S'il y a un artiste qui n'hésite pas à aller au-delà des codes traditionnels du reggae, il s'agit bien de Williams Brutus. Certes, le genre né à Kingston est aujourd'hui mondialisé, chacun de ses activistes lui apporte une couleur différente et nombreux sont ceux qui le teintent d'electro, de rock, de hip-hop, de soul, etc... Williams Brutus est de ceux-là.
A vrai dire, vous avez déjà eu un léger aperçu de cette palette versatile avec son premier EP sorti en début d'année dernière (la grosse chronique ici) et sur lequel on ne retrouvait, en tout et pour tout, qu'un seul titre reggae sur les quatre qui composaient cet opus. Le morceau en question, "I Tried", avait d'ailleurs bénéficié d'un clip qui avait fait son "buzz" comme on dit aujourd'hui. Cela lui avait justement valu d'être cité en qualité de "révélation reggae" par la presse locale.
Depuis la parution de cet EP, il s'est passé environ un an et La Grosse Radio a eu l'occasion de rencontrer le chanteur en formule solo acoustique au festival Contraste & Couleurs de ses acolytes macônnais de Broussaï (le gros report ici) mais aussi en full band à Dijon (le gros report ici). Si la tonalité générale du concert restait d'essence reggae, l'on a aisément pu se rendre compte que Williams Brutus pouvait faire quelques pas de côté, notamment vers les contrées de la soul.
Ainsi, Williams Brutus débarque aujourd'hui (ou plus précisément le 2 février) avec son tout premier album, L'Estère, à paraître chez Garvey Drive Records (le label de Pierpoljak) et qui se veut un condensé de toutes les influences (musicales et personnelles) de l'intéressé. L'Estère fait en effet référence à la ville qui l'a vu naître en Haïti, et dans laquelle il est revenu il y a quelques années afin de renouer avec ses racines, ainsi qu'il nous l'expliquait plus en détail dans une interview qu'il nous donnait l'an dernier. Né en Haïti et ayant passé la plus grande partie de sa vie en France, Williams Brutus est donc un citoyen du monde, à l'instar du titre de l'album d'un autre artiste de Mâcon, j'ai nommé Erik Arma de Broussaï. Ce dernier avait lui aussi osé parcourir quelques genres extérieurs au reggae dans son Citoyen Du Monde et on n'avait donc pas hésité à faire de lui un "citoyen de la musique" (voir ici). Nous récidivons avec Williams Brutus.
Même si l'album s'ouvre par le reggae "Won't Turn Around", l'on sent déjà que quelques références plus pop se sont glissées de manière élégante qui font que Williams Brutus marche sur les traces d'un certain Chronixx qui, avec son surprenant mais excellent Chronology (la grosse chronique ici), apportait un vent de fraîcheur au reggae jamaïcain. Sur "Won't Turn Around", le riddim est peut-être plus acoustique mais l'analogie avec "Skanking Sweet" de Chronixx n'en paraît que plus évidente. Les voix des deux artistes, beaucoup plus suaves que celles que l'on entend habituellement dans le reggae, renforcent encore ce rapprochement, bien que le Mâconnais peut, en concert, partir sur un flow raggamuffin ou rappé, comme il peut le faire sur "You Can't Stop The Rain" où il se substitue à Beat Assailant. "You Can't Stop The Rain" est d'ailleurs totalement étranger au reggae ; on écoute plus ici un beat funky, voire hip-hop.
Mais les sentiers que Williams Brutus est allé le plus explorer sont ceux de la soul et notamment dans les morceaux les plus romantiques, l'amour étant en effet l'un des grands thèmes qui traversent cet album. Qu'il s'agisse de "When I'm With You", déjà présent sur l'EP, de "I Don't Have What It Takes", mais aussi de "Look Into My Eyes", cette tonalité soul se fait clairement ressentir. On insistera surtout sur "Look Into My Eyes", dans lequel le violoncelle donne, à lui tout seul (sans oublier la voix de Williams Brutus, bien sûr), une portée quasi symphonique au morceau.
Et si la black music dans son ensemble marque fortement le chanteur, il est forcément question d'Afrique dans cet album, puisque toute la black music américaine trouve son inspiration à travers le continent africain. En effet, comme il nous le confiait dans une autre interview à retrouver très prochainement, le blues américain descend du blues mandingue (ce que nous affirmait également Dom Peter, batteur d'High Tone, via son side project Midnight Ravers avec des musiciens maliens). Pas étonnant donc que Williams Brutus ait placé ces influences mandingues dans son album avec le grâcieux "Dilé", emmené par l'instrument le plus emblématique du blues mandingue, la kora. Williams Brutus rendra d'ailleurs hommage à l'Afrique avec "African Dream" dans un reggae stepper efficace.
A ce propos, que les reggae addicts, les vrais, les purs et durs se rassurent (à moins qu'ils n'aient déjà abandonné la lecture de l'article), il y a bel et bien du reggae sur L'Estère ! Que l'on pense à la belle balade "Woe Is Us", à "Have Been Waiting For" inspiré par la soul ou du big bad tune "I Tried", les adeptes de reggae music ne seront pas déçus. Alors bien évidemment, il n'est pas question d'un reggae roots qui chercherait à reproduire le son des elders. De toute façon, ça ne servirait à rien et Williams Brutus se planterait en beauté s'il voulait suivre cette piste. Non, sa démarche consiste plutôt à métisser un genre qu'il affectionne pour mieux se l'approprier. Et ça marche, sachant qu'on sent une certaine osmose entre la musique et son interprétation. Même la reprise du tube intergalactique de Cindy Lauper, "Girls Just To Want Have Fun", dans un format ska trouve toute sa place ici avec quelques touches digitales.
L'Estère est un album bien produit. Williams Brutus s'est engouffré dans la brèche d'un Chronixx, d'un Naâman, voire même d'un Sizzla (voir son I'm Yours) en quête de renouvellement et d'originalité. On ne peut que souhaiter au chanteur d'aller encore explorer, creuser, fouiller, défricher...
TRACKLIST
1. Won’t Turn Around
2. You Can’t Stop The Rain feat. Beat Assailant
3. Woe is us
4. When I’m With You
5. Dilé
6. Girls Just Want To Have Fun
7. I Tried
8. I don’t Have What It Takes
9. Look Into My Eyes
10. Have Been Waiting For
11. African Dream