On ne s'y attendait tellement pas que l'info aurait pu nous échapper, et pourtant, elle est d'une évidence bruyante : quoi de mieux que le punk pour exprimer l'urgence, l'insoumission, la rage ? Et qui de mieux pour rassembler toutes les jeunesses que ceux qui l'ont déjà fait par le passé ? Le groupe le plus fédérateur de l'histoire du punk français, Bérurier Noir, est sorti de son très long sommeil pour réagir aux récents attentats de Paris de la plus belle des façons : en musique – et tout en décibels hurlantes.
Il ne s'agit ici que d'une piste unique, mais qui à elle seule fait plus de bien que tous les albums de tous les artistes pauvrement engagés du pays réunis. "Libéré publiquement" en hommage aux victimes du 13 novembre, ce morceau a en fait été écrit bien plus tôt dans l'année, aux moments des attentats contre Charlie Hebdo, nous précise le site internet du groupe. Le titre seul, "Mourir à Paris", suffit à renseigner sur l'état d'esprit actuel des Bérus.
On ne va pas se mentir : le morceau tabasse. C'en est même surprenant de qualité, d'intelligence... Les retours de groupes mythiques, souvent, suscitent la méfiance plutôt que l'enthousiasme ; mais alors là ! Là ! Le texte, d'abord : c'est du pur Bérurier Noir, sans contestation possible. On est certes loin de la qualité d'écriture d'un Cantat, d'un Saez, mais ça n'est jamais ce qu'on leur a demandé ; c'est spontané, tranchant, brut comme du punk. Aucun risque que le message ne se perde dans quelque figure de style obscure, il est balancé comme il vient. Et derrière cette voix donc, qui étrangement semble n'avoir jamais vieilli, la formule traditionnelle guitare-Dédé la boite à rythme... Et c'est là que ça s'élève. Le riff, presque heavy, nous prend de cours, et la batterie-automate, si froide, nous laisse sans voix. Le choix des rythmes, des sons, est formidablement efficace, et semble prouver que Loran, de sa Bretagne natale, et Fanfan, de son CNRS adoptif, ont gardé une oreille attentive sur ce qui se passait dans le bon-goût musical actuel. La petite recrudescence post-punk qui tendait à poindre ces jours-ci, ils ont réussi à se l'approprier ; elle leur va comme une robe de princesse. Les arrangements sont jouissifs, il y a des tambours de guerre, et on se demande comment on peut rendre le son d'une flûte aussi menaçant. On entend même parfois une trompette façon "Salut à Toi"... Il y a une véritable continuité avec leur prime carrière, qui ne paraît en rien artificielle, comme si le groupe ne s'était jamais arrêté-puis-reformé-puis-re-arrêté, qu'ils avaient simplement continué de sortir un bon album de temps en temps en évoluant normalement. Il y un équilibre très sain entre l'uilisation d'éléments qui font l'essence de leur musique, et la nécessité d'innover pour surprendre et intriguer.
Ainsi, il est fait plus que ce qu'il faut pour crédibiliser la démarche. Quant au message... Eh bien c'est à chacun de le vivre dans son cœur, comme pourrait le dire n'importe quelle miss France un peu visionnaire. Mais quand même, s'il était un groupe qui pouvait faire bouger les choses, ce serait bien lui. Est-ce que ce morceau est annonciateur d'un très grand retour, ou n'est-ce qu'un simple hommage plein de verve et de classe ? Il est encore trop tôt pour le dire. Oh, mais imaginez un peu : si Bérurier Noir revenait ? Comme en 89 les gars (je n'y étais pas), avec tous les marginaux du monde, punks, skins, rastas, rédacteur de la Grosse Radio, tous ensemble ; eh ben, ça aurait de la gueule.
Crédits photo : Bérurier Noir