C'est dans le cadre du festival Riddim Collision que je suis allé à la rencontre de Pfel et Greem, DJs, entre autres, du collectif C2C.
Je tiens à souligner que cette interview s'est décidée au dernier moment ; je n'avais alors absolument rien préparé. Il a donc fallu que j'improvise quelques questions en direct et l'entretien s'est finalement très bien déroulé.
Nous avons cependant très peu évoqué le reggae, pour la bonne et simple raison qu'il ne représente pas une influence majeure pour les deux DJs.
Mais étant donné qu'ils s'inspirent beaucoup du hip-hop, qui est un genre voisin du reggae, on se devait tout de même de poser quelques questions à ces deux artistes incontournables de la scène turntablism française.
Bonjour Pfel & Greem, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Pouvez-vous vous présenter et rappeler brièvement la genèse du projet ?
Greem : Nous sommes deux DJs qui faisons partie de C2C. On a également d'autres groupes, Hocus Pocus pour 20Syl et moi, même si nous ne faisons plus trop de lives en ce moment, et Beat Torrent pour Pfel et Atom. Lorsque nous avons arrêté de tourner avec C2C, Pfel et moi, on n'avait pas envie de lâcher le rôle du DJ qui est de faire bouger les gens à travers des sets énergiques . Du coup, on a monté un projet tous les deux qui existe depuis environ un an et demi. Et là, on arrive avec une nouvelle scénographie et un nouveau dispositif lumineux. C'est donc l'occasion de montrer cela ce soir à Lyon.
Sur scène, comment ça se passe ? Est-ce différent ou similaire à C2C ?
Pfel : On essaie de proposer quelque chose de différent. Comme le disait Greem, on revient à nos premières amours de DJs, à savoir mixer des sons d'autres artistes, mais aussi les nôtres. Et forcément, on fait des petits clins d'œil à C2C, les gens nous attendent un peu là-dessus, donc on rejoue "Down the road", "Happy" qu'on adapte un petit peu. Au final, ça reste un set assez hybride, comme ce qu'on pouvait faire à l'époque avec Beat Torrent où on alternait phases de mix et phases de scratches. Il y a toujours énormément de références, on va d'abord remixer un morceau et ensuite on va mettre l'original très rapidement. Ce sont tous ces éléments qui vont construire la narration du show. C'est un DJ set dans la forme.
Comment expliquez-vous l'engouement pour le scratch ou pour le genre de set que vous faites ?
Pfel : Je n'ai pas vraiment l'impression qu'on soit sur une période très faste pour le DJing et le scratch en particulier. Il y a eu des pics à certaines époques, mais si l'on se réfère aux championnats du monde de DMC [Disco Mix Club, C2C a remporté quatre fois l'épreuve de 2003 à 2006, NDLR], on trouve beaucoup moins de participants aujourd'hui qu'auparavant. Mais c'est avant tout cyclique. En ce moment, il existe une grosse vague de producteurs qui a émergé notamment via Soundcloud. Ces gens ont pu diffuser leur musique depuis leur chambre et pas forcément à travers un délire de platiniste ou de turntabliste comme cela pouvait être le cas dix ans plus tôt. Et lorsque cette génération se trouve confrontée au live, on est un peu déçu, puisque ces nouveaux producteurs ne sont pas des showmen, ils ne font pas véritablement de manipulation. On a par exemple ressenti cet aspect après que Greem a vu récemment Flume à Paris : son set n'a pas évolué depuis deux ans, il n'a pas adapté ses morceaux et n'a pas apporté de plus-value. C'est dommage de constater ce genre de lacunes aujourd'hui chez ces producteurs modernes. Mais cela accomagne ce mouvement-là, il s'agit d'un autre raisonnement. En ce qui nous concerne, on a commencé par le scratch, qui est plus visuel, avant de venir à la production. Mais pour ceux dont le cheminement est inverse, c'est plus compliqué de trouver les bons atouts pour réussir à créer quelque chose sur scène après que tu as composé tes prods dans ta chambre. Je vois les choses comme cela.
Regrettez-vous le fait qu'on utilise très peu de vinyles aujourd'hui, chose que l'on observe aussi dans les sound systems dub ?
