Motocultor 2019 - jeudi 15 août
Camp médiéval et journée sous le signe celtique
Pour la toute première fois depuis le début de son histoire, le festival du Motocultor a lieu cette année sur quatre jours, avec l’addition du jeudi 15 août. Concrètement, ce jeudi a été pensé comme une journée à part, d’abord par la taille de sa programmation, limitée à seulement six concerts et démarrant en milieu d’après-midi, mais aussi et surtout par sa thématique.
En effet, ce premier jour n’est pas une copie des trois autres que propose le festival : toute la partie du site qui mène à la Supositor Stage est fermée, les groupes de la journée se cantonnant aux deux tentes, et un camp médiéval a pris place entre le Metal Market et les stands de restauration. Au programme de ce camp médiéval, des ateliers artisanat et vie d’époque (cuisine notamment), des démonstrations de joutes médiévales et autres joyeusetés pour se mettre dans l’ambiance celtique.
L'initiative est louable pour accentuer la thématique de cette journée. Mais alors que l’on imaginait pouvoir assister à quelques combats en milieu d’après-midi avant les premiers concerts, l’organisation a préféré mettre l’ouverture des portes à peine vingt minutes avant le début des concerts. Dommage, même si on sait que le public est de toute façon essentiellement venu pour les concerts.
Corvus Corax
Massey Ferguscène - 17h20
C’est parti, il est 17h20 et le tout premier groupe de cette édition 2019 du Motocultor investit la Massey Ferguscène. Corvus Corax est une formation allemande de néo folk médiéval qui ne fait pas les choses à moitié : la troupe est nombreuse (ils sont sept sur scène), et tous sont habillés comme de véritables guerriers du moyen âge, avec de belles grosses lanières en cuir et des peaux de bêtes. Visuellement le show est garanti, et on rentre directement dans l’ambiance folk de cette journée. Mais Corvus Corax ne se limite pas à cet aspect scénique “regardez, on fait comme les Vikings” : la musique qu’interprète la bande est travaillée, pratiquement sourcée et documentée pour être le plus fidèle possible aux racines médiévales, sans pour autant perdre son côté très dansant.
Alors forcément, il ne faut pas longtemps au public pour s’abandonner à l’ambiance et entrer dans la danse que propose le groupe. La partie rythmique est assurée essentiellement par les deux percussionnistes et le contrebassiste (dont on apprécie l’instrument et son imposant look), qui accompagnent une ribambelle de cornemusiers, en charge de toute la partie mélodique et variant d'instruments au fur et à mesure du set. Pendant les phases de montée en puissance comme aux détours des solos de bombarde ou de flûte, les musiciens de Corvus Corax dansent en rythme et invitent le public à la ripaille. “Venus Vina Musica” puis une chanson à boire dédiée à Odin : c’est clair, on est là pour se faire plaisir. Dans la foule, de larges rondes se forment vite et on danse à la bretonne, en reprenant en chœur les refrains du groupe : “Havfrue, Havfrue, danser på tilje” !
Le temps passe et on touche au bout de ce tout premier set. Après l’instrumental “Skál” et une dernière “danse viking”, qui verra Castus Rabensang offrir un long solo avec sa flûte blanche, le groupe entame “Chou Chou Sheng”, dernière offrande avant de rendre les armes. C’était très dansant, agréable et parfait pour démarrer l’édition, on n’en attendait pas moins de ce groupe qui a déjà été programmé au Hellfest. Maintenant, il est temps de se diriger vers la Dave Mustage pour découvrir sa longue avancée de scène en forme d’Excalibur.
setlist:
Hymnus Apollon
Crenaid Brain
Urwami
Venus Vina Musica
Mille Anni Passi Sunt
Her Wirt
In Taberna
Sverker
Havfrue
Skál
Stella / Chou Chou Sheng
Stille Volk
Dave Mustage - 18h30
La Dave Mustage est déjà prête pour l'opéra celtique Excalibur, dotée pour l'occasion d'une impressionnante avancée centrale en forme d'épée qui fend la fosse du chapiteau d'une curieuse façon. Pas de quoi effrayer le combo pyrénéen Stille Volk, mené par Patrick Lafforgue et Patrice Roques. Avec plus de deux décennies d'existence et huit albums, d'innombrables concerts dont un passage au Hellfest en 2016, la formation inclassable n'en est pas à son coup d'essai. Les cinq hommes, vêtus de noir et armés d'instruments traditionnels alignés devant une batterie, entament leur set avec assurance et installent très vite une atmosphère solennelle et mystérieuse. Des harmonies de voix masculines s'élèvent, et on est transporté dans un monde de rites médiévaux et de mythes d'Occitanie, entre des mausolées de pierre et des lacs magiques.
