant de Cheeseburgers et de masturbation... c’était génial.

Nathan : "The Mighty Masturbator", c’est une référence à Dali non?

Devin : Bien sûr. C’était le plus grand de tous... mais bon moi aussi ça me va d’être Mighty... j’aime bien l’idée d’écrire un morceau de 17 minutes en disant « mais bien sûr que c’est de la masturbation! Qui écrit un morceau de 17 minutes ? ». C’est facile d’écrire un morceau de 17 minutes! Va écrire un morceau de ABBA ! C’est simple 17 minutes ! « Ouais là c’est la partie techno tout ça...» ... c’est de la branlette ! Mais à partir du moment où tu dis : « Ok, oui c’est de la branlette musicale », ça va. C’est pareil si tu as un morceau où il y a un riff qui est pompé sur Meshuggah « Ah oui au fait! On pompe Meshuggah! » Si tu le dis directement, plus personne ne peux te reprocher quoi que ce soit. « Hey t’est en train de pomper Meshuggah ?! -Oui! »

Nathan : Et là tu fais une vidéo avec les sous-titres qui précise quel groupe tu pompes à quel moment!

Devin : Ouais exactement... Là c’est la partie Slayer, là la partie Mastodon, là la partie Opeth, tiens ici la partie Gojira... d’ailleurs le gars de Gojira chante dessus... mais c’est bien d’être au courant que tu es en train de le faire ! Ça leur donne le crédit qu’ils méritent, elle est géniale la musique qu’ils font...

Nathan : Peux-tu nous dire qui est derrière l’enregistrement, en tant que musiciens ?

Devin : J’ai écrit Deconstruction en allumant l’ordinateur et en commençant directement à écrire. Quand je vais en studio tout est déjà prêt. Mes amplis sont branchés, ma guitare accordée, il y en a une de rechange au cas où je casse une corde, le son du clavier est déjà décidé, les micros posés... Et j’écris en enregistrant. Au final j’ai enregistré presque tous les instruments sauf la batterie. Pour la batterie, j’ai principalement bossé avec un gars qui s’appelle Dirk Verbeuren (Soilwork) qui est un type génial ; très bon batteur, une compagnie absolument géniale et il improvise super bien. Les autres partie de batterie on été enregistrées par Ryan Van Poederooyen qui joue dans mon groupe, et il joue lui aussi très bien et comme il devra faire une partie de tout ça en live je voulais qu’il reste dans le circuit. Il joue les parties moins rapides. Après on à eu les invités, l’orchestre et tout ça...

Pour Ghost, on a Dave Young joue le clavier. Il à un Nord et un Hammond et tout ce bordel là... et Mike St. Jean (qui en fait m’aide depuis des années) joue la batterie. Il m’a aussi aidé pour l’orchestration de Deconstruction, de même qu'en studio, et maintenant il fait nos lumières en live... c’est un gars très intelligent qui peut un peu tout faire donc je lui ai demandé si il pouvait jouer de la batterie et il m’a dit : « ouais bien sûr! ». Mais l’invitée principale sur Ghost est Kat Epple qui est flûtiste. Avant Judas Priest, Metallica, W.A.S.P et tout ça quand j’étais vraiment jeune ; j’écoutais des trucs de ma mère, de la musique de méditation et de la musique New Age... les trucs de Hippies des années 80. Et il y a deux de ses albums que j’ai écouté quand j’avais 12 ou 13 ans qui ont changé ma vie, sans ces deux albums (Valley of the Birds et Sound Trek) je ne ferais pas ce que je fais maintenant. Et c’est en écrivant la tétralogie que je me suis rendu compte à quel point cette musique était importante pour moi. En écrivant Ghost, je suis allé voir ce qu’elle faisait sur le net et je me suis rendu compte qu’elle avait bossé pour Carl Sagan et pour Nova, qu’elle avait reçu des Emmys. Et je lui ais écrit en lui disant « Bonjour, je m’appelle Devin et votre musique à changé ma vie... je voudrais juste dire bonjour » et elle « ok ben merci beaucoup » ... Ensuite je l’ai recontactée :

« Je suis en train de faire ce disque, vous faites des sessions non?
- Oui ça peut se faire, envoyez moi quelque chose »

