Depuis le précédent opus Angles sorti en 2011, qui n'était ni bon ni mauvais mais plutôt ennuyeux, on se demandait ce que les Strokes allaient bien pouvoir nous offrir d'intéressant à part une nouvelle mixture de rock garage. C'était sans compter sur la créativité d'un groupe qui, depuis son premier opus en 2001, Is this it, semblait nous dire qu'ils n'avait pas dit son dernier mot.
Comedown machine est un album qui divise déjà avant sa sortie prévue le 26 mars, et devrait en laisser plus d'un perplexe ; en écoute depuis une semaine sur leur site, chacun y va de son commentaire sur l'échelle qui va de "génial" à "fin de l'histoire du groupe". Pour ma part, The Strokes ont déjà marqué un bon point dès la première écoute : ils ont réussi à me surprendre. Deuxième bon point : j'ai eu plaisir à écouter l'album en intégralité plusieurs fois pour mieux le comprendre ; un groupe qui ose mettre un bon coup de pied au cul du simplisme, ô joie ! Voyons maintenant les choses d'un peu plus près.
Comedown machine joue la carte du graphisme vintage, sur une note color block plutôt réussie. Avec un orange aussi pétant, on se doute que l'album ne va pas faire l'impasse sur les influences qui ont fait leur succès et ont déteint sur beaucoup d'autres, comme les Arctic Monkeys, mais que ça ira peut-être plus loin.
Le mix se veut vivant et tonique, ce qui est rafraichissant, d'autant plus que c'est là que les choses se compliquent. Déjà parce-que cet album présente une alternance d'ambiances très différentes ; autant c'est un bonheur de ne pas entendre onze versions différentes d'une même idée, autant faut-il réussir à équilibrer tout ça sur une même galette. Sur l'aspect cohésion, je dirai que la réussite est au rendez-vous. Par contre, le mix n'est pas toujours nickel, et je déconseille toute écoute en mp3 basique : le son perd vraiment en qualité (vous me direz que c'est normal, c'est du mp3...), et la spatialisation devient parfois incohérente. L'écoute des morceaux offerte sur le site Pitchfork est déjà plus agréable, et on ne peut qu'espérer qu'elle sera excellente sur le disque.
Concernant le style et les influences, on pourrait trouver beaucoup d'idées, et aussi bien ne pas réussir à citer de nom de groupe précis - en fait, c'est ça qui est bon. J'ai parfois pensé à Beck, et ça m'a fait plaisir ; j'ai cru parfois que ça allait virer MGMT, et j'étais déjà beaucoup moins ravie - mais c'était une fausse alerte. Sur l'ensemble, on trouve pas mal d'expérimentations vocales et sonores ; si Julian Casablancas ne représente pas toujours la crème en matière de technique vocale, il n'en demeure pas moins un artiste inspiré qui ose se projeter dans des univers polymorphes qui lui vont bien.
"Tap out" démarre façon électropop des années 80. Une intro catchy, de jolies guitares, un refrain un peu trop naïf, et un solo mélodiquement pas très convaincant, en font une bonne chanson d'ouverture qui ne se suffit pas à elle-même, mais laisse espérer mieux pour la suite.
"All the time" est le premier single annonceur de l'album, et nous fait renouer avec les Strokes d'origine ; le son ne surprend pas de leur part, mais la mélodie du couplet est pour moi totalement imparable ; play it again ! Avec un son bien sali, le groupe rappelle qu'il fait du garage à l'origine, ce qui est une bonne chose, mais la distortion et la compression générales un peu trop poussées finissent par agresser les oreilles si on monte le volume, et par pomper le son des cymbales de façon audible.
"One way trigger"... comment dire... ce pourrait être l'enfant qu'auraient eu ensemble Beck et Louis de Funès, si vous me permettez un parallèle pas très catholique. Rigolo ou horripilant, ou alternativement l'un et l'autre selon les jours, au choix. Pas anodin, en tout cas. Pour ma part, après réflexion, j'adhère. Le morceau a été offert en téléchargement gratuit par le groupe en février.
"Welcome to Japan" flirte avec la disco et nous offre un sympathique jeu stéréo des guitares ; encore une fois je m'éclate plus sur les couplets que les refrains.
"80's comedown machine" change de direction pour un slow it down dépaysant et plutôt réussi ; on croirait presque voguer sur la vague Genesis des premières heures, avant de rebondir sur un "50 50" entre surf rock et pop punk 80ies.
"Slow animals" et son ambiant pop n'est pas le point fort de l'album à mon sens ; je ne saisis pas vraiment l'intérêt de la chose. C'est aussi le cas pour "Chances", qui sonne un peu cheap malgré un refrain qui pourrait nous faire décoller à peu de choses près.
"Partners in crime" remet Genesis, Beck et De Funès dans le même juke-box (oui, je sais, ça vous fait bizarre de lire ça !) ; pas mal, l'album sait rebondir avec intelligence.
"Happy ending" commence de manière plutôt bateau, mais les très belles guitares des refrains, parfaitement raccord avec le traitement vocal, me rentrent directement dans la tête pour ne plus en sortir. Pas à dire, j'adore définitivement leurs sons de gratte.
"Call it fate call it karma", illustration parfaite du last but not least, se vit comme un film de la Metro Goldwyn Mayer : un bon vieux vinyle, un brin de nostalgie couleur sépia, une touche d'alternative country, voilà une façon sympathique et inattendue de prendre congé de l'auditeur.
Dans l'ensemble, si l'opus ne sonne pas comme parfaitement abouti, j'aurais tendance à lui pardonner ses imperfections vu les risques pris sur la cohésion de l'ensemble (un pari gagné puisque le tout s'écoute facilement d'une traite), et l'univers artistique coloré qui s'en dégage. Le mix devra être jugé sur disque ; les voix parfois approximatives font craindre pour les lives, sauf si le groupe réussit à exploiter comme il le mérite cet univers original pour en dégager de quoi embarquer le public sans réserve.
En conclusion, un disque définitivement intéressant, plein de contrastes, et un bon stimulant pour la curiosité.