Bienvenue chez les Ch'tis... au Festival des Arts Noirs !
Tyrant Fest, voilà un nom qui évoque la douceur de vivre et l’ode à la joie métallique ! Voyons voir si ces promesses vont être tenues...
Cette seconde édition de ce festival nordiste, version 2017, a pris nettement de l’ampleur, à la fois par son affiche et sa durée, sur tout un week-end cette fois. Oignies n’est pas forcément la destination de vacances que j’aurai choisie en priorité, mais il faut reconnaître que le très beau site du Métaphone, co-organisateur de cet événement, vaut le détour. Construit comme un hommage au passé noir et charbonneux de la région, avec d’anciens puits encore visibles, il est désormais consacré aux musiques et cultures actuelles. De là à y placer un festival d’arts noirs qui met en avant toute la culture autour du metal sombre tel que le veut le Tyrant Fest, il n’y a qu’un pas qui m’a encouragé à traverser la moitié de la France pour me rendre compte par moi-même.
Reconnaissons que la proximité de l’agglomération lilloise, et donc de la Belgique et une distance raisonnable pour venir des régions limitrophes et bien sûr de Paris, constitue un atout pour ce festival, qui peut donc drainer un certain public. L’affiche est fortement orientée vers le côté sombre du black metal, celui qui apprécie la noirceur de l’âme et les cris déchirants bien plus que le massacre à la tronçonneuse et les coups de mitraillettes tirés en rafale.
Nous avons donc là quelques fleurons de la scène « post black metal », dont la France compte de glorieux représentants comme Regarde les hommes tomber, Deluge ou The Great Old Ones. Si on ajoute à cela des formations évoluant dans des styles proches, quelques groupes locaux de qualité et des têtes d’affiches compatibles avec la noirceur générale, il y a tout à parier que l’événement soit un succès.
Comme l’association co-organisatrice Nao Noïse a décidemment de bonnes idées, il y aura aussi un côté culturel bien présent avec une conférence donnée par un anthropologue spécialisé dans la musique metal et ses influences, la projection d’un documentaire et des exposants évoluant essentiellement dans le graphisme et l’art.
J’arrive vers 14h00, pour l’ouverture de l’Annex, qui comme son nom le suggère, se trouve à côté du bâtiment où se dérouleront les concerts. Celui-ci accueille tatoueurs, graphistes et illustrateurs, et même le stand d’un barbier, ou plutôt d’une barbière en l’occurrence. C’est également ici que se trouve une petite salle de conférence qui servira à plusieurs reprises durant le week-end.
Le temps de faire un petit tour, de regarder les échoppes, de prendre une petite bière, et voilà qu’il est déjà quinze, heure de début de la conférence donnée par un jeune docteur en anthropologie qui répond au nom de Corentin Charbonnier, et dont je serais prêt à parier une pinte que vous allez encore entendre parler à de nombreuses reprises à l’avenir.
La conférence porte sur l’évolution de la culture metal, et de ses adeptes, en France, et s’appuie notamment sur des études chiffrées faites au Motocultor. Je dois avouer que le conférencier est intéressant, a un solide sens de l’humour et sait rendre sa prestation vivante. Le profil de l’amateur moyen de metal qu’il dresse est illustré de statistiques et pose des questions sur l’avenir de ce genre musical qui a jusqu’à présent su évoluer à travers les décennies.
La conférence dure près d’1h10, et je regrette qu’il n’y ait pas eu davantage de temps, ce qui a obligé Corentin à passer sur certaines parties, qui auraient pu être développées avec intérêt. Mais concert d’ouverture oblige, il fallait rester dans des durées raisonnables. En ce qui me concerne, c’est bien une des rares fois où une conférence sérieuse ne m’ennuie pas. Sans doute est-ce dû à l’intérêt de la thématique, mais pas seulement…
Je traverse la grande cour pour me rendre au bâtiment principal du Métaphone, où se trouve une très belle salle de concert. Le public est déjà en nombre, mais la salle est dimensionnée largement, avec des escaliers menant aux balcons, ce qui permet d’apprécier le premier groupe dans de très bonnes conditions.
The Lumberjack Feedback
The Lumberjack Feedback est un groupe exerçant dans le style du sludge et doom metal. Ils viennent de Lille, et sont donc des locaux bien connus ici. Personnellement, j’ai déjà pu les admirer au Hellfest, et bien que ce ne soit pas exactement mon style de prédilection, j’ai gardé un souvenir d’un concert de qualité et d’une musique assez originale.