Et donc je lui ai envoyé "Heart Baby" et elle m’a dit : « Ouais, c’est très bien, je comprends, j’en suis » ... On a commencé à organiser tout ça et je lui ai renvoyé un courrier : « Je dois juste vous envoyer un petit peu d’autres choses que je fais juste pour que vous sachiez dans quoi vous vous engagez... » ! Je lui ai envoyé du Strapping Young Lad, Ziltoid et Deconstruction juste pour voir si elle serait... offensée... mais elle a dit : « Ok très bien je comprends tout ! » ... On a donc fait Ghost ensemble et c’était génial. La flûte est mon instrument préféré pour les parties solos... Nous sommes allés jouer pour le NAMM Show à Los Angeles et c’était la première fois que l’on se rencontrait (elle enregistrait chez elle en Floride) : on s’est de suite très bien entendus !  

Devin Townsend (Interview 2011)

Nathan : Qu’est ce qui t’est passé par la tête de mettre autant de chanteurs et chanteuses différents ? Voulais-tu montrer toutes les différentes facettes de la "Heaviness" ?

Devin : En fait à force d’être dans le circuit de la musique j’ai connu plein de gens qui ont commencé leurs groupes en même temps que moi et qui sont maintenant dans des groupes à succès...

Quand j’ai commencé à écrire Deconstruction je me suis dit : j’entends un tel sur tel riff et un tel sur un autre ; et après j’ai donné des interviews et j’ai dit que j’allais inviter untel et untel etc... après je me suis posé et j’ai réfléchi. Vas-tu essayer de vendre ce disque simplement parce qu’il y a tant d’invités dessus qui sont plus célèbres que toi? Et soudainement je me suis senti stupide en comprenant que c’était exactement ça. Donc je me suis dit : Non je ne vais pas le faire. Et bien sûr j’ai donné 1’ interview où j’ai dit : non je ne vais pas le faire...

Donc j’ai commencé à vouloir tout chanter et en enregistrant je me disais : Merde ça doit être ce gars là qui chante ! Il a un énorme passage en plus ! Je ne suis pas en train de présenter le truc en disant : « Mesdames et Messieurs, voici Johnny Rockalot qui chante sur ce morceau... » Et donc j’ai appelé le premier gars et je lui ai dit « Mec j’ai ce passage sur ce morceau ça serait génial si tu pouvais le chanter » ... Et évidemment le gars m’a répondu « Ok, on le fait ». Donc, au final, par effet boule de neige, je suis arrivé au plan original ! Et là j’étais bloqué dans la situation du début, c’est à dire : je vais me retrouver avec un énorme sticker vert sur la pochette où on verra FEATURING ! Et ce n’était pas du tout l’esprit que je voulais donner à l’album. Donc j’ai appelé le label en leur disant : « Ok, si on fait ça est-ce que l’on peut ne PAS avoir un sticker sur la pochette et est-ce que l’on peut ne pas mettre le nom des gens sur la copie presse ? Les gens s’en rendront bien compte ! » Et pour moi ça ne représente pas l’album, les voix représentent une petite partie de l’album qui est plus une couleur ajoutée. Le resultat est très naturel. Ça sonne comme ça devrait sonner.

Donc en intervew j’essaie de ne pas dire : « Il y a un tel sur ce morceau etc... » ! Il y a un paquet de gens super cools et ça marche pour l’album. Pour moi c’est comme une approbation de gens dont je suis fan et qui le plus souvent sont en plus des amis.

Nathan : Est-ce que Deconstruction était plus difficile à produire que les autres avec l’orchestre et toutes ces couches différentes ?

Devin : Il étaient chiants à faire tous à leur manière ! Même ceux qui paraissent simples ne le sont pas. Je me suis écouté les quatre d’une traite l’autre jour et à chaque morceau je me suis rappelé de différents trucs... oh je me rappelle de ça... qu’est ce que c'était chiant à faire sonner... et puis ça... c’était chiant aussi etc... Ils ont tous demandés des efforts comme n’importe quel album.

Nathan : Pour Ki, tu es allé vers une approche plus « live » de l’enregistrement en gardant le jeu original du groupe entier avec Jean Savoie et Duris Maxwell. As-tu fait la même chose pour Ghost?  

Devin : Les guitares, les claviers et la batterie sont enregistrées Live, et nous avons gardés toutes les improvisations. Du coup ça donne à Ghost une sorte de flux continu très sympa. Et très honnêtement même Deconstruction a beaucoup gardé de premières prises... J’ai calé un tempo, écrit un paquet de conneries, et après j’ai monté tout ça...

