Pour le troisième et dernier jour au Nomade Reggae Festival, la programmation se veut encore plus ambitieuse que les journées précédentes. Cette fois-ci, les affiches internationales sont légion, et quelles affiches, et elles côtoient des artistes plus ou moins issus de la scène régionale (Marmaï et I Woks Sound), symbolisant la force et l'ouverture du festival de Frangy : les locaux ont ici autant leur place que les artistes d'envergure internationale. Quant aux Raggasonic, ils effectuaient leur grand retour.
Ce sont les Lyonnais de Marmaï qui ont ouvert cette journée. A notre plus grande déception, le groupe n'aura pas réussi à nous convaincre, malgré un certain entrain amené par le combo sur scène. Une part non négligeable des morceaux invitent les spectateurs à jumper, mais on a ressenti une carence évidente dans les flows des chanteurs. En effet, Marmaï mélange reggae et chanson française, ce qui n'est pas pour nous déplaire a priori (d'autres artistes l'ont fait avec brio comme Babylon Circus), cependant l'alchimie entre les deux genres a eu énormément de mal à fonctionner avec le groupe. C'est plus la déconnexion entre les compositions, assez bonnes dans l'ensemble, et les chants qui nous aura déçus, les voix des MCs manquant en effet cruellement de vibe et n'entrant pas en symbiose avec les riddims. Qu'à cela ne tienne, Marmaï aura pu bénéficier d'une bonne exposition au Nomade Reggae Festival, bien que jouant en début de journée, ce qui leur aura permis de se faire connaître d'un public plus large.
A La Grosse Radio, on aime bien I Woks Sound, on les aime tellement que c'est la troisième fois cet été que nous couvrions un de leur concert après celui du Festi Luma (le gros report ici) et celui à En Roots Vers Anneyron (le gros report ici). Et ce n'est pas fini, puisque nous allions les retrouver une semaine plus tard au No Logo, festival au cours duquel ils nous confieront une interview où ils nous dévoileront quelques-uns des secrets de fabrication de leur nouvel album sur lequel du très, très beau monde a participé. En attendant, Jahrald et SK93 étaient venus accompagnés de leur backing band Reggae Mylitis au Nomade Reggae Festival. Mais pourtant, c'est sur un riddim de Skank N Prod (l'un des activistes de United By Skankin'), le "Judaintown", qu'I Woks Sound débutera son set avec "Trouble". On est immédiatement conquis par le son très lourd du Reggae Mylitis qui va se réapproprier proprement les instrus issues des albums du duo. Puis le crew se posera sur quelques-uns de ses titres phares tels que "Toi qui me juges" ou encore "Une seule vie". On se sera également beaucoup délecté de "Défi Kibaye" qui repose sur le célèbre "Tearz" du Wu-Tang Clan qu'on avait déjà entendu la veille avec Papa Style. Comme quoi, le hip-hop old school et boom-bap demeure une influence majeure pour les artistes reggae français. Et puisqu'ils sont en préparation de leur futur opus, les I Woks Sound en profiteront pour interpréter deux titres de celui-ci, dont "Un jour comme un autre". Le groupe finira par nous gratifier de son "Passe-Temps" en mode reggae avant qu'il ne fasse partir le riddim sur un rythme pungle (contraction de punk et jungle inventé par La Phaze) très enjoué qui contentera tout un chacun.
Si les I Woks Sound nous ont offert quelques morceaux en exclu de leur nouvel album, c'est le groupe qui va suivre qui était lui-même une exclu au Nomade Reggae Festival. En effet, les Black Roots se sont rendus à Frangy pour leur seule et unique date française de l'été. Big up le Nomade pour nous proposer un tel line-up, d'autant qu'il s'agissait de l'une des meilleures prestations (voire la meilleure ?) du festival. Les Black Roots ne sont plus à présenter avec leurs messages rasta et surtout leur son fluide, limpide et qui coule de source : aucune fausse note n'a été à recenser au cours de leur concert et il faut se lever tôt pour trouver un groupe aussi impeccable musicalement sur scène. En un mot, c'était tout simplement parfait ! En parlant de perfection, la quintessence du reggae music a été atteinte avec "Blackheart Man" inna rub-a-dub style (les Roots Radics n'ont qu'à bien se tenir) avec une section rythmique exceptionnelle, dont une ligne de basse qui vous élève littéralement, renforcée par des percus et des cuivres magiques (le trompettiste, d'origine hispanique, apporte une touche quelque peu latino au roots des Anglais) ; bref, un modèle du genre et une leçon de reggae offerte par les Black Roots. Ces derniers feront également retentir les très efficaces stepper "Cloudy Night", en ouverture, ou "Afrika", dans la plus pure tradition du reggae anglais. Quant au rub-a-dub "Slavery", c'est là que l'on remarque la complémentarité des voix des deux chanteurs : Errol Brown conservant un flow très reggae pendant que Delroy O'Gilvie se dirige plus vers des incantations soul. Les Black Roots interpréteront aussi quelques morceaux de leur dernier album Son Of Man (la grosse chronique ici), dont le terrible titre éponyme ou encore "Poor Old Mama".
Après la vieille garde anglaise, place ensuite à la nouvelle génération jamaïcaine avec Raging Fyah. Ceux-ci sont etiquetés au sein de la très foisonnante scène reggae revival qui ouvre le genre à d'autres courants musicaux, tels que le hip-hop ou la pop, et c'est cette dernière que Raging Fyah intègre brillamment à ses compositions, même s'ils commenceront leur set par deux titres très reggae, stepper et rub-a-dub, issus de leur ancien album Destiny, "Nah Look Back" et "Step Outta Babylon". Et malgré leur statut d'artistes incarnant le renouveau à Kingston, ils n'omettent pas de rendre hommage à quelques classiques, dont le "Punany" qu'ils revisiteront sur l'extended version de "Irie Vibe" ou en reprenant le "No Woman No Cry" de qui vous savez dans une réadaptation très slow. Tout le monde a même d'ailleurs cru qu'ils allaient se réapproprier "La Bamba" à leur manière avant qu'ils n'entament en fait le très pop "Dash Wata" ; en tout cas, ça a très bien marché auprès du public qui était sur le point d'entonner les paroles du morceau de Los Lobos. Raging Fyah conclura "Dash Wata" sur une orchestration ska qui mettra tout le monde d'accord. Au-delà de cet aspect festif, le crew de Kingston sait donner une intensité roots très lourde à ses riddims ; on mentionnera justement le travail magnifique fait par le bassiste sur les tracks d'Everlasting notamment : le titre éponyme ou encore "Raggamuffin" et "Ready For Love" sont marqués par des lignes de basse abyssales et hypnotiques qui auront su nous ravir.
Il était environ 22h lorsque la tête d'affiche de cette édition 2017 du Nomade Reggae Festival a fait son apparition sur scène après une introduction haut en couleur de la part de son backing band The Solar System (où l'on entendra notamment le riff ravageur du "Black Dog" de Led Zeppelin), j'ai nommé "l'artiste de classe mondiale" (pour reprendre les mots du maire de Frangy) Alpha Blondy. C'était en effet principalement pour l'Ivoirien que les spectateurs, tous âges confondus, s'étaient déplacés en masse ce dimanche, la jauge étant pleine à craquer. On sait le chanteur immensément populaire en Afrique, mais il l'est tout autant en France, Alpha Blondy étant effectivement l'un des rares artistes reggae encore vivants à être connu du grand public et cela s'est bien sûr ressenti pendant son concert. Les massives connaissent les chansons par cœur. Alors qu'Alpha Blondy a tout juste rejoint ses musiciens et qu'il ne récite son fameux "Psaume 23", ceux-ci commencent ensuite par jouer un riddim composé par les Wailers, vous avez compris, c'est "Jerusalem" qu'Alpha Blondy va interpréter devant un public acquis à sa cause. Puis les classiques s'enchaînent : une reprise du sublime "Heathen" de Bob Marley, "Sweet Fanta Diallo", "Peace In Liberia". Et c'est pendant le concert de l'Ivoirien que le maire de la commune interviendra sur la scène du festival pour prononcer son discours quotidien (il a aussi fait une apparition durant celui de Raging Fyah) ; de la même manière que la veille avec YaniSs Odua, il fera d'Alpha Blondy citoyen d'honneur de Frangy après lui avoir remis la médaille de la ville. On a senti le chanteur très touché par ce geste. Il finira son set par les inévitables "I Wish You Were Here", la reprise de Pink Floyd, et, bien sûr "Brigadier Sabari" qui mettra en émoi une partie non négligeable du public, avant de quitter la scène et de répéter en pagaille des "merci Frangy".
Ce sont les auteurs du meilleur album de reggae français jamais sorti, le Raggasonic de 1995 (cet avis n'engage que nous, il ne s'agit en aucun cas d'une prescription), qui allaient clôturer le Nomade Reggae Festival. Lors de leur première reformation en 2010, les Raggasonic pouvaient se produire en band (avec notamment feu le guitariste Bim) ou en sound. C'est avec cette dernière configuration que Daddy Mory et Big Red ont joué devant le public de Frangy avec un selecta de premier choix, qui les accompagnait déjà lors du come-back, Lord Zeljko du King Dragon Sound System. Celui-ci balance un peu de jungle et de drum n'bass en intro afin de chauffer les massives puis il envoie direct le "Stalag" riddim ; Daddy Mory et Big Red investissent donc la scène pour "Aiguisé comme une Lame". Ils testent alors un peu les spectateurs en leur faisant chanter les paroles, opération réussie ! Les morceaux de Raggasonic n'ont pas pris une ride, dans le public les "anciens" comme les plus jeunes n'oublient pas une miette des lyrics du Raggasonic Crew. On s'en rendra compte avec les classiques du premier album : "Kisder", "Les Riches" (qui aura droit à deux pull-up), "J'entends parler du sida", "Poussière d'Ange" (revisité sur le "World A Music" d'Ini Kamoze), "Légalisez La Ganja", "Bleu Blanc Rouge". Les deux compères en profiteront également pour se poser sur quelques tracks du Raggasonic 3 (histoire d'annoncer le quatrième album tant attendu ?) : "Mon Sound", "Identité", "Ça Va Clasher". Puis, dans la dernière partie du set, chacun interprétera des morceaux de son projet solo ; c'est ainsi qu'on entendra Daddy Mory avec "Big Faya" et Big Red avec son fameux "Kill Kill Kill" version grime.
Un immense BIG UP à tous les artistes présents pendant le Nomade Reggae Festival !
Un immense BIG UP également à tout le staff, tous les bénévoles et à Bafing Kul pour leur accueil et toutes leurs bonnes vibes !
On se revoit l'année prochaine ?
Crédit photos : Live-i-Pix