L'an dernier, trois gros chronirockers, accompagnés d'un photographe pour se la jouer mousquetaires rock n'roll, avaient semé leur zone au festival du Marché des Musiques Actuelles. Trop facile de les repérer sur certains concerts ; ils passaient leur temps à bougonner dans leurs barbes. Trop de claviers, pas assez de guitares saturées. Vous les connaissez, n'est-ce pas, vous leur ressemblez un peu… Pas rancuniers, les orgas leur ont demandé de revenir. Plus de 148 artistes, soit 28 concerts supplémentaires à couvrir par rapport à 2016 ! 16 lieux mobilisés pour l'occasion, la plupart sur le boulevard de Clichy ou dans ses rues adjacentes. Des salles bien connues de nos services - La Cigale, La Boule Noire et autre Bus Palladium - d'autres plus inhabituelles telles le Backstage by Mills ou les Trois Baudets. Voire carrément insolites comme la chapelle d'un lycée…
Un reportage en trois parties par Mathilde Normand, Julien Oliba et Denis Madelaine
Photos de Alice De Bonnechose et Laurent Besson
Stone Dead - La Boule Noire - 20h30
Il était une fois, quatre garçons aux physiques différents, bien qu’avantageux, jeunes et pleins d’entrain. Dans le vent quoi… Ils sont lusitaniens et non natifs du Royaume Uni, mais décident quand même de former leur groupe de rock. Stone Dead s’imprègne fortement de l’univers des Beatles et de l’âge d’or de l’école de Manchester, version années 90. Ils décident d’exploiter les codes musicaux autant que vestimentaires du pays de Shakespeare et du pied droit de Wilkinson. Moustaches, barbes, rouflaquettes, tissus liberty et chemise boutonnée ras du cou. C’est ainsi qu’ils se présentent devant nous à la Boule Noire. De gauche à droite, Jonas Gonçalves à la guitare rythmique, Bruno Monteiro à la batterie, João Branco à la guitare et au chant et Leonardo Batista à la basse. Le tout apparait comme énergique, voir dépotant. Gare aux acouphènes en sortant… Ca aurait pu juste être plaisant s’ils ne possédaient pas une arme secrète. Le batteur. Une tête d'ange, auréolée de cheveux bouclés, qui se transforme en fou déluré, dès qu’il empoigne ses baguettes. Depuis Michael Shrieve à Woodstock, on n’avait pas vu une telle débauche de loufoquerie sublimée par un talent et une énergie rare. Il n’a certainement pas choisi de porter par hasard une combinaison orange, entre la camisole et l’uniforme de bagnard américain…
© Alice de Bonnechose
Qu’on se rassure, il ne la garde pas bien longtemps. Le boxer sur scène, c’est la nouvelle tendance... Alors que la batterie reste généralement relayée au second plan - au propre comme au figuré - ses collègues ont décidé de le placer au même niveau qu’eux. Pour son jeu autant que pour son sex-appeal… João Branco, auquel on trouve un faux-airs de Jean-Claude Brialy jeune (révisez vos classiques), casse sa corde en plein set. Qu’importe, à force de secouer la tête, on ne remarque plus rien, on ressent. Un dynamisme hélas moins présent sur playlist ; la répétition de certaines phrases musicales (surtout en intro) ne nous rassasie pas autant que l’on le souhaiterait. On regrette aussi un manque flagrant d’interaction entre eux. Le bassiste a vainement tenté un rapprochement avec le batteur, sans succès (un comble !). Aucune avec nous également, à part un petit "Merci Paris !". Mouais… facile et normal, on a connu plus chaleureux. L’ambiance d’un concert, ça tient à ces petits détails. On pardonne tout à la jeunesse, sauf quand il lui manque l’essentiel…
Mathlide Normand
The Inspector Cluzo - La Boule Noire - 21h30
"Ça va les tocards ?" Autant Phil se la joue discret, d'une élégance vestimentaire irréprochable - béret basque inclus -, autant Malcom, barbe et chevelure en bataille, donne lui dans la gasconnade version landaise. A la ville - ou plutôt aux champs - ils sont Mathieu Jourdain et Laurent Lacrouts, respectivement drummer et guitariste / chanteur. Un duo clown blanc / auguste version rockerfarmers, ô combien complices et bien rôdés. Batteur flegmatique mais redoutable cogneur de fûts vs guitariste virtuose et interprète doté d'une voix qui lui permet de groover grave dans les hauteurs, d'hurler au diapason de son instrument… En face d'eux, nous z'aut le public. K.O. dès les premières minutes. Et on en prend plein notre grade, en même temps que nos z'yeux et nos z'oreilles. Les pros du MAMA qui ne se bougent pas le cul, les couillons fans d'électro, les cadres sup' égarés parmi la plèbe, celles et ceusses qui confondent leurs smartphones avec des appareils-photos, on y passe tous et on en redemande !
