"Frost* fait partie de ces artistes prog' bien vivants, et bien décidés à le rester"
Les plus féroces amateurs de prog' connaissent bien Frost*, supergroupe monté par Jem Godfrey, qui s'est entouré de musiciens monstrueux pour pratiquer le style qu'il apprécie le plus. En effet, le reste du temps, l'homme est un compositeur, c'est à dire qu'il écrit des titres (pop essentiellemnt) qu'il revend. C'est bien connu, le prog' ne nourrit pas son homme. Dépendant des disponibilités de son leader, le groupe a souvent été mis entre parenthèses, ce qui explique, premièrement que le line-up ait beaucoup évolué au fil du temps, seul le guitariste John Micthell (Arena, Kino, It bites) étant resté fidèle au poste, deuxièmement qu'il ait fallu patienter 8 ans avant d'avoir enfin droit à ce 3e véritable album. Car l'album live The Philadelphia Experiment (2010) avait beau contenir un nouveau titre de plus de 15 minutes, The Rockfield Files (2013) proposer des versions alternatives et chutes de studio, au vu de la qualité assez phénoménale des deux premiers véritables albums du groupe (Milliontown en 2006 et Experiments in mass Appeal en 2008), l'attente avait fini par devenir désespoir.
Mais tout est pardonné, car Falling Satellites vient de sortir chez Inside Out. Et le niveau de qualité est toujours aussi élevé. Frost* propose un prog' qui, s'il tire certaines de ses influences dans le passé (certaines mélodies, très simples, font penser aux vétérans Toto et Asia), est toujours avide de nouvelles découvertes. C'est ainsi qu'après un premier titre aussi classique qu'immédiat et irrésistible, qui irradie la joie de vivre ("Numbers", pour ne pas le nommer), Frost* envoie les 6 minutes de "Towerblock", dont la première partie est orientée dubstep. Voilà qui ne manquera pas de susciter l'ire des plus conservateurs (et ils sont nombreux dans le prog'). Peut-être peut-on également y voir une certaine influence du batteur Craig Blundell (qui a récemment accompagné Steven wilson pour pallier aux absences de Marco Minneman), grand amateur de boucles. D'une façon plus générale, Jem Godfrey aime sincèrement la pop, à laquelle il consacre le plus clair de son temps. Cela explique que l'on retrouve des éléments que d'aucun ne manqueront pas de qualifier de "commerciaux". Comme si les groupes qui vendent des millions d'albums ne proposaient absolument rien d'intéressant (ce genre d'opinions, ça s'appelle du snobisme, ou de la suffisance).
Ces considérations, Godfrey s'en moque éperduement. Il se contente de faire la musique qu'il aime, ce qui explique que "Towerblock" côtoie un titre aussi respectueux des conventions prog' que "Signs", à laquelle la voix de John Mitchell, plus rugueuse que celle de Godfrey, confère une couche de classicisme supplémentaire. Mais si le leader ne cherche ni à épater ni à provoquer, il possède cette capacité à trouver des mélodies à la fois simples et justes : la ballade "Lights Out" est aussi simple que touchante (et fera râler les gardiens du temple). Et quand bien même elle a le potentiel pour devenir un tube en radio, elle reste parfaitement dans le ton d'un album (et d'un groupe) dont le crédo semble être de mettre le bonheur en musique. Plus généralement, l'attirance pour la pop et l'électro se matérialise non seulement dans des sons parfois inhabituels dans le prog' (les claviers de "Heartstrings"), mais aussi dans une production assez clinquante qui pourrait en rebuter certains. Le groupe ne se refuse rien : on peut trouver ça excessif, voire un brin poseur, mais cette atitude lui confère également du panache. Les habitués de Frost* ne devraient quant à eux pas être surpris plus que ça, Falling Satellites s'inscrivant dans la continuité de leurs oeuvres précédentes, avec ce qu'il faut de nouveautés pour ne pas lasser.
Ce qui pourrait apparaître comme des concessions ne sont en fait que des choix stylistiques, à l'instar des coupures insérées dans le long morceau final. Dans une interview publiée sur Chromatique.net, Godfrey évoquait la problématique des concerts : du fait de son activité plutôt faible, Frost* ne possède qu'une fan base limitée et n'intéresse pas particulièrement les promoteurs, de sorte qu'ils doivent principalement se produire en première partie d'autres formations. Avec un temps de jeu qui ne dépasse jamais les 50 minutes-une heure, jouer les 25 minutes de "Milliontown" empêche de proposer une playlist plus riche. C'est pour cette unique raison que Falling Satellites se termine avec 3 titres qui n'en font qu'un, mais qui permettront au groupe de ne pas forcément le jouer en intégralité. Que l'on ne s'y trompe pas : "Closer to the Sun", "Raging against the dying of the light blues in 7/8" et "Nice day for it" ne forment bien qu'un seul et même titre de près de 22 minutes, pièce virtuose où après un départ qui penche une fois de plus vers l'électro, les musiciens laissent éclater toute leur maestria, avant que deux pistes courtes ne fassent office d'outro (passons sur les deux titres "bonus", qui n'ont pas été mis de côté par hasard).
Pas de doute, Frost* n'a rien perdu de sa superbe et demeure, malgré son peu d'activité, l'une des meilleures formations de prog' apparues depuis les années 2000. Si quelques passages pourraient faire grincer quelques dents chez les puristes, comme les claviers de "Heartstrings", pourtant choisi comme premier extrait, les autres se féliciteront de la vitalité dont Godfrey sait faire preuve. Une vitalité qui manque cruellement à un genre sclérosé, où l'innovation, ou au moins la prise de risque, est devenue une denrée relativement rare. Une hérésie pour un registre devenu bouffu d'orgueil, temple délabré d'un genre élevé au-dessus des autres, dont les apôtres vieillissants semblent faire preuve d'une autosatisfaction décadente. Fort heureusement, et dans des registres différents, certaines formations semblent bien décidées à bouger les lignes (Caligula's Hrose, Karnivool, Haken...). Frost* fait partie de ces artistes prog' bien vivants, et bien décidés à le rester.
8,5/10