L'identité folk/pagan de Stille Volk est très marquée, avec un son assez fort et une utilisation équilibrée d'instruments traditionnels d'un côté (vielle à roue, mandoline, cornemuse occitane, ou encore le nickelharpa, instrument à cordes frottées) , et de l'association guitare / batterie de l'autre. Les récits d'un autre âge s'enchaînent, du lancinant chant funèbre aux harmonies de voix graves, aux moments plus festifs, marqués par les headbangs des musiciens et des rythmes enlevés aux sonorités folk, néo-celtique sur l'instrumental “Maudat” ou “Le Satyre Cornu”. Le public, quoique peu nombreux, semble transporté. Certains tapent des mains et dansent pour encourager le sympathique quintette, ne manquant pas de scander le refrain « Buvons ! » du morceau final, “Banquet”, ode à Bacchus et aux plaisirs de la vie. Le folk-médiéval occitan de Stille Volk aura permis une mise en bouche bienvenue pour cette soirée médiévale et celtique d'ouverture du Motocultor.
Alan Stivell
Massey Ferguscène - 19h40
Alan arrive sur la scène de la Massey, s'installe à sa harpe qui l’attend en son centre, et présente l'équipe de cinq musiciens qui vont l'accompagner pour l'heure du concert. Du beau monde en perspective : déjà Emmanuel Devorst aux guitares/luth, Jean-Bernard Mondoloni (Mugar) aux percussions et Konan Mevel (Kad, Skilda, Tri Yann) à la cornemuse, eux qui faisaient partie de son équipe pour Human~Kelt, le dernier album, mais aussi Marc Hazon aux fûts et Pierre Patinec (City Kay) à la basse. Cette bande de grands musiciens, pour certains à la carrière longue comme le bras (mais pas autant que celle d’Alan, tout de même) est là pour accompagner le premier défenseur de la culture bretonne, venu jouer pour la première fois dans un festival de metal. Le set commence, Alan est très en voix, sa harpe et sa bombarde sonnent juste et ne sont pas sous-mixées. On va se faire plaisir !
Faisant la part belle aux classiques du renommé compositeur, la setlist contient un grand nombre de titres iconiques, qui trouvent immédiatement un écho certain dans le public, au passage bien différent de celui que l’on croise habituellement en festival de "Metal". “An Alarc’h", "Gouel Hollvedel", “Brian Boru”, “Son Ar Chistr”, “Brezhoneg ‘raok” ou encore la “Suite Sudarmoricaine”, autant de standards qui entraînent sans mal la foule, nombreuse pour cette heure de rock breton. Une bonne partie des compositions sonnent d'ailleurs de façon plus rock et plus énergique et semblent avoir acquis une bonne dose de dynamisme. De quoi convaincre et emporter une bonne part du reste du public, les curieux venus avant tout pour la programmation plus habituelle du festival.
Si quelques petits ratages se sont fait entendre - quelques soucis de micro par moment et le début de “La Hargne Au Cœur” recommencé, au final pratiquement rien -, on a dans l’ensemble eu une prestation bien précise, avec chaque musicien bien audible, y compris les invités. Parmi eux, on retient d’ailleurs Jessica Delot, qui a apporté sa touche sur “Son Ar Chistr” avec son jeu de violon. Les phases ascendantes des compositions sont prenantes et les sommets d’intensité qui suivent sont bien servis par le chant d’Alan. À l’approche de la fin du set, le groupe entame “Tri Martolod”, l’hymne que tout le monde connaît, qui a donné à Eluveitie son “Inis Mona”, ou à Manau sa “Tribu de Dana” (rayez la mention inutile). Un petit rappel sur “Bro Gozh Ma Zadoù”, et c’en est fini de ce set au final très bon. Du haut de ses 75 ans, déjà, Alan a comme on dit assuré le show, et c’est avec la sensation d’avoir déjà bien profité de cette journée du jeudi que l’on change de tente pour ce qui est clairement le plus gros morceau de cette première journée.
Excalibur
Dave Mustage - 20h50
Le thème du celtique étant bien largement défendu lors de cette journée supplémentaire du Motocultor, faisons place à présent à la tête d'affiche du jour : Excalibur. Ce projet d'Alan Simon verra de nombreux curieux se positionner devant le Dave Mustage, dont la plupart semblent s'être déplacé uniquement pour ce concert des plus atypiques dans la programmation du festival. Comptant parmi les nombreux musiciens le saxophoniste de Supertramp, John Helliwell, le batteur de Jethro Tull, Martin Barre, le premier guitariste de Fleetwood Mac, Jeremy Spencer, etc... on comprend de suite la raison pour laquelle Excalibur attire autant l'attention des nouveaux et anciens festivaliers du Motocultor.