© Alice de Bonnechose
Quand Malcom ne sert pas de son majeur pour nous traiter de motherfuckers avec toute l'affection requise, c'est pour nous intimer l'ordre de le fixer là, droit dans les yeux et dans les oreilles, façon De Funès, en mode connivence plutôt qu'hystérique… Comment voulez-vous leur résister aux Inspector Cluzo ; z'ont raison de se vanter des quelques 100 000 galettes vendues sans adjonction de majors, au vu de la prestation scénique dont ils nous gratifient. On leur sait gré également, de leurs dédicaces tant à l'obscure syndicaliste de la confédé paysanne, venue les voir ce soir-là qu'à Sharon Jones et Charles Bradley récemment disparus. Généreux jusqu'au bout The Inspector Cluzo, à l'image de l'effeuillage dézinguée que Phil fait subir à sa batterie pour le final. Nous sommes sans doute nombreux à n'avoir entravé que dalle au laïus en occitan de Malcom. En revanche, on a cru comprendre qu'il aimait la corrida et là, on se demande qui est le tocard sur le coup… Allez, adishatz les gars, on vous laisse retourner gaver vos oies et malgré ce seul bémol, on vous dit à bientôt chez les parigots !
Denis Madelaine
Lysistrata - Backstage by the mills - 21h45
S’il y a bien un groupe qui aura marqué 2017, c’est le trio Lysistrata. Après avoir bousculé le public du Printemps de Bourges, raflé le prix Ricard SA live, nous avions rendez-vous dans le bouillonnant Backstage by the Mill pour découvrir leur permier album The Thread. Guitare, basse, batterie ; la cathédrale est posée, la messe peut commencer. Entre post rock sauvage "Sugar & Anxiety", et noise décapant "Asylum" les influences sont nombreuses et très bien digérées : Slint, Fugazi, Refused…
Pas de temps mort, les morceaux s’enchainent à grande vitesse, toujours cette urgence comme si le groupe était possédé, jouer à tous prix ! Et même après plusieurs concerts, difficile de ne pas rester bluffé par leur talent, cette présence et l’énergie déployée. L’insouciance de la jeunesse vous me direz… Je vous dis que Lysistrata joue juste et vrai, on adore !
Julien Oliba
The Mysterons - Les Trois Baudets – 22h15
Quittant l’ouragan lusitanien Stone Dead et le duo infernal de The Inspector Cluzo, nous recherchons fébrilement un peu de douceur dans ce monde de brut ! Direction les Trois Baudets au contact de cinq tulipes venues tout droit des Pays-Bas, The Mysterons. Rentrer aux Trois Baudets demeure une expérience en soit. Occultez les deux piliers monumentaux de cette petite scène et vous serez comme un pacha ! Déjà, faire 1m55 dans un concert de rock c’est pas évident… derrière des poteaux on vous laisse imaginer le résultat. Les sièges rouges moelleux se plient en quatre pour nous accueillir. Véritable écrin de douceur, de volupté et disons le clairement vu le lieu et la rue, de sensualité, on découvre sur cette scène cinq musiciens auréolés de lumières alternant entre le rouge et le rose. Josephine van Schaik tente de nous emmener dans cet univers musical atypique et bien psychédélique.
© Alice de Bonnechose
L’ambiance et la musique nous servent de buvard, on commence à planer direction les années 60, l’Inde et la Turquie… Jackpot ! Pourtant on n’y croyait pas vraiment… mais la belle à eu raison de notre volonté. Au moment le plus glamour de la performance, elle ôte ses chaussures et s’excuse par avance pour l’odeur… Nous sommes officiellement amoureux ! Jordy Sanger à la guitare, Pyke Pasman au clavier, Peter Peskens à la basse frôlant la crise d’épilepsie et le blocage de sa mâchoire à force de sourire et Sonny Groeneveld à la batterie forment une joyeuse team sublimant leur princesse rousse. Si la critique négative doit bien se trouver, on vous laisse le job ! Donnons-nous RDV le 23 novembre pour leur come back parisien.
