Biga*Ranx – Sunset Cassette

Initialement prévue pour le mois d'avril, la nouvelle galette de Biga*Ranx est cependant sortie le 19 juin dernier, eu égard aux événements survenus récemment et que vous connaissez tous. Mais à vrai dire, pour un album qui s'appelle Sunset Cassette, ce n'est pas plus mal qu'il soit paru quelques jours avant l'arrivée (officielle) de l'été. Car effectivement, il s'agit d'une œuvre ensoleillée qui sent bon la plage, le sable, les apéros et les palmiers (tiens, tiens, comme la pochette de 1988).

Mais il serait un peu trop précipité d'affirmer que ce Sunset Cassette ne soit que la suite logique du précédent opus du Tourangeau. Alors certes, le MC continue sur cette lancée lo-fi via un reggae/dancehall très délicat dans la lignée d'un certain "Liquid Sunshine" et surtout à travers son virage vapor qu'il a entrepris avec deux opus datant de 2015, Nightbird et Dub Champagne, EP qu'il a produit sous le pseudonyme de Telly*, son entité de beatmaker. Cependant, comme il n'aime pas refaire cinquante fois de suite le même album (et en cela, on établira une fois de plus la comparaison avec Diplo que l'on avait déjà émise à propos de l'album de Supa Mana, Double Trouble, sorti en 2016 sur le label qu'il a co-fondé avec ses potes, Brigante Records), Sunset Cassette va donc encore plus loin que les précédents LPs du Tourangeau avec un son résolument tourné vers le dub et l'electro.

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Plus loin ? Oui et non, en fait. A vrai dire, ce n'est pas la première fois que Biga*Ranx s'essaye au dub. L'un de ses premiers faits d'arme (sur une sortie officielle, entendons-nous bien, sachant qu'il traînait son mic et son flow capletonien depuis belle lurette en sound system) remonte à 2009 sur le wicked "Make It This Time" de Kanka. A une époque où le Normand et ses homologues français (Improvisators Dub, Brain Damage, etc) étaient obligés de traverser la Manche pour trouver des MCs dignes de ce nom (à l'exception notable de Shanti D ou Sir Jean), Biga*Ranx faisait presque figure de pionnier dans l'Hexagone, à l'instar d'un certain Pupajim qui, lui aussi, après avoir fait ses classes avec son Stand High Crew sur les routes de France et de Navarre (et de Bretagne) obtenait une grosse reconnaissance avec le non moins wicked "Rub-A-Dub Anthem" d'High Tone en 2010.

Réunis pour la première fois par le frère de Biga*Ranx, Atili, sur son dernier album Huglife (la grosse chronique ici) l'année dernière, les deux MCs avaient donc tout pour s'entendre musicalement et vocalement parlant. Et somme toute logique, le Tourangeau a invité le Brestois à se poser sur un track de son album, en l'occurence "Aubepines" qui mêle subtilement dub et sensibilité sweet façon Brigante ; le morceau aurait d'ailleurs pu très bien être composé par Atili.

En effet, si l'on cite à l'envi l'auteur de Bridge Over Troubled Dreams, c'est que son Huglife apparaît comme un miroir de Sunset Cassette de par son esthétique disparate. Mais autre fait marquant, c'est la présence de Lil Slow sur les deux opus ; mais si le beatmaker de Damé n'intervenait que très brièvement sur la galette d'Atili, force est de constater que sa patte se fait plus prégnante sur Sunset Cassette avec pas moins de trois morceaux où il est officiellement crédité, "Solid", "Vieille Branche" et OVA". "Officiellement", puisqu'il y a fort à parier que Lil Slow a participé de très près à l'élaboration de l'album, de la même manière que sur le Smockaz (la grosse chronique ici) de Big Red.

Mais là où "Solid" prend le taureau par les cornes avec un kick qui donnerait des sueurs froides au moindre cardiaque se trouvant dans les parages et une ligne de basse ronronnante destinée à pousser vos esgourdes dans leurs derniers retranchements, "OVA" et "Vieille Branche" demeurent des titres très "sunset", prompts à être écoutés devant un coucher de soleil justement en terrasse un verre à la main et face à la mer.

C'est d'ailleurs cette opposition entre ambiances suaves et rythmiques plus effrénées qui fait l'intérêt principal de cet album, comme si Biga*Ranx était un schizophrène de la musique, un Tyler Durden du skank, tantôt attiré par des notes délicates et tranquilles et tantôt entraîné par les sub bass vrombissantes du sound system.

A ce sujet, ce n'est pas un hasard si on le retrouve auprès de l'un des deux sounds les plus innovants en matière de dub actuellement en France (l'autre étant Stand High Patrol), j'ai nommé O.B.F sur "My Driver", sorte d'hymne rasta stepper et synthwave, hommage rendu par Biga*Ranx et Sr Wilson à une culture qui les berce depuis longtemps. On se repasse en boucle ce track via le clip animé par Dizziness Design, le pote tourangeau de Biga*Ranx et co-fondateur de Brigante Records. Et dans la même veine dub "an 3000" à la O.B.F, on retrouve un autre Tourangeau aux manettes de "Single Day", le MC de Chill Bump, Miscellaneaous, qui signe avec son compatriote l'un des morceaux les plus efficaces de ce Sunset Cassette et destiné à mettre le dancefloor sens dessus dessous. Ça, c'est pour la face énervée de l'album.

Mais, ainsi que nous l'écrivions plus haut, Biga*Ranx a aussi repris la trame suave qui parsemait très largement son 1988 (la grosse chronique ici) et a placé beaucoup de "sunshine on [his] face" ici. A ce titre, on mentionnera le tune éponyme de cette galette qui se présente comme un enchaînement tout naturel de "Liquid Sunshine" ou encore le voyage qu'il a entrepris à "Mexico" avec un dub à base de melodica et dont les lyrics feraient presque écho au fameux "Police In Helicopter".

De même, le dancehall/trap "Hot Water" est représentatif de cette esthétique ensoleillée ; cependant, au-delà de ce constat, on remarquera que Biga*Ranx s'essaye à l'espagnol ici dans un assemblage polyglotte composite qui fait écho à son esthétique plastique faite de collages (cf les pochettes des singles de l'album ou ses derniers clips). Autre exemple, il déclare "recoller son ciel avec des petits bouts de scotch" dans "Les Poches" où le dub se mêle au hip-hop, un morceau dans lequel il s'exprime en français à l'instar de "Regarde-Moi". Alors certes, ce n'est pas la première fois que Biga*Ranx s'adonne à la langue de Molière (on se souvient notamment de "I Am a MC" et bien évidemment de "Paris Is A Bitch" sur Nightbird), mais il n'était encore jamais allé aussi loin sur des morceaux complets. Cela montre de toute évidence que le MC sait se renouveler et repousser les limites du champ des possibles, qu'il s'agisse du langage, mais aussi et surtout de l'art en général.

TRACKLIST

1. My Driver feat OBF & Sr Wilson
2. Vroom feat Ninite & Prince Mercredi
3. Regarde Moi       
4. Solid feat Lil Slow
5. Aubepines feat Pupajim
6. Single Day feat Miscellaneous
7. Vieille Branche feat Lil Slow
8. Hot Water feat Blakkamoore
9. Sunset Cassette
10. Ova feat Lil Slow
11. Les Poches
12. Mexic

Artiste : Biga*Ranx
Album : Sunset Cassette
Label : Wagram
Date de sortie : 19/06/2020

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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