Bienvenue au Festival des Arts Noirs, où se mêle la culture, la mine et le metal extrême !
Ce samedi, dans le Nord, point de gilets jaunes mais plutôt une armée de vestes à patch qui patiente devant le Metaphone, salle d'art et de culture placée au beau milieu d'une ex-zone minière réhabilitée, au pied d'un terril. Au programme de cet excellent festival, deux jours de concerts, d'expositions et de rencontres avec divers artistes et artisans, des randonnées, des tatouages... Bienvenue chez les amateurs d'arts noirs, de métal, de bières et de grosses guitares !
L'Annex ouvre en premier, avec une sympathique exposition des oeuvres de quelques grands noms des arts graphiques sombres comme Above Chaos, Den Sohra, William Lacalmontie, Paul Naassan, Arkhoss et Infekt 777. On les retrouvera d'ailleurs le lendemain lors d'une table ronde sur l'art et le metal.
Cette année, le Tyrant Fest innove avec quelques concerts dans la petite salle intimiste de l'Auditorium, habituellement réservée aux conférences. D'ailleurs, avant que ne résonnent les premières notes de musique, c'est à Nicolas Bénard à qui revient l'honneur d'ouvrir le débat avec le très sérieux sujet "Les différents imaginaires Metal: représentations et sources d'inspiration". Et nous en profitons donc pour mettre la première citation de Malraux dans un live report sur La Grosse Radio...
L'aspect culturel est d'ailleurs un point fort du Tyrant Fest, qui se veut le festival des Arts Noirs au sens large du terme. Les lieux s'y prêtent parfaitement, et le côté festival indoor avec plusieurs bâtiments convient bien à de véritables petits pôles culturels. N'oublions pas la zone Vigo du "black market" et ses exposants, qui regroupe labels et artistes divers.
(Les joyeux comparses du MAXI CAT Sérigraphie Radioactive, entre autre stand de qualité !)
Throane
Après avoir visité les lieux rapidement, c'est déjà à Throane d'ouvrir la fête dans la salle de l'Auditorium. Avouons que l'on peut être dubitatif devant le choix de faire jouer des groupes dans une si petite salle, alors que la grande scène pouvait accueillir encore davantage de concerts. Mais après tout, le côté intimiste peut plaire. Par exemple, la musique torturée et planante des Français de Throane se prêtait bien à la quasi-obscurité et à cet environnement cloitré.
Zatokrev
La Suisse est à l'honneur en ce premier jour de festival, avec deux groupes à l'affiche, Schammasch et Zatokrev, tous deux originaires de Bâle – certains musiciens d'ailleurs sont passés par l'un des groupes avant de rejoindre l'autre ! Zatokrev, le premier à entrer en scène, aura pour lourde tâche de lancer le festival et d'attirer le public présent dans l'autre salle du site, vers la salle du Métaphone. Dès les premières notes, on sent bien que les Helvètes ne viennent pas pour amuser la galerie. Ils assènent sans complexe un gros sludge sourd et puissant, qui vient prendre aux tripes le public encore clairsemé de la scène d'Oignies.
Le son est excellent, les riffs enivrants, et le public comme envoûté. Le chanteur-guitariste Frederyk Rotter (ex-Schammasch) pousse des cris déchirants à la Neurosis, sur des morceaux lourds, mélodiques et psychédéliques qui font s'agiter les têtes dans la fosse. Il y a des moments de grâce dans le set, comme avec le splendide morceau « Bleeding Island », mélodique et solennel, ou quand les trois musiciens (Lucas, Frederyk et Tobi) chantent ensemble. Le groupe en impose au niveau musical, avec des variations de styles, un jeu sur le larsen qui fait vibrer la salle du sol au plafond, des intros acoustiques, atmosphériques, un son puissant et hypnotisant basé sur la lourdeur des guitares. Somme toute, une entrée en matière de qualité, saluée par des applaudissements chaleureux du public, auquel le chanteur répond en envoyant des baisers ! Et la tendresse…
Thaw
A peine le temps de goûter aux bières locales, le deuxième groupe fait son apparition. Il faut dire que l'organisation est précise et très efficace, avec des techniciens rapides et un accès extérieur derrière la scène qui permet des changements de set en un temps record. C'est au tour des polonais de Thaw de venir faire goûter aux ch'tis leur black expérimental aux tonalités doom. Le chanteur-growler Piotr Gruenpeter , également aux claviers, n'a pas le physique qu'on pourrait attendre d'un blackeux pur et dur mais il envoie, presque avec facilité, un growl black d'outre-tombe collant parfaitement avec l'ambiance sombre et la lourdeur des deux guitares, en alternance avec le chant clair ou les screams du bassiste Maciej Ššmigrodzki.
C'est mélodique, c'est lourd, atmosphérique et sombre à souhait. Les riffs lourds, gras et lents imposent une vibation sourde qui reste dans tous les corps. La foule, un peu plus nombreuse, semble d'ailleurs réagir en agitant les têtes à l'unisson. Malheureusement, la disposition des musiciens, en arc de cercle, rend le set un peu statique, d'autant plus qu'ils ne regardent pas le public … public qui peine également à distinguer clairement le groupe, à cause d'une (trop) épaisse fumée qui les enveloppe dans un nuage aveuglant et étouffant. On en ressort d'ailleurs étouffé, tellement la lourdeur intrigante et l'ambiance pesante des compositions expériementales de Thaw nous fait osciller entre plaisir et malaise.
Hangman's Chair
Très à l'aise, les Français de Hangman's Chair viennent faire eux-mêmes leurs balances en toute décontraction. Le public, de plus en plus nombreux, se prépare pour l'un des concerts les plus attendus de la journée. Aucun décor particulier, à part la grosse caisse, ornée de la pochette de l'excellent dernier album du groupe, Banlieue Triste. C'est que Hangman's Chair n'a besoin d'aucune fioriture pour taper fort et accrocher le public, dès les premiers accords.
Le quatuor francilien bénéficie d'une acoustique excellente et d'un public rallié à sa cause. Pendant 45 minutes, il s'agit d'une communion avec le public sur les tonalités doom marquées par la détresse et la mélancolie du chant de Cédric, les riffs de leur sludge lourd, à faire bourdonner les oreilles même protégées, et des changements de tempo, transitions sublimes, avec la section rythmique impressionnante basse / batterie de Clément et Mehdi.
Les thématiques des chansons sont très sombres, évoquent le désespoir et le mal-être, la colère et la difficulté de l'existence... La setlist donne la part belle à leur dernier album, Banlieue Triste, avec six titres dont l'entêtant "Naive", le sublime hymne sombre "04 09 16". C'est avec "Full Ashtray", titre fleuve d'une douzaine de minutes, que le concert s'achève, sans que l'on ait vraiment eu l'impression d'entendre une dizaine de morceaux, tellement le set était beau, cohérent et fluide dans les transitions. Même sans parler entre les morceaux, on sent les musiciens ouverts vers le public, dans le partage à chaque instant.
Clément et Julien maltraitent leur instrument, font des signes au public et reprennent les refrains sans micro. Les regards qu'ils échangent entre eux témoignent d'une belle complicité. Le charisme des musiciens, la voix déchirante du chanteur, l'instrumentation heavy et le choc de la ligne de batterie exceptionnelle (Mehdi va d'ailleurs détruire ses baguettes, pulverisées sous l'impact!) , tout est réuni pour une expérience forte qui nous fait réfléchir à la vie. C'est beau, éthéré, et le public ne s'y trompe pas : c'est un set parfait que viennent de nous offrir les gaillards de Hangman's Chair.
Setlist :
ï€ Banlieue Triste
ï€ Naive
ï€ Sleep Juice
ï€ 04 09 16
ï€ Can't Talk
ï€ Touch the Razor
ï€ Cut Up Kids
ï€ Full Ashtray
Schammasch
Une ambiance mystique s'installe dès la mise en place des instruments. Lentement, les techniciens et musiciens au visage couvert apportent les objets rituels de la messe particulière que le public nordique est venue recevoir ce soir : encensoirs, porte-micros et autels en os et crâne, étoffes sombres et dorées, autant d'artifices qui transforment la salle du Metaphone en lieu de culte curieux à la scénographie travaillée. Schammash entame le set de façon solennelle, avec les trois guitaristes dos au public. Le chanteur, dont le visage et les mains sont peints en noir, vient hanter le devant de la scène avec sa silhouette étrange à la Belphegor, en faisant preuve d'une technique vocale impressionnante. Ses cris et screams bien black se marient à la perfection avec la voix du second vocaliste-guitariste. Ils ne se regarderont jamais l'un l'autre, mais projettent leur puissance vocale avec une précision et une cohésion impressionnante.
Le début est très intéressant avec des ruptures de rythme et une ligne de batterie monstrueuse, des accélérations et une ambiance lourde. Le jeu des trois guitares (dont une à 7 cordes) et de la basse (5 cordes) impose un son brutal mais mélodique, basé sur un effet de boucle répétitif mais qui passe bien. Les morceaux sont plutôt longs, comme hypnotisants, avec une setlist partagée entre les deux derniers albums du groupe, le récent The Maldoror Chants : Hermaphrodite (2017) , et Triangle (20016). Avec le charisme des musiciens qui semblent en transe et les jeux de lumières qui mettent en valeur l'ambiance énigmatique de la scène, on assiste à un grand spectacle et le public ne s'y trompe pas, communiant avec le groupe pour une cérémoie mystique, unique et inoubliable. Avec leur black/death metal avant-gardiste et leur esthétique soignée, Schammasch a offert au public du Métaphone un spectacle visuel et musical comparable à une expérience spirituelle.
Setlist :
ï€ Consensus
ï€ Golden Light
ï€ Chimerical Hope
ï€ Do Not Open Your Eyes
ï€ The World Destroyed By Water
ï€ Metanoia
Der Weg einer Freiheit
Un changement s'est opéré dans le public : là où, plus tôt, on voyait la salle se vider entre deux concerts le temps de « recharger les batteries » à l'aide du houblon local, maintenant c'est l'effet inverse qui se produit. Des groupes s'agglutinent près de la scène, la fosse se remplit 30 minutes avant le début du set, des murmures d'excitation se font entendre, comme à l'approche d'un groupe d'envergure, voire de la tête d'affiche. Dans la fosse, beaucoup se sont déplacés ou ont pris leur pass du Tyrant Fest spécialement pour voir les Allemands de Der Weg einer Freiheit, qui s'imposent de plus en plus sur la scène black européenne, notamment depuis 2017 et la sortie de l'excellent Finistère, dont l'artwork orne d'ailleurs le pied de micro au centre de la scène. La salle est donc comble quand le quatuor entre en scène, et entame le puissant morceau « Einkehr », mettant tout de suite tout le monde d'accord quant à la qualité du son (exceptionnelle, comme pour tous les concerts de la journée ) et la quantité de double blast envoyés.
Le public, comme libéré de ses jougs après une demi-journée de musique planante ou onirique, commence à remuer méchamment les cervicales. Il faut dire que le black moderne distillé par DWEF impressionne, à tous points de vue : à la batterie, Tobias Schuler envoie un tempo de folie, le chanteur-guitariste Nikita Kamprad projette des cris d'outre-tombe énormes, les guitares et la basse alternent entre lourdeur et passages plus atmosphériques avec une facilité déconcertante. Des explosions de gros sons s'accompagnent d'effets stromboscopiques aveuglants, et les morceaux, aussi efficaces et marquants les uns que les autres, font partir le public en moshpits furieux, quelques crowdsurfers (surfeuses) se frayant (enfin) un chemin jusqu'à la scène.
Les musiciens cherchent régulièrement la communion avec le public, faisant preuve d'un charisme et d'une énergie très appréciés. C'est surtout le talent et la maîtrise des quatre artistes qui emporte l'adhésion du public, sur des titres taillés pour le live comme « Ewigkeit » ou encore le dernier morceau, « Aufbruch », qui explose après une intro calme et parlée et tape très, très, fort, en conclusion du set lourd et magistral, quoique trop court. Der Weg einer Freiheit repart sous l'ovation du public français, charmé mais frustré, prêt à en découdre, pourquoi pas, pour une tournée headliner dans l'avenir...
Setlist :
ï€ Einkehr
ï€ Skepsis, Part I
ï€ Ewigkeit
ï€ Zeichen
ï€ Aufbruch
Aura Noir
Le dernier concert de la journée met le thrash old school et le black'n'roll sur le devant de la scène, avec l'arrivée du trio norvégien d'Aura Noir, composé d'Aggressor à la basse (Virus, ancien membre d'Infernö, Cadaver, Satyricon, Void,...), Blasphemer à la guitare (Twilight of the Gods, ex-Mayhem,...) et ce soir Apollyon à la batterie et au chant (Immortal, Lamented Souls, ancien membre de Cadaver Inc, Two Trains, Cadaver...) . Quels CV pour Aura Noir, qui va offrir aux festivaliers un set précis, maîtrisé, rugueux et thrashy à souhait, parfait bond dans le temps un peu old school pour se défouler totalement avant un repos bien mérité.
Il faut dire qu'ils en imposent, plantés à leur poste et assénant les riffs ou les lignes rythmiques avec facilité. Apollyon, impressionnant, chante en double-pédalant comme si de rien n'était, Blasphemer enchaîne les shreds, très à l'aise, et Aggressor, assis sur un tabouret à cause de son invalidité, impose son jeu à la basse et son chant avec charisme et dynamisme. À nouveau, le son est très bon, et les titres s'enchaînent, pour une setlist balayant deux décennies de carrière pour le groupe, avec cinq titres issus des albums originels Black Thrash Attack et Deep Tracts of Hell (1997-1998), cinq de Hades Rise (2008) et quatre du tout récent Aura Noire – setlist étonnamment homogène et cohérente malgré les vingt ans qui séparent les titres les plus anciens des plus récents. Sur scène, c'est pro, ça joue, ça sonne thrashy, rugueux et vintage, mais tellement bien maîtrisé qu'on ne peut qu'être conquis. Le public ne s'y trompe pas, les pogos et les slams se multiplient.
Entre les chansons, pas de chichis de la part d'Aura Noir, mais de la décontraction, des signes d'Aggressor au public, le poing levé entre chaque chanson, et quelques traits d'humour. D'ailleurs, à la fin du concert, énervé par un fil emmêlé dans sa chaise, il s'en débarrasse et vient au micro en marchant, enchaînant deux titres debout sous les applaudissements du public. Mais à bien y regarder, le fond de la fosse est plus clairsemé que pour le concert précédent qui a clairement attiré la plus grosse affluence de la journée. La fatigue aidant, le public d'Aura Noir, moins nombreux et peut-être moins motivé, applaudit chaleureusement, mais sans insister, les trois Norvégiens, qui sortent après les deux titres légendaires « Deep Tracts of hell » et « Black Thrash Attack » … set qui se termine donc 15 minutes avant l'heure prévue, faute de rappel. C'est bien dommage, et Aura Noir méritait mieux comme conclusion de la soirée car le set était vraiment de qualité.
Setlist :
ï€ Sons of Hades
ï€ Dark Lung of the Storm
ï€ Destructor
ï€ Shades Ablaze
ï€ Shadows of Death
ï€ Gaping Grave Awaits
ï€ The Stalker
ï€ Swarm of Vultures
ï€ Unleash The Demon
ï€ Schizoid Paranoid
ï€ Demonic Flow
ï€ Hell's Fire
ï€ Cold Bone Grasp
ï€ Deep Tracts of Hell
ï€ Black Thrash Attack
Rédacteurs : JulieL (tous les concerts du Métaphone) et Thomas Orlanth (Auditorium uniquement)
Photos : © Thomas Orlanth
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