Depuis qu'il nous en avait parlé lors de notre interview au No Logo Festival en 2016 (voir ici), on avait hâte de découvrir le nouvel album de Bazil. Cependant, cet opus tant attendu a été sans cesse repoussé jusqu'à ce que sa sortie soit officialisée pour le 23 février prochain chez X-Ray Production. Mais eu égard à la qualité de production de cet East To The West, on ne peut que comprendre pourquoi il n'arrive que maintenant. Bazil et son équipe ont pris soin et surtout le temps nécessaire de ne pas bâcler leur travail et d'aboutir à quelque chose de rigoureux. Cette méticulosité a porté ses fruits et le résultat est plutôt réussi, c'est le moins que l'on puisse dire !
A l'instar des Ligerians, de Biga*Ranx, de Brigante Records, d'ODGProd, d'Art-X, de Chill Bump, d'Ez3kiel, et j'en passe, Bazil est un Tourangeau, c'est-à-dire qu'il est lié à la ville qui, aujourd'hui, est incontestablement la plus dynamique et surtout la plus innovante en matière de productions reggae en France. Tout ce petit monde injecte ses propres influences pour créer un reggae moderne, qu'il soit roots, digital, dub, marqué par le hip-hop, l'electro, etc. Bazil n'échappe pas à ce constat et son East To The West dépasse de très loin les cadres et les codes du reggae, comme cela avait déjà pu être le cas sur ses précédents albums et EPs, Stand Up Strong et High On Music.
Et cela se vérifie d'autant plus avec les beatmakers qui ont entouré Bazil pour la conception de cet East To The West. Nous disons bien "entouré", puisque Bazil a composé ou écrit des parties sur certains morceaux. De la même manière que sur High On Music, où il avait déjà cette casquette d'auteur-compositeur, Bazil transforme l'essai pour cet album. Sinon, l'on retrouve notamment Manudigital (que Bazil a accompagné durant la tournée marathon consécutive au Digital Pixel du riddimmaker) ou Mathieu Bost qu'on ne vous présente plus. Sont également présents un certain Romain Ghezal, co-producteur de High On Music, ainsi que le duo Tambour Battant, qui, l'année dernière, signait un album, Dance All Night (la grosse chronique ici), à la sauce Major Lazer et DJ Snake, et sur lequel on pouvait déjà entendre Bazil avec "Move Pon Bakka" ou encore SOAP (Son Of A Pitch), le principal artisan du très éclectique Cool & Deadly de Taiwan MC (la grosse chronique ici).
C'est justement à SOAP qu'est revenu la (difficile) charge de composer le titre éponyme de cet album. Et pour le coup, il ne s'agit pas du tout d'un reggae, même si un skank et un rythme dancehall viennent se glisser de temps à autre, mais plutôt d'un funk avec une ligne de basse, une, guitare, un clavier, des cuivres et un synthé emblématiques de ce genre. Autrement dit, c'est un tune qui groove, à l'image de tout cet album. Nous disions en effet que cet opus avait mis du temps à sortir et c'est sûrement dû au fait que les morceaux ont été travaillés et remaniés sans relâche pour obtenir le beat qui fait mouche à chaque fois. Le fait que Bazil se soit expatrié aux Etats-Unis (à New York et Chicago) pendant quelques temps montre que le MC aura ramené ce groove funky dans ses bagages lorsqu'il est rentré en France. C'est ce que l'on ressent sur "Love The Night" qui, bien que possédant une structure reggae en mode rub-a-dub, nous fait agréablement penser à une instru funk ambiance disco des 70's (vocoder en prime). Manudigital signe également un riddim reggae/hip-hop groovy ravageur avec des relents de Cypress Hill dans "Pop Off" que vous avez déjà pu écouter.
Dans ce clip, Bazil nous raconte les aventures de Bernard, son alter ego version geek, en Jamaïque. Il paraîtrait même que le jeune homme est tombé amoureux d'une certaine Shaneequa à Spanish Town, mais il ne nous l'a toujours pas présentée . Peut-être le fera-t-il dans une prochaine vidéo...
"The Heart" est lui aussi inspiré par le hip-hop façon boom-bap avec un soupçon de r'n'b ; quant à "Vision", c'est plus par son flow que le MC aborde le rap, l'instru, composée par Tambour Battant, étant plus portée sur la dance, voire la house, et elle rejoint par conséquent une autre "Vision" parue sur le Dance All Night du duo. C'est justement à une dancehall night que nous convie Bazil notamment via la pochette de l'album (dessinée par le père de Bazil en personne) où le sound system est prêt à nous accueillir. De dancehall il en est question avec "Want Better Days" (où Bazil, tel un Pupajim, modifie son flow pour se faire des auto-featurings) ou "Trouble Trouble" chapeautés par Bost mais aussi et surtout avec "General", autre compo des Tambour Battant, qui reprennent pour l'occasion leur "Open Your Eyes" en y mêlant des sonorités africaines, du trap et du dub. Et le titre qui pourra mash up le dancefloor est, sans aucun doute, le très efficace "Escape" à la croisée de la pop des 80's et de la dance des 90's, lui aussi produit par Tambour Battant en collaboration avec Romain Ghezal.
Si vous avez déjà pu vous familiariser avec "Pop Off", alors qu'en est-il du terrible "I Know", initialement un simple freestyle sur Facebook qui cumule aujourd'hui plus de 500 000 vues. C'est à la suite du succès de ce morceau que Bazil a décidé de l'inclure dans l'album et il en a fait de même avec "Terminator" que vous avez tous en tête et qui figurait déjà sur High On Music.
Revenons maintenant au groove qui caractérise cet East To The West. Une fois de plus, c'est Manudigital qui signe un riddim pour Bazil avec le one drop "Double Up". On a rarement l'occasion d'entendre Manudigital avec ce style de reggae, le son originel des Wailers (Carlton Barrett restera à jamais et de très loin comme le plus groovy des batteurs de reggae), mais Manudigital sait tout faire, ainsi qu'il nous le prouve encore ici avec une instru très marquée par la soul comme l'étaient les riddims reggae du début des 70's. On appréciera aussi énormément les chœurs qui nous évoquent les harmonies jamaïcaines comme les Uniques, les Abyssinians ou les Congos, sensation que l'on éprouve aussi sur "Hotter Tempo" sur un riddim plus digital et plus rub-a-dub que le précédent. Quant à SOAP, il injecte lui aussi un peu de rub-a-dub avec le très yardie et new roots "Old Soul Cassette". On le redit, le reggae, c'est la soul jamaïcaine !
L'album se conclut par "From Dem", une ballade qui oscille entre l'acoustique et le hip-hop et composée par Bazil lui-même.
Avec East To The West, Bazil nous a montré son intérêt pour la black music dans son ensemble, qu'il s'agisse de la soul, du disco, du funk, de la house, du hip-hop et bien évidemment du reggae. Tous ces genres musicaux ne font (sont) qu'un en réalité. Bazil en est parfaitement conscient et il a su l'exprimer brillamment.
TRACKLIST
01. East to the West
02. Pop Off
03. Vision
04. I Know
05. Love the Night
06. General
07. Escape
08. Terminator
09. Double Up
10. The Heart
11. Trouble Trouble
12. Old Soul Cassette
13. Hotter Tempo
14. Want Better Days
15. From Dem