Entretien réalisé le 27 octobre à Paris après le show de Wardruna au Divan du Monde
Très chaleureux, Gaahl m'accueille dans sa loge juste après le concert et m’offre une bière avant d’entamer l’interview.
C’est un personnage calme, qui pèse ses mots, ne se précipite jamais juste après une question. Il gère les silences et ne comble pas les réponses par des mots superficiels.
Lionel / Born 666 : Quelles sont les plus grandes différences entre tourner avec Wardruna et God Seed ou Gorgoroth ?
Gaahl : Oui… (Rire) Voyons voir… (Silence) Tu sais c’est très difficile de répondre parce que l’on tourne de façon complètement différente. Avec God Seed on a tourné avec un Tourbus donc on avait un peu plus de temps. On a encore peu tourné avec Wardruna mais ça va changer par la suite. La façon de voyager est aussi très différente parce que l’on fait un mini tour actuellement.
Lionel : Comment ressens-tu sur scène le fait que de nombreuses personnes sont là pour te voir, toi, dans le projet de Wardruna ?
Gaahl : Et bien la différence d’énergie entre God Seed, ou Gorgoroth avant et Wardruna est la façon dont tu procèdes. Je suis ce que je joue sur scène. Je suis ce que je représente. Il y a donc beaucoup de personnages derrière cela, beaucoup d’angles différents de ma personnalité. Je n’ai jamais été un personnage Noir et Blanc, j’ai toujours su faire la différence entre l’énergie que je peux dégager en concert et celle que je donne en privé. Et avec Wardruna c’est une autre palette de mon caractère que je présente actuellement.
Lionel : Mais quand tu joues dans God Seed, ou avant dans Gorgoroth, on peut dire que tu te caches derrière un masque avec le Corpse Paint, mais là dans Wardruna tu es comme nu devant nous !
Gaahl : (Rire) Oui, mais j’ai quand même des vêtements. Je pense que l’énergie est en relation avec le Black Metal ou le Metal plus généralement. C’est comme pour accentuer mon expression. Quand je suis sur scène je ne suis pas conscient que je porte un maquillage. Ma conscience ne le prend pas en compte, mais après un concert je réalise que cela a aussi participé à la montée d’énergie de l’audience. C’est ce que je veux donner.
C’est la même chose avec Wardruna, je ne bouge pas sur scène avec les vêtements que je porte habituellement. Personnellement je me sens un peu mal à l’aise dans ce genre de vêtements. Mais pour aider à donner une image de ce que le groupe veut représenter sur scène je porte donc cet accoutrement. C’est donc un peu comme porter des peintures mais pas sur mon visage (rire).
Lionel : Comment ressens-tu le regard des gens quand tu es chez toi à Bergen sachant que certains d’entre eux savent qui tu es et ce que tu représentes sur scène ? Est-ce facile à vivre ?
Gaahl : Je me sens mal par rapport à ça. Tu ne dois par perdre le contrôle de toi-même par rapport aux points de vue différents de l’autre. J’ai toujours ressenti des difficultés à aller vers les gens, me rapprocher des autres. Je suis seulement quelqu’un de normal, mais j’ai l’honneur d’avoir la possibilité de créer des chansons qui touchent les gens d’une certaine manière. C’est vrai que c’est une bonne chose de savoir que des personnes possèdent quelque chose que j’ai créé. J’aime créer pour donner par la suite.
(Apparition du manager qui interrompt l’entretien afin que Gaahl réalise des dédicaces…)
Lionel : Te souviens-tu d’un long documentaire réalisé pour une web TV qui avait fait un reportage (True Norvegian Black Metal) en Norvège ? L'équipe avait essayé de te suivre dans les montagnes enneigées où tu les avais emmenés, jusqu'à la cabane que ton grand père avait construit de ses propres mains. Ils en avaient été traumatisés jusqu’à l’épuisement, la peur et la souffrance...
