Après une Cigale bien intimiste, qui a offert d'exceptionnelles lettres de noblesse au terme "nostalgie" - le groupe avait alors offert une setlist improvisée, allant piocher dans le rare, l'inédit -, Muse reprend la route des stades pour défendre son album Simulation Theory. Album que nous avions alors qualifié de "calibré pour les grosses structures", et que nous avons évidemment hâte de découvrir avec la scénographie - semble-t-il grandiose - qui l'accompagne.
Pour ouvrir le bal, SWMRS et son rock teinté de punk débarque. Peu d'efforts à fournir pour que le groupe puisse électriser rapidement son public tant son énergie est communicative. Les morceaux, simples et efficaces, ne sont pas d'une originalité débordante, mais parviennent par la scène à apporter le frisson, l'envie de se lancer dans la danse. À coups de "Vive les bleus, motherfuckers", le public est conquis, l'amorce de soirée réussie.
On ne peut malheureusement pas en dire autant de Mini Mansions, qui fait rapidement redescendre la pression. Avec leur pop beaucoup trop gentillette, la bande a du mal à trouver son créneau, surtout après l'énergie de SWMRS. Pas qu'elle en est dénuée, au contraire, mais cette énergie différente, plus douce, dénote du crescendo attendu. Les rythmes cardiaques ralentissent, l'envie de se mêler à la cohue générale aussi. Les morceaux du groupe, pourtant carrés dans leur interprétation, semblent fades, et ont peut-être une aura autre à proposer dans un autre contexte.
Avec Simulation Theory, Muse s'offre un voyage initiatique vers son adolescence, les néons flash et la robotique directement issue des films les plus stéréotypés de la décennie 1980. Aussi, quand la bande originale de Midnight Express résonne avec force, annonçant l'introduction du concert, la pression remonte. Tandis que certains maintiennent la hola générale, d'autres pensent Alan Parker et dystopie. La soirée est sous le signe de ces réalités futuristes telles qu'elles furent imaginées il y a 35 ans, et l'imagerie présente ce soir ne va pas lésiner sur les moyens pour l'illustrer. Au programme scénique, un immense écran, évidemment, des néons, assurément? Ces derniers sont disposés autant sur les bords de scène que sur les chapiteaux régie, jusqu'aux divers habits scéniques arborés par les membres de cette immense caravane déployant ses atouts au fur et à mesure.
En effet, limiter les honneurs à notre simple trio anglais - qui fait évidemment le gros du travail, aucun doute - serait bien malhonnête face à l'immensité du spectacle pensé ici. Une dizaine de personnes vont alors changer régulièrement de rôle, passant de postes musicaux (tour à tour marching band cuivré pour accompagner l'arrivée de Matthew Bellamy sur sa plate-forme centrale pour "Pressure", choristes, utilisation de tambours disséminés sur les côtés de scène pour accentuer l'aspect "stadium rock") à éléments de mise en scène (zombies sur "Thought Contagion").
Visuellement, c'est riche. Très riche. Trop riche ? Pas vraiment. Là où le côté spectacle est très mis en avant, accaparant alors constamment les rétines, Muse a ce quelque chose d'organique, d'expressif, qui fait que l'équilibre avec le concert pur jus arrive à faire son effet. Là où les souvenirs d'un U2 interprétant l'intégralité de The Joshua Tree dans une prestation inanimée nous hantent encore, le trio de musiciens bouge, se donne et ne reste pas dans son coin à se contenter de ses écrans pourtant omniprésents. Muse n'a pas oublié ses racines, et fait du rock'n'roll.
Autant dans sa volonté d'avancées visuelles que dans ses choix musicaux, Muse est tourné vers l'avenir. