Loin d'être perdu dans sa nouvelle réalité solitaire...
Arjen Anthony Lucassen, plus de 30 ans de métier, un savoir-faire impressionnant sur le plan musical, des projets à foison (Ayreon, Star One, Ambeon, Guilt Machine...) avec des guests de renommée mondiale (qui peut se targuer d'avoir obtenu la participation de Bruce Dickinson ?)... et le voici seul, seul face à lui-même, perdu dans une nouvelle réalité qui s'offre à lui : un album solo avec lui et seulement lui en chant lead. Lost in the New Real, projet désiré par le musicien néerlandais depuis plus de 10 ans, est enfin sur le point de voir le jour le 23 avril prochain chez InsideOut. Nous ne pouvions donc manquer l'occasion de nous entretenir une nouvelle fois avec ce génie des temps modernes, une troisième entrevue en quatre ans et certainement pas la moins intéressante. 46 minutes de conversation à ne manquer sous aucun prétexte.
Ju de Melon : Bonsoir Arjen ! Premièrement, parlons du stress qu'implique la sortie d'un album solo... Je te sais très impatient, j'imagine que les 38 prochains jours environ (NDLR : interview réalisée le 15 mars 2012) vont être une vraie souffrance pour toi !
Arjen Anthony Lucassen : Tu sais que tu me rends nerveux dès la première question là ! (rires)
Ne t'en fais pas, après celle-là ça ira mieux... (rires)
(rires) Mais bon tu as raison, c'est un énorme défi ! En faisant cet album solo, je voulais me prouver que j'étais capable de le faire, de créer un truc sans me cacher derrière tous ces formidables chanteurs que j'ai pu avoir dans Ayreon ou Star One. Bien sûr il y a du stress dans cette attente, mais en réalisant cet album je suis resté dans une optique précise, j'ai enfin pu faire ce que je voulais vraiment musicalement sans me soucier éventuellement de ce que les gens voudraient et s'ils aimeraient ou non. Tu sais, c'était important pour moi car sur les derniers albums, notamment le dernier Star One, je pensais plus à ce que voulais les fans qu'à ce que je voulais vraiment moi, j'essayais trop de les plaire et j'en oubliais ce que je désirais vraiment. Au final là je suis satisfait du résultat, encore plus que jamais, mais plus on s'approche de la date de sortie et plus je me rends compte qu'en fait... l'avis des gens compte malgré tout (rires) ! Cela reste donc assez effrayant en un sens.
Cependant il ne s'agit par à proprement parler de ta première expérience solo, puisque tu as sorti Pools of Sorrow, Waves of Joy en 1994... Une autre époque ?
Ils ont un point commun ces deux albums : ils sont très variés et éclectiques. Ils regroupent beaucoup de différents styles. La différence entre les deux c'est que celui de 1993 ne me satisfait plus vraiment aujourd'hui, je le trouve vraiment brouillon ! Il navigue entre des chansons country telles que "Midnight Train" ou des passages médiévaux comme "Days of the Knights", ça part dans tous les sens. Quand j'ai réalisé ce nouvel album l'an passé, j'avais 15 chansons au final et j'ai ressenti un peu ce sentiment de bazar... Du coup j'ai décidé de monter un concept autour, d'écrire une histoire afin de rendre l'ensemble plus cohérent. Ce lien rend l'album plus homogène, et au final je pense que le premier opus a servi de leçon, il a permis au nouveau d'être meilleur indirectement.
Tu es donc seul sur cet album Lost in the New Real... Enfin il y a quand même quelques personnes autour de toi, notamment ton fidèle batteur Ed Warby qui ne te quitte jamais ! (rires)
(rires) En fait c'est juste que ce serait bizarre pour moi d'utiliser un autre batteur, il sait exactement où je veux aller et il joue exactement comme je le souhaite. Nous sommes tous deux grands fans de John Bonham ou Cozy Powell, à chaque fois je n'ai qu'à programmer les parties batteries sur ordinateur en sachant très bien qu'il les effectuera à la perfection, c'est comme s'il savait exactement ce que j'avais en tête. Tout fonctionne au feeling entre lui et moi.
Un autre batteur est listé parmi les musiciens sur cet album, un certain Rob Snijders (NDLR : Le mari d'Anneke, ex-The Gathering)... avec un rôle différent que celui de Ed, plus pour le côté acoustique ?
