Lynyrd Skynyrd au Hellfest 2019

Dimanche 23 juin 2019 - Mainstage 1 - 19h40

Lynyrd Skynyrd

L'adieu à la nation Skynyrd

En 1977 disparaissait le groupe de rock sudiste le plus célèbre au monde à la suite d’un dramatique accident d’avion. Lynyrd Skynyrd était alors au firmament de sa notoriété. Dix ans plus tard, la famille Skynyrd se réunissait autour des survivants pour un tribute tour qui durerait trente ans pour se conclure aujourd’hui sous le soleil de Clisson.

Introduit avec emphase, le groupe intronisé au Rock and Roll Hall of Fame en 2006 fait son entrée avec un large sourire. Il faut dire qu’il aura fallu pas moins de sept tentatives pour acquérir enfin cette reconnaissance tant attendue.

"Workin’ for MCA" raconte les débuts du groupe en 1964, quand Al Kooper remarque le groupe et le signe pour la modique somme de 9000$ sous le label MCA, et démarre naturellement tous les concerts. Johnny Van Zant scrute l’horizon et ouvre les bras : "Comment allez-vous Hellfest ?". Avec un discret signe de croix ébauché sous un soleil radieux, le conteur convoque les acteurs de l’histoire de Lynyrd Skynyrd. Mark Matejka s’avance, étonné encore d’avoir la chance de jouer sur sa Stratocaster les soli mythiques du groupe aux trois guitares.

Tous les titres joués aujourd'hui appartiennent aux cinq premiers albums, sortis avant l’accident d’avion qui tua plusieurs membres du groupe et en blessa d’autres, ce qui mit fin à la première formation. Seule exception : le titre "Skynyrd Nation" composé en 2009 à la mort du claviériste Billy Powell. Johnny et Rickey Medlocke se donnent la réplique. Oui c’est une belle après-midi, cette foule de jeunes et vieux rockeurs qui s’étend à perte de vue, c’est la Skynyrd Nation.

Le groupe que nous voyons devant nous se considère lui-même comme un hommage aux membres disparus, commencé comme une simple tournée d’hommage en 1987 avant que le public incite les musiciens à l'unanimité à reprendre la route pour de bon. Il est important de comprendre cela pour prendre conscience de ce qui se passe : nous ne sommes pas là pour dire adieu à Lynyrd Skynyrd. Après avoir porté la mémoire de ses frères pendant trente ans, et sans parvenir à se créer une nouvelle vie, c'est Lynyrd Skynyrd qui est venu nous dire adieu.

Nous n'entendrons ainsi aucun des titres de l'excellent Last of a Dying Breed, sorti en 2012 et le message est clair : les derniers survivants du rock sudiste vont s’en aller eux-aussi. Un tout dernier album sera enregistré après la tournée d’adieu, vient d’annoncer Johnny, mais ce sera bien la fin.

"Levez les bras en l’air" dit Johnny en soulevant le micro enveloppé du drapeau américain rouge et bleu des confédérés. Nous ne sommes pas tristes, c’est une fête, semble-t-il dire en commençant "What’s Your Name", cette histoire de bagarre entre un roadie et un client d’hôtel qui tourne en fiesta arrosée de champagne et de filles dont le nom est oublié aussitôt.

Beaucoup de titres racontent la vie du groupe et de son entourage, notamment la vie en tournée comme sur "That Smell", évoquant l'’alcool et la drogue souvent de la partie et l'accident de Gary Rossington au volant de sa Ford Torino. L’incident ne revêt plus d’importance pour personne, d'ailleurs Johnny se contente de mâchouiller du chewing-gum en s’amusant de l’anecdote. Reste la musique chaleureuse teintée de l’atmosphère de Bob Dylan, où le piano léger et aérien est accompagné des chœurs ciselés. Tout est juste, tout est précis.

Comment ne pas trahir, ne pas ternir ? Johnny n’a pas essayé. Au contraire, son attitude faussement sans gêne témoigne d’une mise à distance tant émotionnelle qu’artistique. On se souvient d’abord de la voix de Ronnie, mais au-delà de la manière de chanter de Johnny, quelque peu laxiste en apparence, son timbre de voix est profond et enveloppant. Cette merveilleuse voix vous donne des frissons. Mais la vraie question est : comment exister ?  Car Johnny, frère du chanteur Ronnie qu'il a remplacé après sa mort,  s’est chargé d’un destin qui n’était pas le sien. Alors peut-être est-ce là le sens de la fin de Lynyrd Skynyrd, le moment est venu de refermer le livre de son histoire.

Allen Collins, Billy Powell, tous seraient heureux s’ils pouvaient voir les réactions du public aujourd’hui pendant "Gimme Back My Bullets". Les guitares se font plus agressives. La voix se fait plus rageuse, plus rock. La balance est toujours un savant dosage qui met en valeur les claviers et magnifie le solo de Gary Rossington. Malgré les années et les épreuves, il a toujours au fond des yeux un éclair de bienveillance et d’humilité.

Le Triple Guitar Attack, mis en place quand Ed King passa de la de basse à la guitare au sein du groupe, laissent encore transparaître le travail de groupe et la grande discipline qui ont permis de graver les partitions des soli les plus célèbres au monde. Chacun passe le témoin, va vers l’autre avec naturel et sollicitude. Ces trois guitares qui jouent souvent ensemble ont fait le son et le style de Lynyrd Skynyrd.

C’est Rickey qui joue avec passion le célèbre solo de "The Needle and the Spoon" sur sa Gibson Explorer. Son identité sioux gravée sur les bras, Darkhorse en lettres rouges sur sa sangle de guitare, et une dent sertie autour du cou, Rickey a le charisme de ceux qu’un seul regard fige à jamais dans la mémoire.

Si certains titres sont volontairement répétitifs, c’est dans le but de les rendre faciles à comprendre, ainsi que le voulait Ronnie. De très nombreux spectateurs chantent tous les titres par cœur. Il faut dire que la setlist est sans surprise ou presque. Tout l’espace devant la Mainstage 2 est occupé par des festivaliers assis regardant le concert pour partie sur les écrans géants et le son est excellent.

Lynyrd Skynyrd parle de la vraie vie … enfin il est bien rare qu’on risque sa vie pour une simple partie de poker ! Telle est la mésaventure arrivée à Ronnie dans "Saturday Night Special". Heureux et souriant, Michael Cartellone s’élève derrière sa magnifique batterie, une Pearl blanche à l’effigie du groupe. A coté du piano à queue blanc, l’ensemble a beaucoup de classe.

Ce dimanche lumineux ne se prête pas à la mélancolie et quand Johnny enjoint aux die-hard de chanter fièrement les mots de "Simple Man", ils acclament avec joie les premières notes du titre mythique, écrit en à peine une heure par Ronnie et Gary après le décès de la grand-mère de Ronnie.

Johnny porte la main sur son cœur, la voix tremble un instant, il se reprend aussitôt et bénit le Hellfest  le poing levé. Derrière lui, les images des êtres chers défilent à l’écran, cette famille qui est depuis toujours la valeur première du groupe, le sens même de son existence.

De la famille Skynyrd, ne subsiste que Gary. Le groupe n’avait pas respecté la promesse de cesser d’utiliser son nom s’il venait à compter  moins de trois membres d’origine. Sans doute lui aura-t-il fallu tout ce temps pour panser ses blessures. Lui et Rickey se font face et se balancent sur les notes réconfortantes. Gary s’approche tout près de Johnny, comme il le faisait par le passé, il est tellement touchant que le cœur vacille un instant. Pour lui et tous les autres, la famille du metal réunie chante avec ferveur sa gratitude et son affection.

Et puis, l’armée du rock'n'roll se ressaisit et le récit des anecdotes reprend avec "Gimme Three Steps" : Ronnie avait dû prendre ses jambes à son cou pour échapper aux représailles d’un petit ami un peu jaloux. Les guitares enjouées laissent imaginer comme les musiciens se sont amusés de cette scène tout droit sortie d’un western spaghetti. "Donne-moi juste trois pas et je détale plus vite que mon ombre !"

Peter Keys fait le signe des metalleux en jouant sur son superbe piano blanc. Avec son chapeau et sa tresse impeccable, il est joyeux et enjoué quand il embarque le public dans un solo endiablé. C’est tellement bon d’entendre "Call Me The Breeze". Et si cette version de Lynyrd Skynyrd est plus entraînante que l’originale et a sû s’en détacher avec ses soli superbes, ses joutes guitares-piano si jouissives, elle ne saurait se comparer à elle. Original, c’est bien le mot qui vient à l’esprit à l’évocation de JJ Cale, pour autant il devait beaucoup à cette reprise qui lui a permis de vivre selon son style, et créer une atmosphère si unique que jamais personne n’a su approcher de près ou de loin.

