Ah Therion, groupe suédois de légende qui a fait rêver moult formations de metal symphonique à travers le monde … Le combo fête ses 25 ans cette année, sortez le champagne et les cotillons, car ça se célèbre avec un … album en … français … de reprises. Ahem oui, pour beaucoup, la première réaction c'était « WHAT THE FUCK THERION ??!! ». Chose qui peut se comprendre, une telle démarche de la part de ce groupe si connu est assez … osée, si l'on peut en parler en ces termes. Et, pour couronner le tout, nos bons amis scandinaves partent, une nouvelle fois, en tournée ! … la dernière avant un sacré bail. Car après ça, le mastermind Christofer Johnsson va mettre le groupe en pause pour une durée indéterminée, le temps de se consacrer à un nouvel opéra rock. Ouais donc, voilà, c'est pas les nouvelles les plus réjouissantes / rassurantes. Alors qu'est-ce que donnera cette tournée ?
La réponse se trouve en Suisse, au Z7 de Pratteln.
ANTALGIA
Le premier groupe à monter sur scène ce soir-là nous provient d'Espagne, et se nomme Antalgia. Et si vous êtes des lecteurs réguliers et assidus de La Grosse Radio Metal (et je sais que vous l'êtes, bande de petits coquins), ce nom ne devrait pas vous être inconnu. Leur morceau « Realm of Pain » tourne déjà dans la radio, et une chronique de leur premier brûlot Perception of Reality est en ligne par votre serviteur. Mais alors en live, qu'est-ce que ça donne ?
Première remarque étonnante, car souvent les premières parties n'ont pas cette chance : le son est bon ! Hé oui, nos amis ibères vont pouvoir jouer leur set de trente minutes dans des conditions adéquates et loin d'être médiocres comme ça a déjà pu être le cas dans cette salle (qui au passage est très bien, je t'aime Z7). Donc la formation est en mesure de délivrer son metal progressif teinté de symphonique pour le plaisir des petites cages à miel. Dès le début on remarque deux membres : le guitariste Igna Jover, au jeu de bonne qualité, avec une réelle maîtrise mais, surtout, une bonne humeur très communicative. Le jeune homme est souriant, très heureux d'être là, et bouge sur scène, là où, à notre regret, le bassiste Carlos Falomir reste figé comme un piquet.
L'autre membre qu'on apprécie tout de suite, c'est la chanteuse Bella Dianez, elle aussi très souriante, visiblement heureuse de pouvoir jouer dans des conditions décentes. Et question voix, elle s'en tire agréablement bien ! Bon, elle n'est pas exempt de tous reproches : le premier, c'est un accent anglais à améliorer, on ne comprend pas toujours ce qu'elle tente de nous dire (mais son accent est quand même très mignon). Le second, c'est de, parfois (parfois seulement, ne vous y trompez pas), faire des notes plates au lieu de descendre, pour éviter de tomber dans un registre qu'elle ne maîtriserait pas. Du coup, ça sonne un peu moins bien mais la démarche reste tout à fait louable, lui évitant de tomber dans ce qu'elle n'aurait pu accomplir. En revanche, dans la tenue globale, c'est du haut niveau ! La belle Bella est une bonne chanteuse, qui nous offre une prestation pleine de justesse et toujours avec un sourire éclatant, jouant de temps en temps avec le public, qui lentement mais sûrement commence à rentrer dans le set d'Antalgia.
Leur set est d'ailleurs composé de 6 / 8 morceaux provenant de leur premier album, de « Lines of Life » à « Realm of Pain », jusqu'à la conclusion « The Invisible Mechanism ». On pourra leur reprocher, de temps en temps, un léger manque d'énergie lors des pistes les plus calmes, à l'instar de « Lines of Life ». Mais l'ensemble est ponctué d'une musique qui, si elle n'est pas encore la plus originale, passe plutôt bien le cap de la scène, les refrains fonctionnant bien, rentrant en tête assez rapidement. Le clavier étant samplé, celui-ci se fera donc moins audible, pour le plus grand bonheur de la guitare légèrement plus massive, gonflant un peu les riffs proposés par le quatuor espagnol. Ce qui équivaut à un « Realm of Pain » plus accrocheur, par exemple. Idem concernant « The Unseen Empire » ou « The Invisible Mechanism ». En gros, un mal pour un bien.
Si Antalgia doit encore gagner en expérience scénique, force est de constater que musicalement parlant, le groupe s'en tire plus qu'honorablement ! Encore quelques points restent à retravailler mais le combo nous a offert là un set qui laisse entrevoir un réel potentiel.