Qu’en as-tu retiré de cette expérience ? Parce que tu as été très dur envers eux, ils avaient l’air traumatisé...
Gaahl : (Rire)… oui effectivement cela devait être en Février, peut-être 2006 et j’étais encore dans Gorgoroth, cela devait être juste avant la sortie de Ad Majorem Sathanas Gloriam…quelque chose comme ça…
Lionel : Et à la fin du reportage, ce qui frappe c’est que le journaliste te pose une question qui reste longtemps en suspens…
Gaahl : Cette équipe m’a suivi pendant quatre ou cinq jours et il y avait toujours des questions nouvelles chaque jour ; et quand tu dis quelque chose et que tu essayes d’expliquer que tu ne veux pas que les gens te suivent partout ça choque un peu. Je ne veux pas diriger et ce que je voulais c’est que les gens comprennent qu'ils doivent faire les choses par eux-mêmes et qu’ils doivent se prendre en main.
Lionel : Tu veux peut-être dire que ces gens n’étaient pas des fans de Black Metal…
Gaahl : Si. Ils connaissaient mais pas comme des fans. C’est pour cela qu’ils ont fait ce documentaire. Ils voulaient essayer de comprendre pourquoi cette énergie devenait aussi grande et montrer ce qu’elle était en train de devenir. Tu sais, la Norvège est un grand pays mais peu de gens comprennent que cette musique a un tel impacte sur le monde entier. C’est ce qui a rendu les gens si curieux jusqu’à Los Angeles…
Lionel : Mais maintenant tu vis tranquillement de ta musique ?
Gaahl : (heum) Parfois oui mais ce n’est pas si simple. J’ai connu des moments où il fallait que je me débrouille. Je suis payé pour mes shows mais ce n’est pas la panacée et devenir riche n’est pas non plus mon but.
Lionel : Et pourtant tu vis ton Satanisme. Est ce vraiment une chose importante pour toi ou plus un état d’esprit parce que tu es norvégien ?
Gaahl : Je l’ai toujours été. Tu dois toujours te rappeler comment les gens te perçoivent et comment les médias te décrivent. Et ces derniers aiment les choses extrêmes donc il se peut qu’ils ne connaissent pas toute l’histoire. Ils aiment les gros titres. Mais heureusement tous ne sont pas comme ça.
Lionel : Comme pour Varg en France l’été dernier…
Gaahl : Non je n’ai pas suivi ces choses et je préfère que l’on parle du Satanisme. J’ai une extrême répulsion envers le christianisme ou les religions monothéistes et cette idée que quelqu’un puisse dire « Ceci est Dieu ». On doit trouver toutes les traces du Dieu que l’on a en soi et non pas parce que quelqu’un te la dit ; mais plutôt parce que tu ressens quelque chose en toi.
Je méprise le Dieu qui proclame « tu as seulement le droit de croire en moi ». La signification du Satanisme pour moi c’est "moi seul contre tous". Alors que le monde christianisé dicte comment les gens doivent vivre leur religion, mais il en est de même pour l’Islam aussi. Ils ont tous le même Dieu, ce Dieu monothéiste.
Et pour eux, je suis Sataniste mais pour moi je ne suis pas Sataniste car leur Dieu et donc leur Satan n’existe pas pour moi. Dans un sens le satanisme n’est pas une part de moi ou de mes convictions, mais pour eux : Je suis un sataniste !
Lionel : Alors pour toi qu’existe-t-il après la mort ?
Gaahl : Moi je sais, mais tu dois le découvrir par toi-même…
Lionel : Mais c’est une réponse facile que tu me donnes…
Gaahl : Oui, mais pourquoi devrais-je donner de l’espoir ou de la crainte à quelqu’un qui m’écouterait ? Chacun doit penser par soi-même.
Lionel : Es-tu heureux dans ta vie ?
Gaahl : Bien sûr, sinon pourquoi devrais-je vivre (rire)…
Photo : Lionel / Born 666 / © 2013
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.