Oui, absolument. En fait c'est un peu comme sur le double album Universal Migrator d'Ayreon, sur la partie "soft" The Dream Sequencer c'était déjà Rob qui jouait la batterie alors que Ed s'occupait de la partie "metal" Flight of the Migrator. Comme sur ce double album, j'ai ici plusieurs styles de chansons qui demandent deux styles différents au niveau de la batterie. Ed n'est pas trop le spécialiste des ambiances plus atmosphériques au contraire d'un Rob qui a un jeu qui s'y prête parfaitement, d'où la présence des deux hommes sur l'album.
L'invité le plus prestigieux sur cet album s'avère être le narrateur qui joue le rôle de Voight Kampff... un certain Rutger Hauer, acteur hollandais qui a notamment joué dans Blade Runner. Tu en parlais déjà il y a deux ans puisque la chanson "It All Ends Here" sur le dernier Star One est basée sur ce film... Comment es-tu rentré en contact avec lui ?
J'ai toujours été un grand fan de Rutger Hauer, pas seulement dans le film Blade car je l'adorais déjà la série Floris diffusée au Pays-Bas à la fin des années 60-début des années 70. C'était génial, une sorte de show médiéval à la Ivanhoe, quand j'étais jeune je sortais dans les rues avec mon épée en bois pour jouer Floris (rires) ! J'étais vraiment fier quand il est devenu célèbre internationalement dans des films comme Blade Runner, Ladyhawke ou The Hitcher. J'ai eu cette envie de le contacter quand je faisais du jogging et quand l'idée du concept m'est venue en tête, ce gars qui serait en phase terminale et qu'on congèlerait avant de le réveiller 200 ans plus tard... là il serait confronté à un psychologue qui l'aiderait à s'adapter lentement à ce nouveau monde. C'est là que le rôle de Rutger intervient. J'ai eu quelques idées de texte pour ce narrateur tout en courant, du coup j'ai poursuivi ma course jusqu'à ma maison et mon bureau où je me suis empressé d'écrire ces quelques lignes. Très vite, Rutger Hauer est devenu mon premier choix, c'était une évidence. Je ne voyais que lui pour tenir ce rôle. Et finalement, les références de Blade Runner sont nombreuses, entre lui, le Voight Kampff qui était un test pour déterminer si une personne était humaine ou en mode "replicant" mais aussi ce concept de "qu'est-ce qui est réel ou qu'est-ce qui ne l'est pas". L'histoire de ce solo album est proche de Blade Runner, il me fallait vraiment Rutger pour le rôle du psychologue. Je lui ai donc écrit sur son site officiel et, à ma grande surprise, il m'a répondu en personne deux jours après. Là il m'a demandé d'en dire plus, de lui envoyer la musique afin de voir si tout ceci pouvait se réaliser.
Ce premier contact a été réalisé il y a six mois environ, ensuite il a été parfois compliqué de le relancer car c'est un homme extrêmement occupé entre ses films mais également sa fondation Starfish Organization, il travaille constamment. Au final il a accepté, mais il a tenu à lui-même écrire son texte, nous n'avons donc cessé d'être en contact pendant de longues semaines sur Skype afin de finaliser les choses. C'était un moment exceptionnel pour moi, que d'être aussi proche de l'un de mes héros et de ne pas être déçu par ce contact. Parce que parfois tu as peur d'être déçu quand tu rencontres et parle avec une personne qui a énormément compté pour toi.
Fut-ce un travail totalement à distance ou est-il venu chez toi pour enregistrer ses parties ?
Au départ il voulait enregistrer chez lui, ce qu'il a fait un premier temps, mais la qualité du son n'était pas suffisante. En fait il a enregistré dans un hôtel au Chili puis il a renoncé et a décidé de lui-même qu'il devait aller dans un studio professionnel aux Etats-Unis, à Santa Monica (Los Angeles). C'est pour cette raison que mon album solo, qui devait sortir l'an passé, a été un peu retardé car il n'a pu faire cela qu'au mois de janvier, il était trop occupé avant.
Les textes qu'il déclame sont donc à 100% de sa composition ? Ils sont parfois étranges disons...
On peut le dire oui, ils sont très bizarres (rires) ! A la base je lui ai envoyé ce que Lori (NDLR : Lori Linstruth, la manager d'Arjen) et moi avions écrit, je pensais qu'il ne retoucherait rien... mais non, il a pris son rôle encore plus au sérieux et il s'est totalement lâché. La première fois qu'il m'a renvoyé un son, il m'a même dit : "J'espère que ça va te choquer", c'est dire (rires) ! Quand j'ai entendu et lu tout ça, j'étais sidéré, il y avait plein de "fuck" etc... du coup on s'est rééchangés quelques sons avant la version finale. Je l'ai laissé une liberté quasi totale et en fait ce que t'entends sur l'album est bien mieux que nos textes originaux.
D'autres invités sont à noter au niveau notamment du violon, du violoncelle ou de la flûte, histoire de garder une ambiance folk et donc organique sur l'album ?
J'ai toujours adoré le côté folk dans la musique, je ne pouvais pas imaginer ne pas en mettre ici. Cette histoire d'amour avec le folk est due à Jethro Tull je pense, entre autres. J'adore aussi des artistes comme Donovan ou Bob Dylan, n'oublions pas non plus Led Zeppelin qui avait pas mal d'influences folk dans sa musique. Et au final cet album est bel et bien un mix entre éléments du passé et du futur, pour cela il suffit de regarder la pochette qui mélange bien ces deux idées avec ce côté un peu ringard des films science-fiction sortis dans les années 50, tout cela réalisé avec une touche moderne par Claudio Bergamin. J'adore mélanger ces deux "extrêmes".
Wilmer Waarboek a également fait quelques choeurs, dont un petit chant extrême à la fin de "Parental Procreation Permit". Avais-tu travaillé avec lui sur Ayreon auparavant ?
Non, jamais, c'est la première fois ! En fait il s'agit... d'un fan ! Je l'ai découvert grâce à une reprise de la chanson "Newborn Race" qu'il avait mise sur Internet, en fait il m'avait aussi envoyé sa version de "And the Druids Turn to Stone" où il chantait à la place de Damian Wilson. Il était si jeune à l'époque, et déjà j'étais impressionné par sa voix... Quant à sa version de "Newborn Race", elle m'a cloué sur place, il a fait toutes ces voix et harmonies tout seul sans retouche studio. Du coup je l'ai invité chez moi, car je comptais me débarrasser de mon vieux système d'enregistrement et donc le lui offrir, je ne voulais pas le mettre en vente sur eBay. On en a profité pour jouer ensemble "Pinball Wizard" des Who avec ma guitare acoustique, et une nouvelle fois il m'a impressionné par sa voix. Je lui ai ensuite proposé de faire des choeurs pour mon album solo, il a de suite été emballé et a donc accepté sans hésiter... Je crois qu'il est venu chez moi 4 ou 5 fois pour les enregistrer.
Ce mec a une capacité vocale incroyable notamment pour les notes aigues - il peut même chanter plus haut qu'une femme s'il le veut, ce que je ne peux véritablement pas faire (rires) ! Et oui, il a aussi réalisé ce petit chant extrême, c'était d'ailleurs une idée spontanée de sa part ! J'avais vraiment besoin d'un autre chanteur pour les harmonies et c'était le choix parfait.
Parlons de la musique... pour le moins éclectique donc, une sorte de "Pink Beatles in a Purple Zeppelin" avec des influences folk à la Jethro Tull et la personnalité que tu t'es forgée pendant ses longues années de carrière. Considères-tu cet album comme un aboutissement en tant que musicien ?
Je suis extrêmement fier de cet album. J'ai réussi à ne pas imaginer ce que les gens en diraient, y compris sur le choix des titres de chanson... Certains sont quand même assez fous ! Je n'en avais rien à faire, j'y suis allé avec moi-même et sans compromis, en espérant tout de même que les fans ressentiraient la joie que j'ai eue à faire cet album. Après évidemment cela ne plaira pas à tout le monde, ceux qui espèrent un gros metal opera seront certainement déçus, mais c'est autre chose... Il n'empêche que je suis plus que satisfait du travail accompli. Cela fait 10 ans que j'attendais de le réaliser, et voilà qui est fait.
Alors bien sûr des gens vont dire "ah mais il se copie trop lui-même le père Arjen", mais comme tu le dis sur la deuxième piste du disque : "every song was made before" non ? Le message que tu veux faire passer ici c'est que la musique est bonne si avant tout elle est sincère et vient du coeur ?