Greem : Oui et non. Il y a de moins en moins de vinyles, puisque la technologie fait que c'est beaucoup plus facile d'utiliser les ordinateurs, que ce soit pour la variété du son ou bien pour le transport et la logistique. J'ai cependant l'impression que le vinyle est toujours là ; à Paris, on trouve beaucoup de soirées où c'est "only vinyl", les mecs viennent avec leurs galettes et des gamins de 20 ans kiffent cela. Et quand on regarde les courbes de ventes de disques, le vinyle est en progression pendant que le CD se casse la gueule. Mais je pense que c'est un débat obsolète, sachant que le public vient avant tout chercher une vibe en concert, et c'est ce que tu fais musicalement qui est important. La performance de jouer en vinyle ou pas demeure secondaire. Après, on rentre dans des délires de collectionneurs, mais c'est autre chose.
Des collectifs avec des DJs, comme Le Peuple de l'Herbe ou L'Entourloop, sont beaucoup influencés par le reggae. En est-il de même pour vous ?
Pfel : Personnellement, pas énormément. Forcément, le reggae est dans l'inconscient collectif, on connaît tous les mélodies des morceaux de Bob Marley, Peter Tosh, les grosses pointures du reggae. Mais sinon, ce n'est pas une musique qui m'a bercé ou à partir de laquelle j'ai pu puiser une inspiration. Par conséquent, c'est très compliqué de pouvoir te répondre quelque chose de concret là-dessus !! En fait, il s'agit d'un des rares gros mouvements musicaux à travers lequel je suis passé à côté !
Greem : En ce qui me concerne, ce sont des artistes à l'ancienne comme Israel Vibration ou Macka B qui me parlent. Après, je n'ai pas forcément suivi l'évolution des choses, la nouvelle école. Je sais qu'il y a des groupes comme Groundation, on avait joué avec eux et je les ai trouvés très intéressants sur scène. Je pense qu'il faut creuser et je trouverai nécessairement quelque chose que je vais apprécier, mais ce sera plus dans la recherche de grains de sons en me disant : "ah ouais, là c'est cool, il a utilisé le clavier d'une autre manière". Je n'ai pas envie de généraliser, mais il existe des codes dans le reggae et on a vite fait le tour. Par contre, l'instrumentation à l'époque du roots me plaît énormément, car il y avait des sections cuivres, des choristes et c'était mortel !! Mais par la suite, on est vite venu à des essentiels avec des synthés qui pouvaient jouer des sons des cuivres ; je ne suis pas trop en phase avec cette évolution du reggae, qui se retrouve également dans la soul et la funk. Mais dans tous les styles de musique, si tu fouilles bien, il existe des gars qui se prennent la tête avec des sons particuliers. Cependant, nous, on n'a pas le temps de tout digger, on kiffait peut-être plus le reggae lorsqu'il y avait des mélanges, avec le hip-hop par exemple, que l'on pense à Afu-Ra ou à Damian Marley avec Nas. C'est cette fusion qui nous touchait, comme ce que l'on peut faire avec C2C, où l'on ne produit pas de jazz ou de soul purs. On n'a jamais eu de morceaux avec des sonorités reggae, mais cela aurait très bien pu être le cas. On aurait pu s'inspirer d'une rythmique reggae pour la marier avec un autre genre musical sans rester dans un style bien déterminé et cloisonné.
Pfel : Je pense justement à quelque chose qui m'a bien plu à ce propos : il s'agit de la période reggae de Serge Gainsbourg. Ce n'est pas celle que je préfère, mais j'ai trouvé intéressant la manière dont il a su réadapter à sa sauce les codes du reggae.
Vous parliez de fusion des styles. Vous sentez-vous proches, musicalement et esthétiquement parlant, de la scène dub live française, qui a, elle aussi, su mélanger les genres musicaux ?
Pfel : On a un peu grandi avec ça aussi dans les festivals à la fin des années quatre-vingt-dix et début 2000. On a souvent joué avec Le Peuple de l'Herbe, par exemple, à l'époque où on commençait. Je connais bien N'Zeng d'ailleurs [ancien trompettiste du Peuple de l'Herbe et qui tourne aujourd'hui avec L'Entourloop notamment, NDLR]. Ce sont des groupes qui ont marqué cette période de leur empreinte, un vrai mouvement s'était créé qui, aujourd'hui, s'est un peu tassé. Quelque chose de très intéressant se passait en France à ce niveau-là avec une vraie culture formée d'un bon regroupement d'artistes.
