On l'avait dit l'année dernière lors de notre découverte bien trop tardive de Guitare en Scène : on reviendra. Et en 2018, l'affiche, composée de grosses têtes, de belles découvertes et de paris qu'on ne tenterait pas en général, aura raison de nous. Alors la caravane La Grosse Radio s'installe en force à Saint Julien en Genevois, prête pour quatre jours intenses en musicalité mais détendus niveau ambiance.
En effet, la jauge toujours inchangée (5000 personnes) garde un côté convivial et intimiste malgré la renommée des têtes d'affiche, et les quatre à cinq concerts par jour font qu'au final, on n'est jamais acculé ou fatigué. Avant de se prendre la grosse machine américaine The Dead Daisies et les tartinages de Doug Aldrich (qui font du bien par où ils passent, que l'on se rassure), place à Rosedale et leur blues énervé.
Rosedale
Blues sera d'ailleurs un terme assez réducteur pour qualifier la recette de Rosedale. Même si la bande s'inspire de références clairement identifiables dans leur jeu - Beth Hart, qui sera d'ailleurs citée, et Joe Bonamassa en tête - leurs aléas modernes, évolutifs et inspirés les envolent vers d'autres sphères, ainsi que leurs mélanges avec d'autres styles. En effet, la voix d'Amandyn Roses se verra également teintée de soul, et nombre de lignes de basse de Phil Sissler auront quelques aspects funky. Une combinaison détonante sur scène, d'autant que l'ambiance se veut crescendo, pour finir en apothéose de décibels.
D'abord en petit comité, bien que loin d'être timide, le public s'accumule, pénètre dans la spirale et réagit aux émotions provoquées par Rosedale. Tenues de main de maître par les solos de Charlie Fabert, ces dernières jouent sur la sensibilité, et la voix nuancée d'Amandyn finira de convaincre. On a immédiatement envie de se jeter sur leur premier album, Long way to go, et de le conseiller à tous les amateurs du genre, dans une altération qui peut en sus toucher de nouvelles générations et faire continuer de vivre un genre déjà bien âgé.
Les soeurs Wachowski l'auront démontré, la fameuse robe rouge n'attire pas que les regards mais aussi les ouïes envoûtées par le lyrisme de Rosedale. Un blues à la fois doux dans son approche subtile mais aussi survolté dans son exécution, on entame la journée en ouvrant grand les papilles. Et il va y avoir besoin d'énergie pour accueillir le rouleau compresseur des Dead Daisies.
The Dead Daisies
Le super groupe fait son entrée sur une bande son de guitares orageuses, et devant un parterre de cornes levées. Mais nous ne sommes pas là pour écouter un enregistrement n'est-ce pas ? Alors en un riff Hard Rock pur jus, Doug Aldrich lance le set. Cheveux longs, gilets en cuir, pantalons moulants, la panoplie est là. Ajoutez à cela que les membres du groupes ne sont rien moins que David Lowy à la guitare rythmique, Marco Mendoza à la basse, John Corabi au chant, Doug Aldrich à la guitare solo et Deen Castronovo à la batterie, on pourrait se demander comment ce jus de personnalités va-t-il bien pouvoir prendre?
Disons le tout de suite : carrément bien ! Si le spectacle est bien carré, il n'en est pas moins amusant à voir, tant ces gars font le show. Poseurs certes, mais généreux. John Corabi harangue le public, l'invite à s'amuser avec eux, Marco Mendoza et Doug Aldrich cherchent le contact avec leurs spectateurs, les interpellent, prennent visiblement plaisir à poser pour les photographes, pros comme amateurs. On ne comptera pas le nombre incroyable de médiators usés qui s'envolent de scène d'une pichenette, offerts au public ravi. S'il faut reprocher une chose, c'est le son, vraiment, vraiment très fort : Vos chers chroniqueurs, même équipés de bouchons d'oreille, ont souffert des esgourdes. l'un d'entre eux, particulièrement téméraire, s'est reculé au fond du chapiteau, et a retiré ses protections… ouille!
S'amuser c'est le mot maître de ce concert: pas de prise de tête d'égo, de la virtuosité, l'envie de jouer des chansons qui leur plaisent. Outre des titres de leur répertoire, ils nous joueront aussi "Fortunate Son" du Creedence Clearwater Revival, et clôtureront leur concert par un hommage aux maîtres : "Highway Star" des Deep Purple, et son solo de guitare jouissif. Nous n'avons pas pu résister à nous livrer à un solo de air guitare en groupe. Pardon.