Oui c'est vrai, c'est exactement ça. Il est quasiment impossible de faire quelque chose d'original de nos jours, tout ce qu'on peut entendre nous rappelle forcément quelque chose et diverses influences. Maintenant, tant que cela est bien fait et si ce n'est pas volontairement copié, je pense que ce n'est pas important. Il faut que cela reste sincère et non dans une optique de vouloir suivre une mode par exemple.
On a tous forcément ce "défaut", notamment nous chroniqueurs et journalistes musicaux, de tout ramener aux influences et de repérer quelques éventuels plagiats même involontaires...
Mais moi aussi ça m'arrive (rires) ! Ce que je n'aime pas par contre, ce sont ces gens qui nient avoir été influencé par tel ou tel groupe. Quand je vois que quelqu'un fait une chanson très influencée par Pink Floyd et qu'il me répond "non", que même il n'en a jamais écouté de sa vie, je lui dis : "Arrête un peu mec, admets-le au moins !"... voilà pourquoi j'ai intitulé une chanson "Pink Beatles in a Purple Zeppelin", ce sont mes influences principales et j'en suis fier. Et là j'enlève même le plaisir à certains journalistes qui auraient pu m'accuser de voler certaines musiques, vu qu'en fait je m'accuse moi-même ! (rires)
Bien évidemment ce Lost in the New Real est fortement conceptuel. Cependant le concept ne semble pas si linéaire et chronologique que cela même si il semble l'être... allez, tu as quelques secondes pour nous en expliquer les grandes lignes en une phrase, ensuite on développe ensemble les sous thèmes abordés !
En fait, le thème c'est un peu de voir à quoi ressemblerait le futur si soudainement tu te réveillais après 200 ans d'un long coma. Et une question essentielle : pourrait-on s'y adapter ? Voici les grandes lignes de l'histoire.
Il y a une certaine touche écologiste qui revient sur deux morceaux. La surpopulation sur "Parental Procreation Permit" et la nature qui se meurt sur "Yellowstone Memorial Day". Une vision pessimiste sur l'avenir ou une sorte d'appel à l'aide avant qu'il ne soit trop tard ?
Pas tellement, en fait ici je ne fais qu'observer ce qui se passe et j'essaye de deviner où nous en serons à l'avenir. J'ai un point de vue purement futuriste et basé sur la science-fiction, comme c'était le cas dans Ayreon mais sans les aliens ou trucs de ce genre. J'essaye d'être réaliste mais je n'essaye pas d'apporter de réponses, sur "Parental Procreation Permit" je vais même assez loin car imagine un monde où il faudrait avoir un permis pour faire des enfants, c'est tout de même assez dur... Pourtant on y va peut-être tout droit, car nous vivons de plus en plus vieux, les avancées de la médecine font que peu à peu nous guérirons plus facilement certaines maladies, alors qui sait ? Il est probable que certaines mesures drastiques soient prises un jour, regarde déjà en Chine où on ne peut avoir qu'un seul enfant par couple il me semble. J'essaye de rester malgré tout assez léger sur ces thèmes, la chanson "Dr. Slumber's Eternity Home" par exemple demeure très joyeuse et pourtant elle parle d'euthanasie, en quelque sorte de suicide même (rires) ! Il faut garder une certaine distance, je suis plus en mode observateur et je laisse quelques questions en suspens volontairement.
C'est amusant car sur "Parental Procreation Permit" justement on croit presque entendre une mélodie un peu folk orientale voire chinoise... J'ai pas rêvé ? (rires)
Ah oui, c'est pas faux, le *Arjen chantonne le passage en question*... C'est vrai ! C'est plus une cöincidence en fait... mais maintenant que tu le dis, dans les prochaines interviews je prétendrai que je l'ai fait volontairement ! (rires)
En attendant "Yellowstone Memorial Day" et "Parental Procreation Permit" sont sûrement les deux chansons les plus metal de l'album.
Sans aucun doute oui, surtout "Yellowstone Memorial Day" qui est en mode assez industrielle et qui démarre un peu comme une chansons des années 80s telle que The Sisters of Mercy aurait pu composer. Une sorte de pré-metal gothique. Ceci est sûrement dû à ma voix très grave, en fait je l'ai enregistrée très tôt le matin après m'être réveillé à 6h, ce qui donne une tonalité assez dark.
Le débat sur l'euthanasie est donc abordé sur "Dr. Slumber's Eternity Home"... as-tu un point de vue sur le sujet ?
Si quelqu'un a envie de mourir et qu'il peut être accompagné de façon douce dans un environnement merveilleux comme l'est la maison du Docteur Slumber, je pense qu'il devrait en avoir le droit. C'est mieux de pouvoir choisir ce genre de mort douce plutôt qe d'avoir à se jeter sous un train, se pendre ou sauter d'un immeuble, non ? Chaque personne devrait avoir la possibilité de contrôler son destin.
Avec cette tonalité heureuse tout au long du morceau pour montrer que la mort n'a pas à être un passage forcément triste ?
Oui en quelque sorte, mais c'est un peu comme sur la chanson "When I'm a Hundred Sixty-Four" où le message est clair : "Bon, je me suis bien amusé, c'est cool les gars, mais il est temps que j'y aille là !". La mort n'a pas à être un drame.
"Don't Switch Me Off" pourrait aussi être un écho sur ce débat, mais elle semble plus être une chanson pivot du concept vu que la mélodie et les dernières paroles sont en quelque sorte reprises à la toute fin de l'album...
En fait c'est avant tout une chanson sur les ordinateurs, aucun lien avec l'euthanasie. Je pense que dans le futur les ordinateurs finiront par ressentir des émotions, tout deviendra si réel que ce ne sera pas étonnant d'entendre une machine dire "Ne m'éteins pas" parce qu'elle voudra rester avec toi. Et en effet ces paroles reviennent à la fin de la dernière chanson "Lost in the New Real", sauf que là c'est le héros Mr. L. qui dit ces mots, il réalise qu'il n'est plus si humain que ça si tu vois ce que je veux dire.
On dirait presque que "Don't Switch Me Off" est une chanson d'amour d'ailleurs...
Oh oui, pas loin, d'ailleurs c'est sûrement l'une de mes préférées. Anecdote amusante à son sujet, au départ j'avais 15 chansons pour cet album mais il fallait vraiment que j'en choisisse 10. J'ai donc organisé une listening session avec plusieurs fans hollandais, et je leur ai demandé des les noter ou d'écrire quelques mots sur chacune d'entre elles. Au final, à ma grande surprise et détresse, cette chanson a été classée dernière... Je me demandais pourquoi j'étais le seul à l'aimer (rires) ! Mais bon j'ai pris le risque de la mettre quand même, je l'aime trop donc tant pis (rires) ! D'ailleurs la préférée des gens lors de cette session d'écoute était "Where Pigs Fly", dire que j'avais écrit cette chanson en mode blague... (rires)
L'immortalité, un vieux rêve humain... espères-tu vraiment vivre 164 ans comme tu le chantes sur "When I'm a Hundred Sixty-Four" ?
Non, je ne pense pas, c'est d'ailleurs un peu ce que je dis dans la chanson. Je pense qu'arrivé à mes 80 ou 90 ans, j'en aurai assez, je serai déjà assez content d'avoir eu une aussi belle vie. Il sera temps que ça s'arrête. Maintenant tout dépendra aussi de comment je serai à cet âge là, qui sait ?
Et Internet, notre quotidien à tous désormais... toutes ces heures perdues sur la toile, sur Facebook, on en sait quelque chose toi et moi (rires en mode *private joke*) ! "E-Police" est une chanson qui est encore plus d'actualité depuis que le FBI a fait fermer Megaupload... tu es un visionnaire car tu l'as sans doute écrite avant ! (rires)
En effet je l'ai écrite avant. Bien sûr ici j'aborde ce thème en choisissant une vision extrême, proche de Big Brother comme l'a décrit George Orwell dans le temps. Mais au final je pense vraiment que quelque chose doit être fait pour protéger les artistes, qu'ils soient dans l'industrie musicale ou dans le cinéma. Je n'apporte là non plus aucune réponse, mais il semble évident qu'un certain contrôle doit être maintenu. Bien sûr les gens me détesteront si je m'étends trop sur le sujet, alors je dois faire attention à ce que je dis... (rires)
En fait je suis un peu de la vieille école, je regrette cette époque ou on pouvait anticiper une sortie et attendre avec impatience le jour où on pourrait avoir le disque entre ses mains. Je me souviens quand j'étais jeune, quand j'attendais un nouveau Led Zeppelin par exemple, je passais mon temps à laver des voitures dans les rues afin d'avoir un peu d'argent de poche. Et le jour de l'achat, j'étais comme un fou, je m'enfermais dans ma chambre à écouter le vinyle au moins 20 fois, à redécouvrir constamment certains morceaux, à aimer une chanson que je n'aimais pas à la première écoute... C'était vraiment magique ! Aujourd'hui tout est plus accessible, mais je doute que ce soit aussi drôle qu'avant. Enfin bon je ne veux pas m'étendre dans la critique, c'est comme ça que les choses évoluent et on doit l'accepter.