La prestation d'Excalibur est divisée en deux parties : la première vient fêter les vingt bougies du spectacle, avec un best-of de leur discographie complète, et la seconde présente le spectacle The Origins parlant de l'histoire de Merlin, avec le chanteur d'Ange, Christian Décamps, grimé en sorcier qui intervient entre chaque morceau.
Le début de la première partie démarre par l'intervention de Bretons qui, munis d'un cor et d'une flûte, fredonnent les notes du "joyeux anniversaire" pour les vingt ans du projet. Alan Simon souffle les bougies d'un énorme gâteau et invite sur scène le président du festival, Yann Le Barraillec, afin de le remercier ainsi que tous les bénévoles du festival.
C'est après cette mise en place d'introduction que l'orchestre s'avance sur scène, avec à la gauche l'épée Excalibur fixée sur un rocher en guise d'unique décor. Le chanteur lead Roberto Tiranti (Labyrinth) lance un décompte jusqu'à dix avant que la musique puisse enfin débuter, avec de la pyrotechnie sur l'avancée de scène qui fait son effet auprès du public. L'orchestre, constitué d'instruments à cordes, se situe du côté jardin et n'intervient pas forcément sur tous les morceaux, en se retirant de temps en temps en laissant les autres musiciens jouer.
En effet, le projet comporte de très nombreux artistes qui se relaient au fur et à mesure, notamment les chanteurs et chanteuses des différents albums du projet qui interviennent pour un ou plusieurs morceaux, offrant ainsi une prestation complète et très variée. Ce qui est aussi le cas des compositions qui sont très riches et complètes, avec aussi des soli de guitare impressionnants ou encore de clavier, et même de saxophone, très appréciés par la foule.
Excalibur interprète aussi des morceaux de son cinquième album qui paraîtra l'année prochaine et qui, d'après Alan Simon, a été inspiré de l'aventure du Motocultor, qu'il suit depuis quelques années. Ainsi, nous avons le droit à un morceau instrumental sur lequel des danseuses s'avancent sur scène, avec des musiciens qui excellent et enchaînent les solos, avec notamment le clavier qui rappelle Jon Lord.
Vient le chanteur de Saga, Michael Sadler, qui interprétera deux morceaux ainsi que "Fools" avec une chorale d'enfants de l'association bretonne Ti ar Vro Bro Gwened qui fonctionne parfaitement et qui nous hérisse le poil. Ca sera de même le cas avec une chanteuse et harpiste australienne qu'Alan Simon décrit "à la voix d'ange", ce que l'on constate très rapidement, la jeune musicienne intervenant à plusieurs reprises durant tout le show.
Grand moment aussi lorsque Richard Palmer-James de King Crimson monte sur scène avec sa guitare afin d'interpréter "In the Court of the Crimson King", avec Alan Simon qui invite le public à fredonner à plusieurs reprises l'air de ce morceau légendaire.
Parmi ce très long show, qui aura tout de même duré plus de deux heures et demie, nous retrouverons aussi Jeremy Spencer, qui interprétera un blues sympathique et très dansant. Aussi Martin Barre, qui ira au devant la scène avec un djembé pour un solo et accompagnant un très bon morceau, secondé par un solo de flûte impressionnant et très convaincant.
Cette première partie était vraiment très complète, les morceaux mêlant différents univers et divers style musicaux, passant du rock puissant à des titres celtiques, avec une grosse influence progressive en général. Malgré le nombre impressionnant de musiciens qui sera passé au devant de la scène, le son était absolument parfait et tous les enchaînements se sont déroulés sans aucune cassure de rythme, un vrai spectacle digne des vingts ans de ce projet fabuleux.
Un interlude de vingt minutes environ précéde la deuxième partie du concert d'Excalibur, le temps de reprendre une petite bière et se remettre de ses émotions. En attendant, la fanfare Bagad Elven fait le tour de la Dave Mustage, avec de nombreux jeunes musiciens qui jouent un air breton, accompagnés par les festivaliers qui les suivent au pas et s'ambiancent au rythme des percussions avant la seconde partie du show d'Excalibur.
Il s’agit donc du spectacle The Origins, correspondant au dernier album studio en date du projet, racontant l’histoire du fameux magicien Merlin, interprété par le grand Christian Decamps (Ange). Cette partie du show est rythmée par des interludes à la harpe, avec Merlin qui conte son histoire entre chaque titre composant le spectacle. Il faut avouer que cette seconde partie est vraiment beaucoup moins adaptée à une représentation en festival.