ELYOSE
Après l'Espagne, place à la France, pays que Therion aime définitivement mettre à l'honneur ! Et quoi de mieux pour cela qu'embarquer avec soi un combo qui, non seulement, vient du pays concerné, mais qui en plus chante une grande partie des titres dans la langue de Molière ? On parle de Kells, c'est ça ? Mais non, voyons. Le groupe du jour, c'est Elyose, et eux aussi sont diffusés sur votre webradio préférée (avec « Overload »), avec une petite chronique à la clé. Et sur scène, qu'est-ce que ça donne ?
Côté mouvement de scène, l'énergie est déjà plus palpable que pour Antalgia, la formation semblant déjà un peu plus habituée à se retrouver devant une foule, et agissant en conséquence, en hésitant pas à jouer avec le public, à le chercher, et à bouger assez régulièrement. Ce qui s'allie bien avec la musique délivrée par le combo, mélangeant electro et metal. Et c'est de là que viendra le premier problème du set d'Elyose : la mixité entre les deux éléments est encore un peu trop mal répartie. Parfois, l’électronique prend un peu trop le devant par rapport au metal, et parfois, c'est exactement l'inverse. Et le premier aspect ne semble pas toujours apporté grand chose au second, voir pire, le rendre d'autant plus répétitif. Et c'est bien dommage car on sent là que les français ont des idées, et du dynamisme à revendre !
L'autre problème viendra du chant de Justine, la frontwoman qui semble avoir gagné confiance en elle quant à sa façon d’interagir avec les personnes présentes dans la salle. C'est seulement sur la voix où d'autres soucis se feront remarquer. Notamment un flagrant manque de naturel, qui en deviendra assez vite dérangeant, voir énervant. L'écho est tellement présent lorsqu'elle chante que ça en devient trop rapidement « too much », et dès « Le Libérateur », ça a le don de ne pas faire partir la prestation dans les meilleures conditions. Pour faire simple, elle sonne tout simplement mécanique, à se demander pourquoi abuser tant des effets qui n'apportent strictement rien, si ce n'est que de décrédibiliser un chant qui, pourtant, pourrait être tout à fait honorable vu les progrès qui semblaient accomplis sur leur premier opus Théogyne. Quelques couacs surviendront ici et là, mais il est ardu de juger la performance vocale de la demoiselle, et ses capacités, tant les effets sont perturbants.
Le combo pioche dans son répertoire avec les classiques comme l'éponyme « Théogyne », l'opener « Le Libérateur » qui voit là le premier théâtre des problèmes rencontrés par Elyose (soit la mauvaise balance entre electro et metal et le côté synthétique du chant) en dépit d'un morceau plutôt captivant, et une « Overload » qui, elle, ne convainc pas du tout sur scène. Et la prestation alterne souvent entre des moments où on se dit qu'ils tiennent le bon bout, comme lorsque les guitares sont plus acérées et vives, et d'autres où ça ne va plus, malheureusement.
Cela peut sembler parfois dur, mais ces remarques sont nécessaires pour que les français continuent de s'améliorer. Un set qui comporte du bon et du moins bon, ne réussissant à plaire qu'à moitié. Dommage car le potentiel est vraiment bien présent. Mais il va falloir encore travailler les points noirs.
Après les 30 minutes accordées à Elyose, il est maintenant temps d'accueillir la tête d'affiche de cette soirée : Therion.
THERION
Et la première remarque que beaucoup feront c'est : où qu'ils sont les jolis décors qu'ils avaient à l'époque ? Question mise en scène, cette fois-ci, le groupe scandinave a décidé de jouer sur davantage de sobriété. Bon, c'est sûr que les grande décors typiques de la formation vont manquer un peu, mais le principal c'est la musique, alors en avant !
Le concert ouvre sur un très court « O Fortuna », mais vraiment très, très court. Car d'un coup, la formation enchaîne sur « Poupée de cire, poupée de son », sa reprise de France Gall, et ce, sans qu'on le voit vraiment venir ! Mise en scène assez sobre aussi, Lori Lewis s'avançant d'un de ses pieds de micro (trois pieds de micros sont disposés côte à côté au fond de la scène, un pour chaque chanteur), arrive devant la scène, puis Thomas et Linnéa lui enlèvent sa veste, une manche chacun. Un côté un peu diva pour la demoiselle qui, heureusement, n'en abuse absolument pas et n'en fait pas des tonnes. Et là, elle commence à chanter. En français, s'il vous plaît, d'un de ces titres qui fait polémique. Et c'est le ravissement, tant la jeune femme nous offre une maîtrise parfaite, une voix à couper le souffle, confirmant sa position parmi les meilleures voix du metal en général. Son chant lyrique est magnifique, et évite la surenchère. Un bon point pour la belle !