Nathan : Dans les videos YouTube que tu as postées à propos de Ghost, tu vas sous un tunnel à Vancouver pour capter la réverb, en disant que tu veux donner à l’auditeur le sentiment « d’être là ». As-tu fait d’autres choses dans le genre pour donner cette impression ?

Devin : Le studio où nous avons enregistré la batterie, c’est un studio moyen. Donc c’est difficile d’avoir la réverb naturelle que tu peux avoir dans un plus gros studio, où tu mets deux micros en l’air et soudainement tu as de la reverb Bon Jovi sur tout les instruments. Donc voilà ce que l’on a fait à The Factory (le studio en question). On a ouvert la porte arrière qui donne sur un gros entrepot en béton où les camions déchargent, et on à mis deux micros là dedans pour capter la réverb. Du coup on entend ce qui se passe en même temps dehors. Donc quand vous entendez sur Ki ou Ghost des mouettes crier, c’est parce qu’elles étaient là sur les enregistrements et que l’on a tout gardé, et même en général on a accentué ça au mixage !

Nathan : As-tu fais ça parce que tu en as marre du fait que le studio moderne offre tant de possibilités qu’à la fin, les gens suivent plus la mode ou ce qui est facile à faire au lieu de créer quelque chose de nouveau ?

Devin : Je suis quelqu’un qui fonctionne beaucoup par habitude et je n’essaie pas de réinventer quoi que ce soit. J’ai lu pas mal d’interviews de Steve Albini (NDLR : Ingénieur du son de notamment Nirvana, The Pixies et PJ Harvey) qui à l’habitude de dire que la technologie moderne tue la musique et je comprends tout à fait son point de vue, mais personnellement je m’en fous. Je veux juste faire des morceaux sympas, et quand l’autre jour je me suis retrouvé en dessous de ce tunnel à Vancouver avec cette reverb super bizarre je me suis dit qu’on devrait y aller et l’enregistrer.

Mais nous n’avons pas essayés des tonnes de Réponses Impulsionnelles (signaux utilisés pour recréer le « son » d’une pièce par opération informatique) différentes en nous disant que ça n’avait pas « ce coté naturel » avant de nous dire qu’on allait aller l’enregistrer. On s’est juste dis qu’on allait passer une bonne soirée à mettre l’ordinateur portable par terre et enregistrer cette réverb en faisant péter une tonne de feux d’artifices et en mettant la stéréo de la voiture à fond. Mais bon, vous entendrez ça sur Ghost 2 qui sera sûrement dans le Box Set avec tous les autres albums.

Je suis plus quelqu’un qui essaie de capturer l’émotion du moment, sans mettre trop de choses en place. Si je mets tout en place, ça ne marche jamais. Et c’est pour ça que sur Ki, sur le morceau "Winter", alors que tout ralentit, on peut entendre les mouettes qui arrivent... parfaitement au bon moment et en plus à la bonne hauteur. On ne pouvait pas le prévoir ! C’est arrivé à la troisième prise, c’était une bonne prise et donc on l’a gardée. C’est arrivé aussi sur Ghost pour le morceau éponyme "Ghost"... ça devait sûrement être la même mouette... (voix fatiguée et blasée) ouais je suis là pour mon solo... (rires)

Nathan : Tu sembles toujours travailler à The Factory, pourquoi ?

Devin : C’est près de chez moi, il me donne des sessions pour pas trop cher, surtout lorsqu’il n’y à personne à ce moment-là... Mais en fait c’est surtout l’ingé maison avec qui j’aime beaucoup travailler. Il s’appelle Sheldon et il est génial. Il est calme, subtil, il ne parle pas quand tu travailles et il sait avoir des sons qui tuent. Et en plus il ne viendra pas te voir en te disant « hey mec viens écouter ça, ça tue!! », il fait juste sont boulot.

Nathan : Des groupes français que tu aimes ?

Devin : Gojira évidemment. Mais bon comme je n’écoute pas trop de metal en ce moment... je ne connais pas trop le reste.

Devin Townsend (Interview 2011)

Les deux albums Ghost et Deconstruction seront donc disponibles en même temps dès le 20 juin prochain chez InsideOut. Une attente qui s'avère longue voire insoutenable pour certains... mais le maître Devin Townsend sait visiblement comment les faire patienter.

Merci à Nastia alias LadyOfDarkness pour les clichés

Devin Townsend sur La Grosse Radio



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