En effet, la salle est beaucoup moins vivante durant The Origins et les morceaux sont très peu rythmés, ce qui n’est pas du tout favorable au public qui a déjà assisté à plus de deux heures d’Excalibur juste avant et qui commence un peu à fatiguer. Le spectacle n’en reste pas moins beau et très bien écrit, mais il serait plutôt préférable d’assister à ce genre de show en salle, assis, pour ainsi déguster chacun des morceaux et se laisser porter par l’interprétation de chacun des intervenants, tout aussi nombreux que durant la première partie.
Cette tête d’affiche aura tout de même tenu sa promesse en nous servant une énorme prestation, avec un son optimal et des musiciens absolument géniaux. Néanmoins, on se serait contenté uniquement de la première partie best-of des vingt ans du projet, qui a déjà duré très longtemps et qui était beaucoup plus adaptée à un public de festivaliers.
Eluveitie
Massey Ferguscène - 00h20
Les Suisses d'Eluveitie ont ce soir la tâche de faire la transition entre les groupes plutôt celtiques du jeudi et l'affiche metal du reste du festival : quoi de mieux pour contenter tout le monde que le folk metal survitaminé de la bande de Chrigel Glanzmann ? Si l'on en juge à la foule de metalleux très compacte sous la toile de la Massey Ferguscène une heure avant le début du set, on peut s'attendre à un concert mémorable digne d'une tête d'affiche, et c'est précisément ce qu'Eluveitie va démontrer ce soir, avec énergie et facilité.
Les musiciens prennent place et entament "Ategnatos", premier single éponyme du nouvel album du groupe, avant l'arrivée de Chrigel, saluée chaleureusement, qui se lance dans un hurlement impeccable sur l'instrumentale enlevée et puissante de ce nouveau titre. Il faut dire que l’opus Ategnatos n'est que le second avec le line-up largement renouvelé, le frontman étant l'un des seuls rescapés de la première heure. Cependant force est de constater que la synergie de la troupe est complète. Les huit musiciens, très souriants, débordent d'un dynamisme contagieux et bénéficient ce soir d'un son très bon sous le chapiteau qui laisse entendre la variété des compositions où cohabitent instruments traditionnels (violon, vielle, flûtes, cornemuse...) et électriques. Un écrin idéal pour laisser s'exprimer l'impressionnante Fabienne Erni, à la harpe et surtout au chant, toujours juste et inspiré, qu'elle marie de façon judicieuse avec le growl de Chrigel dans les refrains de titres comme “Deathwalker” ou “Havoc”.
Grâce à une setlist équilibrée, mêlant titres folk plus calmes (comme la ballade mystique “Artio” où Fabienne Erni, seule sur scène, livre une prestation émouvante) à des morceaux très metal où les musicien(ne)s se livrent à des headbang coordonnés, Eluveitie réussit le pari de faire – enfin – trembler le Motocultor sur ce jeudi un peu mou. Les slammeurs s'en donnent à cœur joie, et beaucoup de refrains sont repris par la foule serrée qui dépasse largement les limites du chapiteau. Certes, il y a les titres attendus, kitsch diront certains, avec d'abord le fameux clin d'oeil au public de “L'Appel des Montagnes” interprété en français par Fabienne, et le titre final sur lequel tout le festival s'époumone : "Inis Mona" sur l’air de la chanson traditionnelle bretonne "Tri Martolod", entonnée trois heures auparavant par Alan Stivell... tout est lié ! Retenons aussi des titres très solides en live comme “Deathwalker”, où l'équilibre entre le metal bien lourd et les parties folk au violon et à la flûte donne un rendu fort sympathique. Citons enfin l'énorme “Rebirth”, plein de testostérone, où le double blast, les solos d'école et autres shreds des deux guitaristes Jonas Wolf et Rafael Salzmann, emportent l'adhésion et dans lequel, à nouveau, la symbiose Fabienne / Chrigel fonctionne idéalement dans le refrain.
Défi relevé ce soir pour les Hélvètes : le line-up assez récent apparaît comme plus fort que jamais, juste et efficace dans les anciens titres comme les nouveaux. Le dernier opus occupe d'ailleurs une large part de la setlist avec cinq morceaux qui fonctionnent bien en live. On peut même se dire que la Massey Ferguscène n'était pas assez grande pour Eluveitie : le show maîtrisé et convaincant des huit musiciens sur scène, agrémenté d'un bon jeu de lumières, aurait certainement pu remplir la Dave Mustage.
Setlist :
Ategnatos
King
L'Appel des Montagnes
Deathwalker
Worship
Artio
Ambiramus
Havoc
Breathe
Rebirth
Inis Mona
Écrits : Romain, Julie et Félix
Photos: Thomas et Tiphaine
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