Les Nuits Guitares de Beaulieu-sur-mer, avant même de parler programmation, on sait que ce sera magique. Depuis l’an 2000, elles ont lieu au Jardin de l’Olivaie, entre nombre d’oliviers centenaires dont certains ont le ventre troué par le temps, où les gamins se régalent de faire leur maison pour un instant, où les branches accueillent les pieds et les petits derrières des plus téméraires et le ciel suspend ses étoiles au-dessus des guirlandes d’ampoules qui zigzaguent entre les oléacées.
Créé et entièrement géré par la commune pendant quinze ans, le festival a été repris par Panda Events en 2016. Depuis, la scène a changé de place, une petite copine l’a rejointe pour proposer des showcases pendant les changements de plateaux, les stands de boissons et nourriture sont de plus en plus variés, un coin du jardin pense même aux amis végétariens et vegans avec devanture en bambous pour afficher la tendance, on ne paye plus aux caisses des buvettes, on utilise la méthode « cashless » en chargeant un bracelet à l’entrée, bracelet qui pourra fonctionner sur tous les autres événements Panda (Crossover, Dime On Fest, Les Plages Electro’…), bref, le festival gagne en cachet.
Cette année, sont attendus en tête d’affiche Morcheeba, Kool and the Gang et Catherine Ringer. En premières parties, on découvre Ninety’s Story, Funktet et Clara Luciani dont la voix grave et les textes en français introduisent parfaitement dame Mitsouko. En showcase, sur la petite estrade dont on vous parlait, on entendra entre les feuilles John Wadies, Micael Sene et Marjorie Martinez, petite fée douce au grand coffre, robe claire et cheveux frisés, parfaite entre Luciani et Ringer. Trois belles soirées aux styles variés, n’oubliant jamais l’accessoire obligatoire à six cordes.
Morcheeba
Jeudi 26 juillet 2018, de longs pas s’avancent sur scène. Ils sont montés sur des semelles compensées qui se dévoilent en fente de robe longue. Elle éblouit, la robe. Elle reflète la lumière des projecteurs dans chacune de ses facettes rouge argenté. Elle est faite main, par Skye Edwards elle-même, la chanteuse du groupe qui veut « plus d’herbe ». Quoi ? Il y a déjà toute la pelouse !
La belle à la peau chocolatée développe des mouvements amples et lents. Elle ouvre grand les yeux, elle ferme grand les paupières. Ses cils immenses font de l’ombre au public. Ils recouvrent les trois premiers rangs, facile. Ses musiciens habitent la scène comme on habite un navire. Chacun bien à son poste. Le bassiste roule du poignet, le guitariste fronce des sourcils, le clavier abrite des sons électro sous son bob et le jeune batteur lèche le sel sur ses lèvres.
On embarque avec eux, sur « The Sea », la leur, celle que tout le monde connait. On flotte sur le dos, au ras de cette mer verte qui chatouille les oreilles. Skye garde la banane (sur la tête) depuis son grand retour en 2010. Elle adopte souvent des coiffures extravagantes avec surélévation de la zone frontale. De quoi gagner une bonne vingtaine de centimètres, entre tête et pieds. Côté musique, c’est pareil, le spectre s’allonge sur leur dernier opus, Blaze Away. On passe de leur fameux trip-hop à du Gospel, reggae, pop, électro, soul sans échauffements entre les grands-écarts. Une exploration de tout l’univers.
La foule danse ce soir, moyenne d’âge la trentaine, ambiance gentiment mouvante, jardin presque rempli avec queue d’une heure à l’entrée à cause de l’orage qui décale l’ouverture des grilles. Ciel électrique, scène éclectique. Que demande le peuple ?
Kool and the Gang
Le deuxième soir est assuré par un groupe mythique, tout droit venu des États-Unis, avec un seul rescapé de la formation initiale : Kool and the Gang, still fresh !
On a le sourire en coin rien qu’en évoquant le nom. Tout de suite viennent en tête leurs morceaux incontournables, « Celebration », « Get Down On It » (qu’on entendait dans tout Beaulieu vers 18h pendant les balances), « Ladies Night »… Le groupe entre en scène avec des vestes « boules à facette », bourrées de paillettes, soit rouges, soit bleues. Clin d’œil à la robe de la veille ? Le batteur s’assoit dos au public. Ça va, on l’a vu ton veston éblouissant, pourquoi tu fais ça ? Oups pardon, monsieur est aussi claviériste. Ni une, ni deux, il roule sur son tabouret pour assurer son deuxième instru.
Deux grands gaillards lancent des chorégraphies reprises par le public tout entier, quart de tour à gauche, claquements de doigts, quart de tour milieu, pause, quart de tour à droite, claquements, retour position de départ, pause… ça va, jusque-là on suit. Parfois ils lâchent leurs rôles de coachs pour ajouter des cuivres aux morceaux. Certains pensent que le cours continue et font du Air Saxo sur pelouse. Très tendance sur les concerts rétro de ce type.
Et puis, 23h passées, la foule détourne son regard de la scène pour regarder une autre boule à facette se faire cacher la gueule par notre planète. On tape du poing sur le cœur. Représente ! C’est nous qu’on fait toute cette ombre au soleil ! Miss lune rit jaune. En croissant. Même Mars s’en mêle. Il est super proche de la Terre ce soir (ça veut dire qu’on l’aperçoit… en tout petit, cf coin droit en bas de la photo ci-dessus). D’habitude, il se laisse ridiculiser par la moqueuse mais ce soir, puisqu’on la cache, il en profite pour pétiller plus fort. Il se concentre, ferme les yeux, bloque sa respiration, gonfle ses joues et nous, on le voit, tout rouge. Bravo ! Bravo monsieur ! Puisque Kool and the Gang n’accepte pas les photos, c’est vous et votre copine lunatique qu’on mettra en illustration de ce 27 juillet 2018. On applaudit la magie du ciel et le groupe tire sa révérence, au-dessus d’un jardin qui signait complet.
Catherine Ringer
Si on ne devait en retenir qu’une et une seule de tout cet été, c’est bien Catherine Ringer. Rita version « sénior, j’adore » ! Qui peut entrer en scène avec un chapeau tout mollasson sur la tête, écrasé au ras des yeux, tendus vers le bas sur chaque oreille avec les deux mains qui tirent dessus, ne laissant dépasser que le nez et la bouche pour chanter et respirer ou… ou réciproquement ? Dame Ringer fait les deux en même temps. Elle chante comme elle respire. Il hante comme elle soupire, Chichin. Il est là. Il la tient. Par les épaules. Son ombre volette au-dessus de la scène. Elle le voit.
Elle déambule sur scène comme on roule dans les vagues. C’est son eau. Elle en est le poisson. Le poisson le plus gracieux de tout l’océan. Elle investit les planches de droite à gauche, du fond jusqu’à l’écume. Les petits galets de gens se laissent rafraîchir par sa voix de sirène grave. La voix et la sirène. Graves. Toutes les deux. Ringer est complètement barrée (on a le droit de faire une déclaration d’amour dans un article ?), barrée verticalement, de blanc, de vert, de noir, de rose, de mauve, de rouge. Elle chante les couleurs. Elle coule les chanteurs en assurant plus qu’une femme et un homme à la fois. Elle a cette féminité incroyable enrobant une paire de… Bref, c’est une sacrée artiste ! Elle y va, elle ose tout, pas une note ne sort fausse, elle a un coffre immense, cachant des trésors de pirates à l’intérieur, c’est certain !
Après le chapeau, c’est perruque de méduse rouge, voile noir de deuil, et toujours ce petit fantôme qui dépasse de son chignon en biais. Entre ses contes solo et ses reprises des Mitsouko, Catherine hypnotise son audience. On pourrait s’attendre à un public plus mobile, vus la pêche, le groove, et tout ce qu’elle et son équipe envoient sur scène mais l’heure est aux éponges. Le public est fasciné, il absorbe tout, sans rater une goutte de cette peinture que l’artiste élabore, à la volée. Subjugué.
Seul Andy, petit blondinet du public, la trentaine, marcel noir et mollets apparents, gigote dans tous les sens. Il essaye de remuer les alentours, parle aux inconnus, danse avec les arbres et se gratte le coin du sourcil. Véridique. Il n’est pas mesquin Andy, il bouge sur tous les titres. Bon évidemment, lorsque l’heure est au rappel et qu’il n’a toujours pas eu SA chanson alors que la foule entière la réclame depuis de longues minutes, il se mêle aux cris. Il crie son propre nom. Elle démarre. Il crie « ouiiiiii ». Tu vois Cathy, il était là, le vrai, le seul, l’unique. Andy était dans la foule ce soir et il t’a répondu !
Terminer un festival sur un « oui », y a-t-il plus positif ?