Le groupe va enchaîner ensuite sur un titre de Sirius B, « Son of the Sun », qui passe à merveille l'épreuve du live, comme on peut s'en douter. Thomas Vikström et sa fille Linnéa aident à l'accomplissement de cette réussite, les voix du père et de la fille étant, elles aussi, parfaitement en place. Une petite réserve chez la jeune suédoise, cependant, qui parfois ne semble que servir de doublage à Lori Lewis. Un problème auquel elle tordra le cou plusieurs fois, comme sur « Wine of Aluqah » où son chant plus rock et rocailleux donne une belle énergie au refrain. Revenons à nos moutons. Sur « Son of the Sun », celle qui s'illustre, c'est bien sûr Lori, à l'exécution vocale parfaite. Mais il n'y a pas qu'elle qui s'illustre en chant, et même du concert, il n'y a pas que les chanteurs qui font le bonheur dans Therion. Il y a aussi les guitaristes, Christian Vidal et Christofer Johnsson, qui vont s'en donner à cœur joie dans leurs prouesses sur « The Flight of the Lord of Flies », piste tirée de Deggial assez démonstrative et tenant debout, justement, grâce aux guitares qui sont le cœur même du titre.
Le temps d'un « Lemuria », le groupe sait adoucir l'ambiance. Thomas nous offre une prestation à fleur de peau, sa voix excelle et donne une nouvelle vie au morceau par rapport à sa version studio. Une pause qui offrira un peu de respiration, pour un titre, lui, qui n'a pas perdu de sa beauté. Mais un peu avant cela, on aura le droit à une nouvelle chanson française : « J'ai le mal de toi », où Christofer nous expliquera le suicide de Betty Mars, qui s'est jetée par sa fenêtre. Le groupe jouera donc cette piste où la mélancolie est assez palpable, les émotions voulues du morceau retranscrites à merveille par les suédois. Sur ce titre, c'est encore le chanteur qui se fera la belle part, par rapport aux jeunes femmes qui resteront beaucoup plus en retrait.
Bien sûr, même avec ces morceaux dans la langue de Molière, le groupe n'oublie pas de revisiter ses classiques : « Gothic Kabbalah », l'excellente « The Siren of the Woods » tirée de Theli (l'album culte de la formation), « The Rise of Sodom and Gomorrah » ou encore « The Blood of Kingu ». Ils savent quels titres une bonne partie du public aimerait entendre, la setlist se faire donc globalement plutôt cohérente, faisant une belle part à une grande partie de leur discographie. Sitra Ahra semble, en revanche, presque complètement occulté. Son seul représentant sera « Land of Canaan », une pièce très longue mais riche et dense, qui ne laissera pas une seconde de répit, et l'ennui n'y aura pas sa place. On est entraîné dans les divers paysages dessinés par Therion, parfois plus celtiques, parfois plus mystiques, mais jamais sans un voyage aux images évocatrices. Et puis il y aura encore un titre en français, hé ouais. « Une fleur dans le cœur » a le défaut d'être un poil mollassonne, et sa place dans la setlist est assez mal choisie, juste avant « Son of the Staves of Time ». Le seul petit défaut qu'on peut trouver.
Deux rappels auront lieu de la part du public. Lors du premier, le groupe interprétera « The Wondrous World of Punt » et « The Blood of Kingu », tous deux tirés de Sirius B. Puis, lors du second, Johnsson demandera au public quel titre ils souhaitent entendre, ce à quoi la foule lui répondra « To Mega Therion ». Un choix logique et prévisible, et certainement déjà préparé. Le combo, après moult remerciements de la part d'un Christofer semblant touché des réactions positives des personnes présentes, exécutera ainsi ce dernier titre de la soirée, emblématique du groupe désormais. Et quel régal de l'entendre ! C'est un peu notre petite récompense.
Therion a livré, ce soir-là, un show exemplaire, envoûtant, aux chants magnifiques, et à la setlist de très bon goût. Regret ? Que ce soit peut-être la dernière tournée des suédois … Les absents n'ont pas raison, c'est bien connu, et ça se démontrera encore ce soir. La formation scandinave, qui fait polémique avec Les Fleurs du Mal, peut cependant être fière de son parcours brillant, qui a influencé tant d'autres. En espérant qu'ils reviennent et que cette pause ne se termine pas par une séparation.
Une seule chose à dire : bravo Therion, et merci.
Setlist :
1. O Fortuna (Carl Orff cover)
2. Poupée de cire, poupée de son (France Gall cover)
3. Son of the Sun
4. Via Nocturna
5. The Flight of the Lord of Flies
6. J'ai le mal de toi (Betty Mars cover)
7. Abraxas
8. Vanaheim
9. Lemuria
10. Gothic Kabbalah
11. The Siren of the Woods
12. Ginnungagap
13. Land of Canaan
14. Wine of Aluqah
15. The Rise of Sodom and Gomorrah
16. The Khlysti Evangelist
17. Une fleur dans le cœur
18. Son of the Staves of Time
Rappel 1 :
19. The Wondrous World of Punt
20. The Blood of Kingu
Rappel 2 :
21. To Mega Therion
Therion tire sa révérence.
Photos : © 2012 Yannick Pfaadt
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