Rencontre avec Kemar, de No One Is Innocent

No One Is Innocent est toujours bien là. Après un Propaganda qui a marqué leur retour à un rock plus brut, revoilà la bande à Kemar, avec un brûlot saignant. Avant que Frankenstein ne sorte dans les bacs, Kemar nous a accordé un entretien pour parler de cet album bien sûr, et aussi de ses envies, ses motivations. Récit d'un entretien avec un des plus grands passionnés de la scène rock française.

Le nouvel album s'appelle Frankenstein. Comment s'est-il fait?

On a beaucoup travaillé. Il fallait un successeur à Propaganda. Avec Fred Duquesne (le producteur, ndlr) , à l’écoute des démos, on s’est immédiatement rendu compte qu’il fallait revenir à quelque chose de très organique. De très bloc. C’est ce qui ce ressent dans cet album. Si tu mets "Play", tu as un groupe en live. Et puis il faut des morceaux aussi. Mais question prod, le challenge est réussi.

On a travaillé comme sur Propaganda. La seule différence, ce sont les prises batterie, qu’on a fait chez Fred au lieu de les faire dans un autre studio. Et aussi, on a plus réfléchi. On connaît Fred depuis des années, mais il fallait qu’on lui fasse bien comprendre notre travail. On passe chez lui, on écoute les démos, on va au studio, on re-réfléchit… Et puis ça mûrit. Il faut réfléchir. On ne voulait pas arriver en studio et commencer sans qu’on soit en phase. Il fallait qu’il soit aussi impliqué que nous dans la façon de réfléchir l’album. Et puis Fred, c’est un pote, c’est un mec intelligent, c’est un mec qui a de la bouteille. C’est un mec qui dit quand il est content ou  quand il est dans le doute. Pour Frankenstein, par exemple, il commence à trouver le truc au bout du 4ème titre. Puis il est revenu en arrière, là où il pensait qu’on avait oublié quelque chose. Tu sais, je ne suis pas trop un mec de studio. Et bien grâce à Fred, j’arrive à aimer le studio.

On sent vraiment qu’il y a un truc en plus sur cet album.

No One, c’est un vieux couple qui ensemble depuis 15 ans. Shanka, Kemar. Depuis 5 ans, Poppy s’est inséré dans l’affaire. À tous les trois on est une sorte de machine, hyper efficace, hyper réfléchie. Je suis au milieu, et je travaille avec deux personnalités complétement différentes. Une espèce de génie de la guitare, qui donne des idées, qui part dans tous les sens, idées qu’il faut extraire. Et puis Poppy, stakhanoviste du riff, qui va rester bosser une heure pour développer un riff. C’est la rencontre de ces deux mecs, avec le chanteur au milieu, qui génère une alchimie, sans ego, où chacun se respecte, et où chacun s’écoute. Et c’est ça qui fait que tu arrives à faire de bonnes chansons. On sait que notre boulot c’est d’écrire de bonnes chansons. Que la musique colle avec le texte. Par exemple, un morceau comme "Ali" : Quand l’instrumental commence à prendre forme, tu te rends compte que tout le morceau, c’est des gauches, des droites, uppercuts, esquives… C’est que ça ! Le thème du morceau jaillit. Les mouvements de la musique, les sonorités, inspirent le texte.

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Photo Steiphane Hervei

L'album est très énervé, presque Punk par moment. Une nouveauté, chez No One Is Innocent?

Non pas du tout ! No One, ça a toujours été un groupe Punk dans l’attitude. Pas forcément dans la musique, mais l’attitude Punk dans la musique, dans le fait de monter sur scène en se disant que c’est le dernier… On est en lâchage total, ce qui est cohérent avec le Punk. Pour nous le Punk, c’est l’inattendu, l’imprévu, l’accident… Ça, ça nous plaît ! On n’est pas dans ce côté rigide, le même concert tous les soirs… En tournée, quand on sort de scène, il faut qu’on ait plein de choses à se raconter quand on rentre dans les loges. On a toujours écouté du Punk. Et on revendique complètement, surtout du côté de l’attitude.

Vous avez fait une tournée partagée avec Tagada Jones en 2017. C’est la première fois que No One Is Innocent fait ce genre de tournée commune. Ça a changé quelques chose ?

Non pas vraiment. La seule chose qui a changé, c’est que tu te retrouves à jouer avec un groupe qui exprime les mêmes choses que toi, qui parle parfois des mêmes idées que toi, on partage l’idée de l’attitude… On a plein de points communs. Nous on joue peut-être un peu plus lourd, et moins rapide, mais on se retrouve complètement. Et puis il n’y a pas de tête d’affiche, il n’y a pas d’ego-trip. C’est ce qui nous plaît, avec les Tagada. Les choses se règlent en 5 minutes. On ne va pas aller chercher le manager, ou le tourneur, ou je ne sais pas qui. Et puis, Niko Jones, c’est un mec incroyable. C’est un mec brillant, c’est un fédérateur d’énergie. On lui doit beaucoup dans la niche Punk / Hard / Heavy / Metal dans laquelle on est. J’ai énormément de respect pour lui. Il chante avec nous d'ailleurs sur un titre de l'album, "What the Fuck". Et d'ailleurs on va refaire 12-13 dates à l’automne avec les Tagada.

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Photo Patrick Fouque

No One Is Innocent n'est pas un groupe de cover. Sur Frankenstein pourtant, on retrouve une reprise de Black Sabbath. Pourquoi ce choix?

Le background de ce groupe, c’est le Punk, un peu, mais c’est surtout Black Sabbath ! Sans Black Sabbath, on n’existe pas ! Black Sabbath, c’est la quintessence de tout ce qu’on fait. Quand certains parlent du blues comme l’origine du Rock’n’Roll, du Rythm’n’blues, du Soul… Pour moi, si il n’y a pas de Black Sabbath, il n’y a pas de heavy, pas de métal, pas de trash, pas de hardcore…. Et c’est pas par hasard qu’on joue "Paranoïd", c’est parce que c’est l’ADN de No One ! On ne va pas te dire qu’on a inventé quelque chose…

Kemar, tu as participé à un clip avec Darcy, il y a un an environ, "La Marine" (à voir ici). Le titre est beaucoup plus direct que ce que tu fais dans No One Is Innocent. Pourquoi ce choix?

Oui, c’est vrai. C’est une réponse hyper-cohérente à ce qu’on a subi de la part de ce parti, de cette femme, pendant la campagne électorale. Dans certaines conversations, j’ai entendu des gens complètement dingues de colère, d’énervement, d’irritation. J’ai juste l’impression d’avoir musicalement répondu à toute cette colère. Alors une colère un peu vulgaire, j’en conviens. Mais qui ne s’est jamais énervé contre le Front National ? Alors oui, j'ai fait une chanson avec Darcy, où il y a cette volonté de dire les choses crûment, sans l’arme poétique qu’il peut y avoir dans No One. Mais c’était libératoire. Oui, c’est ça. Libératoire. Demain, on te propose de gueuler dans un micro ce que tu penses du Front National, tu auras sans doute fait pareil.

Frankenstein est-il la suite logique de Propaganda?

Quand tu fais "Frankenstein" et les "Revenants", on y est toujours ! Les "Revenants", ce sont des gens qui sont tout autour de nous, que tu ne soupçonnes pas, et qui peuvent tout faire péter à n’importe quel moment. On a essayé d’illustrer musicalement ce phénomène, cette une menace qui plane. "Frankenstein", c’est tout ce qu’on a voulu dire sur l’intervention occidentale au Moyen-Orient. Il y a un temps pour l’émotion, c’était ce qu’il y avait sur Propaganda. Et maintenant, on se regarde dans le miroir, et on essaye de comprendre.

"Frankenstein", c’est ça, c’est l’idée de la création du monstre. C’est ce qui a plané tout autour de la conception de l’album. Que ce soient les traders, Daesh, Aqmi, Ben Laden, Trump... Tous ces monstres qui se sont créés il y a 40-50 ans, et qui tirent les ficelles,  qui se sont partagés le Moyen-Orient, et qui nous ont envoyé un boomerang bien sévère dans la gueule. On n’invente rien, on met le doigt sur l’idée de la création du monstre. Ce monstre qui peut faire que, à un moment, toi, moi, on peut basculer, et ne plus être cette personne qu’on a été.

Il n’y a pas d’espoir alors ?

Mais si, il y a Ali ! C’est notre rayon de soleil de l’album. En un morceau, tu évoques un mec qui à travers son métier et la notoriété qu’il a eu, a utilisé cette notoriété pour défendre des choses. A chaque album de No One, il y a ce rayon de soleil. Dans Propaganda, c’était Massoud. Dans Frankenstein, c’est Ali. C’est le mec qui a dit non au Viet-Nam, qui s’est battu pour les droits civiques, qui a fait un gros Fuck à l’état américain. Ce sont des mecs comme ça dont on manque, dont on a besoin. Ce sont des Charlie en puissance, des Canard Enchaîné.. On a besoin de gens qui réveillent les consciences. Et ça peut se faire  à travers la musique, comme ça peut se faire à travers un film, du théâtre, des bouquins… Quand tu sors d’un ciné, ou d’un concert, et que tu as vu un truc qui t’a bouleversé, même si ce n’est pas un truc engagé, c’est ça dont on a besoin dans notre vie, c’est ça l’important !

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Photo Laurent Franzi

En tournée, les No One ont souvent l’occasion de partager la scène avec des groupes plus jeunes, pleins de fougue et de rage. Comment se passe ce mélange?

C’est génial. Je suis hyper friand, et on l’est tous, dans le groupe, de voir des nouveaux groupes, qui jouent avant toi, et qui te mettent une super pression. Par exemple les Pogo Car Crash Control, c’est une bouffée d’oxygène. Ça ne se prend pas au sérieux, c’est passionné, drôle, instinctif, animal… Tout ce qu’il faut ! Et nous on est hyper séduit !

Le studio, c'est fait, maintenant ça va être la scène. Comment ça se prépare?

Tu le sais, un groupe qui fait un album, c’est un prétexte pour faire de la scène. Mais faire un album, c’est aussi écrire des chansons. C’est avoir des vraies idées, c’est réfléchir. Tu sais que, après que l’album soit sorti, tu vas pouvoir faire un an et demi à faire des concerts. Et ça, ça réjouit.

La tournée démarre fin mars, avec entre autres une Cigale le 21 novembre. On a travaillé à Grenoble, dans cette superbe salle qui s’appelle La Belle Electrique. Pour nous, c’est une des plus belles salles de 1000 places. Une équipe géniale, une configuration de salle géniale. On a bossé pendant une semaine, avec le son, les lights. On avait l’impression d’être dans une campagne électorale. Quans on était sur scène, on jouait, on bossait le truc. Puis après, on avait plein de trucs à faire. Certains faisaient des vidéos, d’autres répondaient à des interviews, il y avait des visuels à faire…

C’est là où tu vois si ton groupe est au taquet, s’il est impliqué. Tu vis ensemble pendant une semaine, c’est pas comme une tournée. Dans une tournée, il y a toujours des moments où tu peux t’échapper un peu. Une résidence, non. Tout le monde est ensemble, au même endroit. C’est un bon test, pour savoir si le groupe est en bonne santé psychologique. Et moi je suis heureux quand le groupe va bien, quand il n’y a pas d’histoire d’ego. Quand tout le monde va bien dans sa vie. C’est ce qui fait qu’un groupe joue mieux, qu’il a envie de se dépenser, d’aller vers les gens, de dépasser ses limites.

Comment ça se passe, l’élaboration d’une setlist ?

Au départ, le chanteur a des sensations. Il donne une espèce de première trame. Puis les copains viennent se greffer, et donnent leur accord, ou leur désaccord sur les choses. Toi t’es blindé avec tes convictions, tu les repousses un peu. Mais les infos restent dans ta tête. Et leurs infos à eux, ça met un peu de temps à germer. Au départ t’es réfractaire. Par exemple, je disais, dans cette setlist, il faut donner des repères aux gens. Jouons 2-3 morceaux de Propaganda au départ, puis après on amène les gens ailleurs. Alors ils écoutent, il y en a qui acquiescent, il y en a qui sont pas vraiment d’accord, et qui vont te le dire. Puis le régisseur arrive, et lui aussi dit bof… Et tout se passe avec une super humeur, même si tu donnes ton désaccord. C’est une espèce de jeu. Parce qu’ils savent qu’à un moment je vais les entendre. Et ça n’a pas loupé, j’ai changé mon fusil d’épaule. On démarre le concert par 3 nouveaux morceaux.

Ce n’est pas ne pas faire confiance aux nouveaux morceaux. Il faut que, dès le début, le groupe se sente bien. Et j’avais sous-estimé la force des nouveaux morceaux. Et au fur et à mesure de la résidence, je m’en suis rendu compte.

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Photo Laurent Franzi

Cet album est ultra-puissant. Est-ce que toi, en tant que auditeur, tu aimes recevoir cette puissance, ou au contraire as-tu besoin de trucs plus calmes?

J’ai besoin d’être calmé. Je vais écouter de la bossa, de l’afro-beat, de la soul, beaucoup de soul, un peu de funk… Et quand même, de temps en temps, le dernier album de Electric Wizard, des trucs qui font du bien. Il faut qu’on m’apaise. Il ne faut pas que je sois en tension. Sinon quand j’arrive bosser avec No One, ça va pas. Donc soul, funk…. En fait, des musiques de transe. Pas forcément heavy, ou rock, mais des musiques de transe. Quand tu écoutes James Brown, ou Prince, par exemple.  Shanka, c’est pareil. Il ne peut pas être pareil sur scène comme à la maison. À la maison, c’est un mec doux, calme, attentionné. Alors que sur scène…

Tu parles de Shanka, comment on fait pour vivre avec un tel génie de la guitare ?

Ça se passe forcément bien ! C’est un passionné, et vivre avec un passionné, c’est génial. Et il devient de plus en plus humble avec son instrument et avec ce qu’il sait faire. C’est une force énorme. Il défend ses opinions, mais il sait écouter les autres. Il sait qu’il est guitar-héros, mais son égo, il l’a mis de côté. Frankenstein, c’est son album. Il n’a jamais autant brillé dans un album de No One, aussi bien dans les riffs, que dans les solos. Il m’a fait frissonner comme jamais il m’a fait frissonner. Le solo des "Revenants", celui de "à la gloire du marché"… C’est 3 notes, et pourtant, ça te rentre dans le bide. Même si Fred voulait mettre certaines pistes parce qu'il trouvait le son meilleur, on a conservé celles où il y avait l'intention. C’est l’intention qui compte. C’est aussi pour ça qu’on continue. Parce qu’on est tous des passionnés.

No One Is Innocent, Frankenstein, sortie le 30 mars chez Verycords, en partenariat avec La Grosse Radio

Release Party au Bus Palladium le 28 mars, puis en tournée dans toute la France
Le 5 avril, à Gignac (34), en partenariat avec La Grosse Radio
Plus d'informations sur le Facebook du groupe et sur leur site.

No One Is Innocent nous propose également un teaser de la nouvelle tournée. Le No One cru 2018 est bien vénère, avoue!

 



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