Leur prestation de ce samedi est largement à la hauteur de mes souvenirs, à vrai dire, même bien au-delà. Le son est excellent et les jeux de lumière contribuent clairement à un spectacle mémorable. L’originalité de disposer de deux batteurs a été mise en avant par un éclairage décorant les fûts. La musique assez planante de la formation gagne encore avec une imagerie cosmique laissant la part belle à l’imagination.
Ce concert donne la preuve, s’il en fallait, que The Lumberjack Feedback gagnent à être davantage connus et que nous avons là un trésor encore à moitié caché. Le concert va donc crescendo, pour se terminer par le massacre d’une batterie à grand coup de sticks.
Necrowretch
Le temps d’une assez longue pause, permettant de se désaltérer, d’aller fumer dehors ou même de retourner à l’Annex, et nous voilà déjà en fin d’après-midi. A 17h45, la nuit est déjà tombée sur le site et un autre groupe, à savoir les Valençois de Necrowretch, monte sur la scène.
Le groupe pratique un death metal aux influences blacks. Des morceaux percutants et incisifs et un frontman, Vlad, très en forme aussi bien au chant qu’à la guitare. Le public ne s’y trompe pas, et la sauce prend assez rapidement. La frange du public la plus extrême apprécie et les morceaux s’enchaînent avec brutalité. Je dois avouer que le groupe semble avoir une certaine efficacité scénique. Du batteur qui enchaînent les poses hallucinées, aux trio de cordes qui occupent la scène dynamiquement, sans pour autant tomber dans un excès artificiel qui serait de toute manière incongru vu le style musical exercé.
Necrowretch est une valeur sûre de la scène death/black française.
Au-Dessus
Après une nouvelle pause assez longue pour pouvoir profiter de l’ambiance et discuter à droite et à gauche, c’est au tour des Lituaniens d’Au-Dessus de monter sur scène. L’ambiance va être beaucoup plus calme que pour le groupe précédent, dans le style post black metal atmosphérique qu’affectionnent visiblement les organisateurs du Tyrant Fest, à en juger par la programmation qui met en avant le genre.
J’ai raté une grande partie de leur show (trop) matinal au Fall of Summer, mais le peu que j’en avais entendu et vu m’avait donné envie de me pencher davantage sur leur unique album « End of Chapter » sorti cette année chez les Acteurs de l’Ombre. La qualité est là, et même si certains pourraient dire qu’il ne s’agit que « d’un groupe de plus » exerçant dans la version moderne du black metal, qui s’affuble du préfixe « post » pour bien montrer que nous sommes allés au-delà des classiques, le groupe a indéniablement un avenir dans cette scène.
Certes, la volonté de jouer le visage couvert avec une prédominance de ténèbres plonge rapidement le public dans une transe, mais le groupe évite la plupart du temps le piège d’une musique trop redondante. Les cris occasionnels viendront réveiller les spectateurs les moins réceptifs, qui se surprendront sans doute à secouer lentement leur tête.
Alors que l’Annex ferme et que le public s’attroupe devant les stands de nourriture vite dévalisés, il y a juste le temps de se sustenter car les têtes d’affiche arrivent !
Wiegedood
Les connaisseurs apprécieront la présence de Wiegedood.
Ce groupe belge fait partie du collectif Church of Ra, tout comme Amenra initialement prévu en tête d’affiche de la soirée. L’ambiance torturée du black metal, avec le chant douloureux qui l’accompagne, laisse place aux influences atmosphériques et froides d’une musique plus complexe et plus lente. Wiegedood (littéralement « la mort dans le berceau ») parvient à rajouter une touche de noirceur sur une obscurité déjà profonde après le passage d’Au-Dessus.
L’impression qui se dégage du concert est une touche d’intellectualisme musical. Le guitariste et hurleur, Levy, s’arrête souvent pour réaccorder son instrument, ce qui donne un côté « café-concert de la Faculté des Beaux-Arts » au show. Je ne dis pas ça de manière caricaturale, mais au contraire, on sent un côté posé à la prestation, mais aussi une performance au sens artistique du terme.
Shining
Il est déjà 22h et c’est l’heure du dernier concert. J’avoue que pour un samedi soir et un jour férié, cela me parait un peu tôt, mais ne soyons pas trop exigeant. Avec Niklas Kvarforth, on ne sait jamais trop à quoi s’attendre. Parfois, il joue visiblement à contre-cœur devant un public qu’il semble mépriser, d’autres fois, le côté flamboyant du personnage donne lieu à d’excellents shows.
Je suis donc bien curieux de voir dans quel type de soirée nous nous trouvons ici en ce 11 novembre. Le frontman est connu pour ses frasques, notamment avec les spectateurs du premier rang. Mais il y a forcément toujours des curieux, ou des inconscients, qui s’y prêtent.
Après une introduction toute en douceur, le show débute assez frénétiquement avec « Vilja & Dröm ». Le personnage de Niklas est malsain. Il en joue et en abuse, mais au fond, on ressent qu’il y a une part de vérité et que tout n’est pas juste là pour le show. En ce sens, le côté authentique de la musique se ressent et pour un public venu chercher de la noirceur, il ne peut qu’être ravi.
Evidemment, le style de Shining peut ne pas plaire à tout le monde, car il laisse la part belle aux mélodies et aux ambiances éthérées, mais quoiqu’il en soit, la part torturée de l’âme sent l’appel. Dès le début de concert, le chanteur s’empare du smarphone et s’amuse à se filmer et à se prendre en photo. Sans doute est-ce là sa manière de critiquer ceux qui passent leur temps à enregistrer les concerts avec un appareil plutôt que de le regarder avec leurs propres yeux et de le vivre entièrement…
A la fin du premier titre, Niklas souhaite une bonne soirée au public et enchaîne avec « Framtidsutsikter », la ballade de référence du groupe qui a le mérite de siphonner la dernière once de joie que l’on pouvait avoir. J’admire toujours la capacité de Peter Hus de rester stoïque et concentré sur son jeu de guitare pendant que son collègue s’amuse.
Le troisième titre sonne l’heure de sortir le whisky, de le cracher sur le public, mais aussi de servir de généreuses rasades à quelques élus du premier rang. Evidemment, avec toute la douceur de Kvarforth, qui n’hésite pas à maintenir ferment la mâchoire d’une spectatrice avant de l’obliger à avaler l’eau de feu. Certes, elle ne semblait pas opposée à se désaltérer quelque peu, mais tout de même.
Quelques gobelets ont été jetés vers Niklas, mais la réaction va du mépris à la petite provocation proportionnelle à la faute. Sans doute le lanceur espérait une réaction plus conséquente, mais pas de chance, Niklas semble « de bonne humeur » ce soir et ne se laisse pas déconcentrer.
La frénésie revient avec le rapide « Ohm » et les sourires déments s’enchaînent avec les regards fixes dans le public. D’autres péripéties animeront le concert, comme cette jeune fan qui profitera du fait que Niklas s’accroupisse non loin d’elle pour poser sa main sur sa cuisse. D’abord, il retire vivement sa main, avant de revenir un peu plus tard pour la lui reprendre et la poser lui-même sur sa cuisse.
Au niveau musical, il faut reconnaître que Shining a toujours combiné des riffs accrocheurs, comme sur l’excellent « Låt oss ta allt från varandra » par exemple, avec des passages plus torturés et des ballades désespérées, aux influences blues évidentes. On aime ou n’aime pas, mais les œuvres marquantes combinent souvent ces deux caractéristiques, quel que soit le domaine.
Après un peu plus d’une heure de show, nous arrivons au dernier titre, « For The God Below ». Niklas finit par se délester de son tee-shirt, avant de discuter avec un fan du premier rang, en lui faisant croire qu’il va pouvoir récupérer le vêtement, puis par finir par le donner au dernier moment à une jeune femme juste à côté, visiblement comblée par ce cadeau inespéré. Il distribuera ensuite de généreuses rasades de faux sang, en en buvant lui-même, avant d’embrasser goulument une demoiselle assise sur le côté de la scène.
La question que je me posais au début du concert a donc eu sa réponse, nous avons vu un Niklas plutôt de bonne humeur et en forme. Le reste du groupe ayant toujours été d’une efficacité et d’un stoïcisme remarquable, il en a résulté une prestation dans le haut du panier de Shining.
Il est à peine 23h et il va falloir sortir sous la petite pluie qui finira par grossir pendant la nuit. C’est un peu dommage de terminer un samedi soir si tôt. D’autant plus que le site est un peu excentré et que de toute manière, Oignies n’est pas à proprement parlé l’endroit idéal pour sortir le soir.
Il ne reste donc plus qu’à reprendre la voiture… En attendant le lendemain, avec le second jour du festival.
Thomas Orlanth
Photos:
(c)Thomas Orlanth
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