Joe Satriani
Peu après 22h, l'alien que tout le monde attend ce soir investit la tente, avec la promesse d'un concert plein de beau jeu, de solos enlevés et de descentes de manche, plus un Jam pour la dernière demi-heure du concert, annoncé juste avant son arrivée. Joe Satriani est ravi d'être là dans ce festival qu'il connaît bien (c'est le parrain de cette édition) et il est vraiment là pour se faire plaisir, accompagné de ses fidèles acolytes (déjà présents lors de la date bordelaise) : Bryan Beller et son balancé langoureux mettant en valeur sa copieuse garniture capillaire, Joe Travers (efficace derrière ses fûts bien que probablement trop discret) et Mike Keneally, grand musicien autant irréprochable aux claviers qu'à la guitare lorsqu'il faut donner la réponse à notre chauve préféré.
Avec une telle équipe à ses côtés, les membres livrent une interprétation irréprochable et proposent une longue setlist copieuse (trop copieuse ?) mettant bien en valeur les classiques ("Satch Boogie", "Flying In A Blue Dream", "Always With Me, Always With You" ou encore "Surfing With The Alien" en cloture du rappel) sans oublier de défendre le dernier album en date, What Happens Next, représenté notamment par "Cherry Blossoms" et ses lignes de claviers épiques.
Niveau jeu de scène, Satriani est loin d'accaparer tous les regards (on remercie une tenue moins flashy que celles qu'il a pu porter par le passé), tant Bryan et Mike (lorsque ce dernier n'est pas immobilisé derrière ses claviers) font preuve d'une grosse envie d'occuper la scène et de faire le show : difficile de s'ennuyer. Pourtant, le set principal s'éternisant pendant presque deux heures finit par générer de la lassitude, surtout en sachant que des invités sont censés arriver pour faire un jam avec Satch, façon G3. Peu importe la qualité du jeu de Joe, il y a beaucoup de redondance.
Lorsque Joe revient pour annoncer les invités de la Jam, il est déjà presque minuit. La tente reste encore bien remplie et réserve un deuxième accueil chaleureux à Doug Aldrich, présenté par Joe comme un des meilleurs guitaristes capables de faire un solo couché par terre. Le deuxième invité n'est autre que le Hendrix allemand, le célèbre Uli Jon Roth. Mais des problèmes d'amplis se font rapidement sentir sur le matériel de Doug : Uli et Joe jamment à deux le temps que le problème technique soit réglé (écourtant probablement au passage la setlist prévue pour le Jam).
Lorsque le souci est enfin réglé et que Doug peut à nouveau se faire entendre, les titres prévus peuvent commencer. Au menu, une version longue de "All Along The Watchtower" chantée par Uli, puis un classique parmi les classiques : "Smoke On The Water", assuré au chant par Doug. On peut reprocher des chants pas souvent justes (mais bon, ce sont des guitaristes avant tout) mais malheureusement aussi un peu trop souvent des sorties brouillonnes pendant les solos (autant pour Uli que Doug). Vu l'heure avancée, on est au final assez content que le Jam s'arrête à deux titres.
Miss America
On pourrait penser qu'après la première grosse tête d'affiche du festival, les hostilités de la journée sont terminées. C'est sans compter sur la scène Plug and play qui avec Miss America propose le dernier concert de ce jeudi. Énergique à souhait, le quatuor va épuiser les derniers résistants, bien moins nombreux que sur la scène Chapiteau mais malgré tout présents pour accueillir la jeune formation.
Et il est vrai que la fatigue se voit sur les visages, probablement due au show longuet de Satriani, et de la jam qui aura en plus empiété sur le set des jeunots, mais aussi à l'heure tardive, qui n'épargne personne. Si les réactions sont là entre les morceaux et lors des sollicitations, les agités, qui auront repris du poil de la bête en fin de set, sont bien sages le temps de se mettre dans le bain. Les quatre larrons, qui sortent à peine de leur second EP, ont clairement écumé les scènes, et ont rodé une prestation calibrée pour le live.
On leur remarquera surtout une certaine assurance, pari difficile pour un groupe aussi jeune, et un poil d'arrogance - notamment dans les poses répétées de Tommy Roves - ce qui correspond à la mentalité du style représenté. Miss America fait sans aucun doute honneur à son nom : la formation évolue dans un Rock sudiste excessivement américanisé (jusqu'à la présence d'un drapeau enroulé sur le pied de micro principal qui attisera quelques réactions négatives au sein de l'audience). L'attitude des musiciens - qui auraient largement préféré naître dans les contrées de Lynyrd Skynyrd et Molly Hatchet plutôt que chez Polnareff et Sardou -, clairement exagérée d'une façon loin d'être naturelle contrastera avec la musique efficace. Une addiction en demi-teinte donc, on reste convaincu par le potentiel musical de Miss America, mais moins par leur caractère poseur et surfait. À voir comment ça évolue et, après les deux EP, en attendant l'album qui, on l'espère, nous mettra tous d'accord.
Toutes nos photos du jour 1 sont dans notre gros album ici
Texte : Laetitia Maciel, Félix Darricau et Thierry de Pinsun
Photos : Yann Landry