Arrive  "Sweet Home Alabama". "Turn it up !"  : cette petite phrase était destinée au technicien du son et fut conservée tant elle collait au morceau. L’ambiance générale est détendue et sans aucun rapport avec tout le tapage fait autour du titre le plus connu du groupe, une sorte de gag ironique, pas seulement à l’égard de Neil Young d’ailleurs et tous avaient les uns pour les autres une grande admiration. Oui on parle ici d’amour de la patrie et c’est chaque fois l’occasion de brandir les drapeaux étoilés, chacun y met ce qu’il veut, comme ce drapeau breton qui flotte comme à chaque fois et déclenche à la fois l’hilarité et beaucoup de tendresse.

Sur ce premier titre du groupe à comporter des chœurs, assurés par les trois Honkettes jusqu'à l'accident, c'est, depuis la reformation, Dale Krantz Rossington, la femme de Gary, et Carol Chase qui assurent les chœurs discrets et bien dosés qui viennent conforter la voix de Johnny quelque peu chancelante par endroits. En dépit des apparences, ce titre n’est pas si facile à chanter mais qu’importe, rien de mieux qu’une bonne vieille strato et la joie affichée de Sparky pour que les spectateurs se mettent à chanter en chœur.

Le temps du set est passé. Bien sûr quand Lynyrd Skynyrd quitte la scène laissant trôner sur le piano un oiseau déployant ses ailes paraissant saluer l’assemblée, tout le monde sait que le concert n’est pas terminé.

Depuis toujours le titre "Freebird"  clôture les concerts de Lynyrd Skynyrd. Dédié à Duane Allman des Allman Brothers, qui avait participé à sa construction, il est une des rares chansons d’amour du groupe. A l’origine, c’était une simple ballade sans solo et c’est Allen Collins qui à force de ténacité en a fait un hymne de neuf minutes.

Il arrive encore souvent à Johnny de ne pouvoir chanter la chanson, comme lorsqu'il quittait la scène à la reformation. Alors quand il revient sur scène en faisant signe au public de lui venir en aide, les larmes montent aux yeux. La voix s’étrangle quand il chante : "Si je pars demain, te souviendras-tu de moi ?". Après avoir dit qu’il ne chanterait jamais "Freebird" car un seul homme pouvait la chanter, il peine à contenir le trop plein d’émotion qui se répand dans l’assistance.

L’introduction au piano est un chef d’œuvre de grâce qui a bien failli ne jamais voir le jour. Dommage de ne pas entendre aujourd'hui ce son d’orgue ajouté par Billy Powell, il est pourtant à portée de main, mais il est vrai que les petits sifflotements d’oiseaux se marient parfaitement aux notes cristallines du piano.

La Gibson SG de Gary remplace la Les Paul qu’il a utilisée pendant tout le concert et la sublime ballade commence. Cette partie est absolument renversante tant elle dépeint avec justesse les sentiments et les mots qui s’entremêlent douloureusement à l’heure des adieux. C’est bouleversant.

Quand on pense que le plus grand solo de tous les temps est né du besoin de faire du remplissage pendant les concerts, quand on réalise surtout que c’est ce solo qui donne tout son sens à "Freebird", on se dit que parfois, les choses essentielles naissent à partir d’une motivation incongrue.  Le ballet des guitares est au-delà de la perfection.

Neuf minutes auront suffi à produire la transfiguration, le miracle de la vie. Les mains se sont desserrées insensiblement, pendant que la source de vie se répandait dans nos veines de plus en plus fort. L’oiseau de la liberté a déployé ses ailes et s’est élevé dans les airs. Lynyrd Skynyrd a rejoint son destin nous laissant seuls, vivants et libres.

Setlist :
Thunderstruck (intro)
Workin' for MCA
Skynyrd Nation
What's Your Name
That Smell
Gimme Back My Bullets
The Needle and the Spoon
Saturday Night Special
Simple Man
Gimme Three Steps
Call Me the Breeze (JJ Cale cover)
Sweet Home Alabama
Free Bird

Photos : © Julie Warnier / Draksmoon 2019 
Toute reproduction interdite sans l’accord de la photographe.



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