"Ce soir, vous avez laissé la lucarne à blaireaux à la maison, vous venez voir du spectacle vivant, et ça c'est merveilleux". Christian Décamps sait accueillir son audience avec lyrisme. Si la salle de l'Empreinte est plus que remplie en cette soirée, c'est pourtant un cadre discret, intimiste, qui sera à l'honneur pour Ange.
Ange, c'est ce groupe que l'on a connu il y a 50 ans, que tout le monde semble avoir oublié depuis 30 ans, et qui pourtant continue sa route depuis la renaissance apportée par Tristan en 1999. Avec papa et copains, le "gamin" Décamps fait vivre le monde des légendes si particulier et onirique d'un groupe qui fut une des pierres angulaires du rock progressif et est encore cité comme l'une des influences majeures du milieu par des musiciens ne se rendant même pas compte que l'Ange ne s'est pas encore brûlé les ailes, et continue à clamer ses langueurs en musique.
L'Ange, c'est évidemment Christian Décamps, poète, génie compositeur et exemple de folie évidente. À 70 printemps passés, il vient nous compter la "Trace des fées", les périples d'Emile Jacotey et du "Marchand de planètes", dans une envolée lyrique et musicale qu'il est de bon goût d'appréhender un minimum. Friand de la croisée des genres et compères d'autres groupes hors-norme hexagonaux tels que Magma ou Gong, Ange surprend par ses prises de parti jamais évidentes, et sait combler les mélomanes par des saveurs alambiquées pour un voyage hors du temps et des conventions habituelles.
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Les spectateurs non avertis se retrouveront donc face à un déluge d'étrangetés mêlé à un poésie enivrante, seule bouée permettant de s'accrocher si tant est que l'on se perde. Car si Émile Jacotey, album phare ressuscité et objet de cette tournée, a gagné en modernisation, notamment dans son approche instrumentale et les envolées parfaitement interprétées par un Hassan Hajdi dont la réputation ne se ternit pas, les sonorités d'Ange appartiennent à une autre époque.
Et qu'à cela ne tienne, d'ailleurs ! Nul ne peut faire abstraction du rêve qu'il nous est proposé de partager, et un poème bien écrit ne prendra jamais ride, notamment lorsqu'il nous est conté par un Christian Décamps âgé mais non fatigué. Une chose est d'ailleurs sûre, si l'on pouvait retenir de l'histoire du rock français des années 70 une formation telle que Ange, en remettant les Renaud et autres croûtons, nous imposant leurs tournées à l'interprétation douteuse alors qu'ils n'ont plus rien à dire, au placard à vieillards, l'héritage à proposer serait bien plus beau, et plus inspirants pour des générations de rock, pop et variété française en manque de repères. Le rock progressif, dans l'hexagone, reste destiné à un public de niche, mais que l'on rassure, les mélomanes étaient en nombre ce soir, à admirer l'Ange nuptial leur chanter ses contines dans un océan musical techniquement addictif.
Des concerts comme cela, aussi sincères, où l'on se sent à la maison, assis au coin du feu tandis que papy, toujours aussi vif, nous raconte sa jeunesse mais aussi ses nouvelles aventures avec panache, on en reprend quand vous voulez. Merci à l'Empreinte de nous y avoir convié, et d'avoir osé programmer un groupe original, et merci à Ange de ne pas avoir arrêté, et de continuer à écrire des textes enchanteurs en étant parfaitement capable d'en apporter une interprétation qui ne sent pas le réchauffé inégal.