Greem : On a plus appréhendé le DJing via les musiques hip-hop, par conséquent on a connu ces groupes de la scène dub par le live. Je t'avoue cependant que si tu regardes notre discographie, tu ne vas pas trouver de reggae ou de dub. Nos influences restent majoritairement orientées vers le hip-hop US et toute la black music avec des samples originaux. On a qu'une vie et on ne peut pas tout écouter malheureusement, mais on reconnaît toute l'influence que ces groupes de dub ont pu avoir à l'époque. Et c'est vrai que ça défonçait en live, il y avait une excellente créativité et un mélange qui était très original.
Pfel : C'est plus de l'afrobeat dont on se sera inspiré avec le morceau "Together" sur Tetr4 par exemple. On avait fait venir un joueur de kora. On est sensible à toute cette culture, on s'y intéresse, justement via des rencontres humaines. Rythmiquement, l'afrobeat est génial à utiliser. Si tu as l'occasion de réécouter ce morceau, tu sauras de quoi je parle.
Toujours pour rester sur la fusion des styles. Les Beastie Boys, qui pouvaient jouer à la fois du punk, du hip-hop et même du reggae, représentent-ils une grosse influence pour vous ? Je crois me souvenir d'ailleurs que vous les repreniez sur scène avec C2C ?
Pfel : Oui, pour le coup, les Beastie Boys sont une grosse influence pour moi. J'ai une bonne collection de vinyles des Beastie, c'est quelque chose qui me tient vraiment à cœur. Et en effet, on s'en était un peu inspiré dans le morceau "The Beat" où on posait un couplet à la fin et on trouvait que ça sonnait pas trop mal. Mais à la base, c'était plutôt un truc témoin, on avait trafiqué nos voix et on avait fait écouter ça à nos managers en leur faisant croire que c'étaient des gamins de Chicago qui chantaient. Du coup, ça leur a plu et on s'est dit qu'il fallait poursuivre le délire sur scène, sachant que 20Syl, qui est également MC, nous avait bien poussés dans ce sens-là. Mais je t'avoue qu'il y a quand même eu quelques "pains" où j'ai pu cracher du yaourt au micro (rires).
Greem : Après on s'est pris au jeu et c'est devenu un des moments clés du show. Le public pétait un câble, puisqu'on passait de DJs à MCs et ça a vraiment créé une osmose. Par la suite, MCA des Beastie Boys est décédé et c'est devenu un hommage à lui, on mettait son portrait sur les écrans. C'est un groupe qui, bien évidemment, nous a influencés, puisqu'il y a la culture skate autour, on a tous skaté. Et comme tu le disais, ils avaient aussi un côté punk, on a eu également notre petite période hardcore ou metal. Ce sont des artistes qui ont réussi à imposer une image très éclectique tout en ayant des morceaux qui déchiraient.
Vous avez joué du metal aussi ?
Greem : Moi non.
Pfel : Ma première expérience dans la musique s'est déroulée quand j'avais 14/15 ans. On avait un groupe de rock, on a fait les fêtes du lycée. Je jouais de la guitare, j'avais les cheveux longs et tout. Ce n'était pas vraiment metal, mais on était bien inspiré par Nirvana ou Soundgarden et ce genre de groupes.
Inévitable question à laquelle, je pense, vous avez droit en permanence : allez-vous reformer C2C ? Et d'ailleurs, que deviennent Atom et 20Syl ?
Greem : Atom a un groupe qui s'appelle Parrad, ils viennent juste de sortir un remix de The Geek x Vrv, un collectif hip-hop boom-bap à la sauce moderne. Il continue également de mixer dans son studio, sachant qu'il est ingénieur du son. Quant à 20Syl, il est sur AllttA, un projet avec Mr. J. Medeiros, rappeur américain de The Procussions ; un album va sortir en février 2017 puis une tournée suivra. Du coup, Pfel et moi avons aussi chacun nos projets : Pfel prépare des choses en solo, et moi j'ai un groupe avec un pote de Caravan Palace qui s'appelle Alligatorz. On commence à lâcher quelques sons, c'est dans un délire tropical bass, on essaye d'explorer de nouvelles voies. Chacun est donc bien occupé pour le moment. Sinon, pour C2C, on ne se donne vraiment pas d'ultimatum. Si un jour, on a envie de sortir un nouvel album, on se parlera et on se dira que c'est le moment ; mais pour l'instant, il n'y a rien de fixé.
Un dernier mot pour La Grosse Radio ?
Pfel : Grosse !!
Greem : Radio !!
Merci Pfel et Greem pour m'avoir accordé cette interview.
Merci également à Guillaume d'AFX et à Julien de Jarring Effects.