Mathlide Normand
Cabazdi x Blier- Lycée J. Decour (chapelle) - 22h15
Cabadzi arrivait au MaMA avec un nouveau bébé dans les bras "Cabadzi x Blier"z, un 4eme album inspiré des dialogues cultes du réalisateur. Pour ce projet, retour à la formule originelle à 2 : Lulu (chant) et Vikto (Machines et beatbox). La création live garde d’ailleurs ce côté cinématographique avec de nombreuses projections sur des rideaux formant une sorte de boite modulable. Les illustrations d’Adams Carvalho nous plonge dans l’univers de l’immortel auteur des Valseuses, Buffet Froid, Tenue de soirée tandis que le duo se l’approprie tout en se réinventant.
© 2017 Laurent Besson, Tous droits réservés - Reproduction interdite sans l’autorisation de l'auteur
Ceux qui ont eu le plaisir de croiser la route de Cabadzi risque d’être surpris par ce virage électro. Si on retrouve les textes noirs et cyniques, les ambiances proposées sont, elles, beaucoup plus lourdes, denses, tantôt brutales tantôt dansantes. Lulu est parfais dans son rôle déclamant ses textes chargés de colère, dénonçant notre société, notre époque. Blier réactualisé et toujours aussi bandant !
Julien Oliba
Theo Lawrence and the hearts - Backstage by the mills - 23h00
Ça va être coton de vous de conter le set de Theo Lawrence and the hearts. On tarde un peu à quitter les Trois Baudets ; la faute à Miss M. qui disserte durant de longues minutes sur les multiples qualités de The Mysterons… Il y a bien cent mètres des Trois Baudets au Backstage mais nous mettons un temps incertain à l'atteindre, le crachin qui s'en mêle ne nous aidant guère… On slalome entre les pros du MaMa et les touristes en manque de sensations fortes, avides de pénétrer dans le Moulin rouge ou dans une autre antre de perdition pigallienne. Nous voici devant le O'Sullivan qui comme chacun sait - ou pas - cache dans son arrière salle, le fameux Backstage by the mills. Le gros bras qui veille sur son entrée, nous enjoint gentiment mais sûrement de passer par le côté comme tout l'monde. Okay, okay, on fait comme il dit le gazier, vu qu'il a pas l'air commode et c'est pour se retrouver devant - ou plutôt derrière - une file d'attente digne d'un bureau de la banque postale. N'écoutant que notre bon droit, nous faisons valoir notre statut protégé de gensses de la presse et tentons de doubler ceux et celles qui ont du débourser de leur bel argent pour assister au MaMa. Dans un premier temps, l'autre cerbère affecté à l'entrée officielle de la salle ne veut rien entendre, puis se ravisant, nous fait signe de passer devant. Les passe-droits ont du bon, tout de même… Et ça nous sert à… que dalle ! Le backstage est archi bondé.
© Alice de Bonnechose
On n'a pas d'autre choix que se tanquer derrière la console de Rodolphe le sondier, lequel est accessoirement le manager de Theo Lawrence and the hearts. On le soutient moralement lorsqu'un rien exaspéré par le manque de son dans son micro, Theo Lawrence l'enjoint faire quelque chose, bon sang… Qu'est-ce qu'on devrait dire ; le brouhaha des conservations de fond de salle couvre presque le son de Theo et ses hearts. On parvient tout juste à se rendre compte qu'ils nous gratifient de nouveaux morceaux et parvenons à frétiller lorsqu'ils entonnent "Sticky Icky", le titre phare du premier EP éponyme. Las, c'est pratiquement le dernier morceau. Theo nous quitte sur un clin d'oeil à la "Rumble". On aura le temps de jouer nos chroniqueurs mondains en relevant que le rocker de Gentilly se laisse pousser la banane, limite à ressembler à Jeff Buckley plutôt qu'à Elvis et qu'il porte toujours aussi bien son tee-shirt Girl Power…
Denis Madelaine
Un grand merci à Elodie et Victoria du bureau de presse Cécile Legros. Ainsi qu'à Laurent Besson aka Caribou Photos pour ses clichés de et Cabadzi