Dans un monde où les poules auraient des dents ("Where Pigs Fly"), que serait Arjen Anthony Lucassen s'il n'était pas musicien ?
Bonne question (rires) ! Déjà je pense que je serai un nain... avec des cheveux courts... et j'aimerais le rap ! (rires)
(rires) Pas un truc du genre astronaute ?
Nan, je ne pense pas que j'aurais la patience pour ça ! (rires)
Reste à parler de la réalité... "What the hell is real, Mr. L.?"... Te poses-tu cette question toi-même parfois ? Est-ce que cela est lié à un questionnement sur l'existence humaine par exemple ?
Sûrement oui, d'ailleurs à ce sujet je cite souvent Rush : "Why does it happen? Because it happens" (NDLR : Paroles extraites de la chanson "Roll the Bones"). Pourquoi sommes-nous ici ? Parce que nous sommes là. Un constat assez simple, mais c'est ce que j'aime justement ici... Tout ceci renvoie à ce que je dis dans "The Sixth Extinction" (NDLR : Chanson d'Ayreon) : "The meaning of life is to give life meaning" ! Bien sûr ce n'est pas simple, pas pour tout le monde en tout cas.
En fait, si j'ai bien compris, cet album est basé sur la philosophie même de "pourquoi vit-on ?" ... et du coup il n'apporte pas vraiment de réponse ! Parce que cela nous est impossible... sauf peut-être après notre mort va savoir...
Même pas je pense, même pas...
Au final, peu importe l'interprétation qu'on donne au concept de l'album, l'important reste la musique non ?
Oui c'est vrai, même si les paroles peuvent donner une dimension extra-dimensionnelle à l'ensemble et renforcer certaines sensations. C'est un peu comme ça que je le ressens. Quand j'étais plus jeune j'écoutais beaucoup l'opéra rock Jesus Christ Superstar, j'adorais la musique mais pas seulement, les paroles ainsi que le livret apportaient une touche supplémentaire au travail réalisé.
Un mot sur la pochette très colorée réalisée par l'artiste chilien Claudio Bergamin... A-t-il suivi des instructions très précises ou as-tu laissé aller son imagination ?
Oh nous avons passés des mois à discuter chaque jour afin d'obtenir le meilleur résultat possible ! Bon, parfois on passait plus de temps à faire des blagues sur Star Trek car nous sommes tous les deux super fans (rires) ! Nous sommes deux vrais geeks lorsqu'on parle science-fiction (rires) ! En fait nous avons beaucoup de goûts communs, on s'est vite très bien accordé sur le fond mais on hésitait sur pas mal de points, à savoir si on devait faire de cette pochette quelque chose de ringard ou de plus moderne... On a aussi travaillé la présentation du livret ensemble, et c'est génial car chaque image contenue en son sein est totalement différente car chacune représente des paroles ou des styles bien précis, à l'image des diverses chansons de l'album. C'était amusant de travailler ensemble, il a fait quelque chose de fantastique.
C'est quelque chose de très important pour toi je sais, tout ce qui est artwork...
Oui, tu n'imagines même pas combien j'ai pu acheter d'albums juste pour avoir le livret sous les yeux ! Parfois ça compensait un peu la déception quand la musique n'était pas à la hauteur de mes espérances.
J'imagine que jouer ces chansons en Live un jour ne fait pas trop partie de tes projets, à moins que...
Hmmm, je pourrais bien faire quelques shows acoustiques ponctuels dans des magasins de disque par exemple, si ça peut les aider un peu vu le contexte économique difficile je suis partant. Je m'imagine bien jouer pour une cinquantaine de fans, dédicacer des albums etc... Par contre, refaire une tournée, je ne veux vraiment pas. Je déteste ça désormais. Je l'ai déjà fait pendant 15 ans de ma vie, j'ai fait mes premiers concerts à 18 ans. J'aimais bien ça à l'époque mais aujourd'hui très peu pour moi. C'est une période absolument pas créative pour un musicien, tu passes la plupart du temps à attendre et à parler avec des gens dont tu te fiches éperdument, ce n'est plus pour moi. En fait j'ai en partie créé Ayreon pour cette raison : ne plus avoir à jouer live ! Après voilà, j'ai fait quelques shows pour faire plaisir aux fans, mais c'est tout.
De quoi sera fait ton avenir désormais ? On peut imaginer plein de choses... Le retour de Ayreon, un second Guilt Machine, un troisième Star One, un come back inattendu de Ambeon, quelque chose de nouveau encore...
Habituellement je ne fais pas trop de prévisions sur le long terme, je préfère prendre mon temps pour bien faire ce que j'aurai envie de faire à un moment donné. D'ailleurs, après la sortie d'un album, il y a souvent une période terrible que j'appelle le "trou noir" (The Black Hole Period) où je me sens vide, sans idée, et où j'ai peur à chaque fois de ne plus jamais être inspiré. Mais après ça revient, enfin normalement (rires), et une fois que la musique se rappelle à moi je commence à réfléchir au concept ainsi qu'au projet que cela concernera.
Maintenant, pour être honnête, j'espère que mon prochain projet sera un nouveau Ayreon, je sais que les fans n'attendent que ça et il est vrai que cela fait un petit vide depuis quelques années.
A suivre alors, avec peut-être Wilmer Waarboek dedans qui sait ?
Oh oui pourquoi pas, j'essayerai sûrement de lui donner un bon rôle vocal !
En tout cas, tant que tu n'arrêtes pas la musique...
Non non, ne t'en fais pas, je serais bien incapable de faire autre chose et je serais très malheureux. Je pense que j'irais visiter la maison éternelle du Docteur Slumber sans elle... (rires)
En réécoutant Guilt Machine l'autre jour, je me demande encore comment ça n'a pas pu disons "bien marcher"...
J'avoue que je ne sais pas trop moi-même. Peut-être était-ce trop sombre ou alors ne connaissaient-ils pas suffisamment le chanteur ? Beaucoup de gens ont aimé l'album mais il s'est peu vendu comparé à mes autres projets.
Revenons une dernière fois à Lost in the New Real, il faut quand même prévenir les fans qu'une seule écoute risque d'être insuffisante pour bien apprécier l'album.
Peut-être, mais là j'aurais du mal à te répondre objectivement par l'affirmative, même si au fond de moi je pense la même chose. Il y a des morceaux accrocheurs comme "Pink Beatles in a Purple Zeppelin" qui peuvent de suite être aimés, mais pas seulement !
Et musicalement, as-tu réussi à découvrir de bons groupes ou albums récemment ou restes-tu en mode "Pink Beatles in a Purple Zeppelin" justement ?
J'essaye toujours de me tenir au courant et de découvrir de nouvelles choses, mais c'est de plus en plus dur... Après tout, "every song has been done before" (rires) ! Du coup c'est vrai qu'il m'est de plus en plus difficile de trouver des nouveaux trucs que j'aime...
Un rapide mot, car le temps nous manque malheureusement, sur les reprises qui figureront sur le second CD. On ne va pas les renommer toutes...
... Sinon on finirait à minuit (rires) ! En fait pour bien les choisir j'ai demandé de l'aide à mes fans sur Facebook, ils m'ont donné d'excellentes idées sur des chansons ayant un lien avec le futur. C'est grâce à eux que ces chansons ont été enregistrées.
Et quand on écoute "Welcome to the Machine" de Pink Floyd, une des chansons choisies ici, on sent bien qu'elle est faite pour toi et qu'elle t'a beaucoup inspiré.
Oui, c'est ma préférée des Floyd après "Echoes" ! Elle se prête parfaitement au concept en plus... Mais j'ai hésité, je me suis longtemps demandé : "Dois-je la retoucher ? Elle est si magique !". J'ai donc décidé d'en faire un version totalement différente de l'originale. Et tu verras, elle ressemble un peu à du Rammstein !
Très intéressant, on a hâte d'écouter ça ! En tout cas merci et bonne chance.
Merci à toi Julien, on se reparlera très certainement la prochaine fois... peut-être pour un nouveau Ayreon qui sait ?