Différent du reste de la discographie des Bad Seeds, Skeleton Tree ne serait pas un tournant non plus, on retrouve le thème récurrent de la mort omniprésent chez Nick Cave. Ici c'est la mort tragique de son fils l'an dernier qui plane en arrière-plan même s'il n'en parle que peu, le ton est là pourtant. Un album d'une beauté à s'en ouvrir les veines, un moment de grâce macabre.
Une introduction portant sur le thème de la mort dans les paroles de Nick Cave serait vite devenue un article à lui seul tant elle est puissante, éclatante et marquante dans l'oeuvre de l'artiste australien et ceci depuis plus de 30 ans maintenant. Voyez, le deuxième album s'appellait The First Born is Dead... Le quatrième Your Funeral... My Trial... Le neuvième : Murder Ballads... Et j'en passe... On retrouve cette mort inéluctable dans énormément de titres comme le suffocant "Fifteen Feet of Pure White Snow" de l'album déchirant No More Shall We Part en 2001, "Red Right Hand" un de ses titres popularisé par la BO de Scream, "Papa Won't Leave You, Henry", le touchant "The Weeping Song" (The Good Son, 1990), "Dig Lazaurus, Dig!!!", le bien nommé "The Mercy Seat", "Dead Man in My Bed" et j'en passe, et j'en passe encore...
La mort est toujours présente autour de Nick Cave, comme elle l'est pour tout un chacun, mais lui la met en musique. Bien malgré lui peut-être, il n'est toujours pas sous terre à l'approche de la soixantaine (59 ans), ses excès d'alcool et de drogues ne l'ont pas tué mais ont tué certains de ses amis (il en parle dans "Sixteen feet of pure white snow"), un accident d'escalade a tué son fils et lui est tragiquement toujours là, la mort au ventre.
Le religieux est aussi prégnant chez Nick Cave, fils de fervents anglicans et enfant de choeur de sa paroisse, comme dans son roman fleuve de jeunesse "Et l'âne vit l'ange" mais aussi comme dans bon nombre de ses textes de chansons. Pour Skeleton Tree, c'est d'ailleurs le fils de Dieu qui ouvre l'opus avec "Jesus Alone". Les tourneries de nappes de synthé nous encerclent, nous prennent d'emblée pour un disque qui s'annonce très sombre. On se rapproche ici du son des dernières BO de Cave avec Warren Ellis, éthérées, peu de guitares, les Bad Seeds semblent absents aussi. Comme dans "Girl in amber", avec la voix de Cave très en avant, synthé et piano pour seuls accompagnateurs. Presque un disque solo, même le violon de Warren Ellis est en retrait. Pour une sobriété proche de celle Push The Sky Away. Peut-être que la dernière partie de carrière de Nick Cave est vraiment lancée par ces derniers albums après ceux des rugissements terribles de la période Grinderman. En vieux sage, Nick nous parle, chante peu, comme sur "Magneto" et "Distant Sky" où la voix angélique de la chanteuse danoise Else Torp prend le dessus.
Un album tout de même surprenant par sa tonalité electro qu'il prend par moment comme sur "Rings of Saturn" et "Anthrocene" par exemple. On est pas loin du dernier album A Moon Shaped Pool de Radiohead, tout en étrangeté et expérimentation. Même quand il se fait plus sobre comme pour "Jesus Alone" en piano-synthé-voix, cela me rappelle le "Daydreaming" du dernier Radiohead.
Quand Nick Cave se met à chanter, la voix est tremblotante, presque incertaine comme sur le déchirant et terrifiant "I need you". On y entend un chanteur implorant, "plus rien ne compte quand celui que tu aimais est parti", "j'ai besoin de toi". On pense à une chanson sur la mort de fils vu par le chagrin de son épouse qui se tient là perdue en robe rouge, dehors une grande voiture noire attend... C'est là, imagé. "I need you", "nothing really matters", qu'il répète et répète tout au long de la chanson, faire front ensemble contre la mort. Cette mort qui ne nous lâche pas.
L'album est sorti le 9 septembre, il m'aura fallu presque trois mois pour vous en livrer la chronique. Le temps de la digestion nécessaire pour un album que j'ai fait tourner en boucle un très grand nombre de fois. La parfaite BO de mon automne sombre et vaporeux.