La grande tradition des concerts d'été au Stade de France ne tarit pas. Une semaine après Coldplay et Depeche Mode, c'est autour de U2 de fouler les planches dans le cadre d'une tournée dédiée à l'album The Joshua Tree. Là où deux semaines plus tôt, les Guns N Roses offraient un show sans fioritures, U2 choisit une ambiance plus contemplative, visuelle, et en cela moins charnelle.
Mais avant de voir à quelle fin sera utilisée l'immense arrière scène qui fait déjà baver, place à Noel Gallagher et ses High Flying Birds dans une petite configuration qui ne prend qu'un pan minime de la scène. En même temps, l'ami british n'a pas spécialement envie de bouger, ni d'offrir quoi que ce soit à son public. Le set de Noel Gallagher est froid, expéditif, ça joue ses morceaux comme si ça pointait à l'usine. Pas de pénibilité du travail dans la musique ? On serait prêt à croire le contraire. Mais après tout, cette identité et cette attitude mi-dédaigneuse mi-nonchalante ont toujours été la signature des enfants terribles d'Oasis. Alors on se contentera des interventions où les mercis semblent être scandés sous la torture, et un enchaînement des morceaux à la louche.
Dommage car ça joue correctement (difficile d'en être autrement vu la facilité du répertoire, qui permet également, qu'on se le dise, de bouger) et le public, s'il sera plus réactif sur les morceaux d'Oasis, n'a pas l'air de vouloir bouder le répertoire des High Flying Birds, même si ça l'air de lui en toucher l'une sans faire bouger l'autre, chose que l'on pourrait difficilement leur reprocher vu que de toute manière, les musiciens ne les invitent jamais à la moindre danse. Une fosse statique donc, dont les "Champagne Supernova" et autres "Dont Look Back In Anger" susciteront un certain enthousiasme relatif, un morceau culte faisant toujours plaisir dans la bouche de son auteur, quelle que soit l'intention de ce dernier. Cher Noel, si tu n'as pas envie d'être là, rien ne t'y force.
Pour U2, Live Nation a mis les bouchées doubles. Outre un son réglé aux petits oignons, on sent qu'il va y avoir du visuel à s'en mettre plein les rétines. Mais l'introduction se fera sous une augure plus proche du public. On observera Larry Mullen s'avancer lentement, victorieux vers la batterie minimaliste située sur le bout de l'avancée, avant de lancer le rythme culte de "Sunday Bloody Sunday". Enchaîné avec "New Year's Day", on ne s'attendait pas à une introduction pareille, d'autant que le public est totalement happé, au point où il est difficile d'entendre la voix de Bono derrière le chant unique qui s'élève d'une foule en totale harmonie.
C'est d'ailleurs à ce moment-là que U2 sera au plus proche de son public. Quatre titres d'exceptions avant que les Irlandais n'aillent parfaire l'exercice de style. Car c'est exactement l'impression que l'interprétation intégrale de The Joshua Tree évoque. Cette mode des tournées anniversaire où l'album est joué d'une traite et dans l'ordre commence d'ailleurs à perdre énormément de saveur. Distiller les titres dans un ordre moins établi (sauf dans le cas des albums concept, qui ne sont pas enclins à la même démarche) gagnerait au moins en surprise et en tension. On a beau adorer l'album, quand on sait exactement à quoi s'attendre, la spontanéité disparaît.
Et il semblerait presque que le groupe le ressente ainsi. On verra souvent Adam Clayton aller s'asseoir en tapotant tranquillement sa quatre cordes, et The Edge se balade comme une virée au bois, ne donnant du spectacle que lorsque la caméra le cadre en gros plan. Le public, de toute manière, n'a que faire de regarder le groupe, rendant l'interprétration très correcte ("Bullet The Blue Sky" sera d'ailleurs très impresionnante) mais quasi-annexe. Car au niveau de l'écran, c'est toute une virée dans les tréfonds du monde qui s'effectue. Ce dernier faisant toute la largeur de la scène, il est autant envoûtant qu'envahissant, les regards s'y perdent, se déroutent au travers d'un road trip éternel puis d'images du monde enivrantes. À ce stade, plus besoin de regarder le groupe, qui devient une toile de fond. On n'est plus dans un concert de rock, mais dans un immense spectacle son et lumières. Mais qui sur ce point, est très réussi.
Une fois l'album terminé, et le rappel lancé, les titres s'enchaînent, et de "Beautiful Day" à "One" en passant par "Vertigo", les succès s'enchaînent et tout à coup, le côté concert reprend le dessus. Les musiciens se lâchent à nouveau, et offrent ce que l'on aurait aimé avoir durant deux heures. Bono, qui aura fait preuve de justesse tout du long, offre tout ce qui lui reste. Lui qui aura agrémenté la prestation de discours engagés montre que sa conviction se distingue aussi par sa voix. De là à définir ce que l'on considérera comme plus pertinent entre un vieux briscard comme le réalisateur Ken Loach qui insuffle avec des bouts de ficelles sa bienveillance, bien plus proche des petites gens qu'il défend, et quatre musiciens qui honorent leur humanisme à coup de concerts valant des millions, il n'y a qu'un pas, mais le message, lui, est magnifique et intact.
Au final, chacun y verra ce qu'il a envie d'y voir. Les rescapés des tournées 360, également très inventives, auront peut être un peu plus de mal avec un U2 moins enragé, un show plus calculé et trop ancré dans un "star system" aux antipodes de ce que le groupe représente (contradiction avec laquelle ils ont toujours joué avec brio d'ailleurs) ; ceux venus avec une envie de gigantisme, de grandiloquent et de spectacle intense en auront pour leur portefeuille : on ne s'est pas moqué d'eux, le grandiose était là. Si le rock n roll manquait, le caractère engagé de U2, scandé avec plus de sérénité, verra malgré tout de grands moments, que ce soit dans les discours toujours sincères de Bono, mais aussi par le choix des images montrées. On ne sait si le témoignage de cette femme syrienne lui aura apporté le bonheur, mais on lui souhaite son rêve de devenir avocate pour défendre les plus oppressés, tout comme l'on se rappelle en sortant où se doivent d'être nos convictions.
Crédit photo : DR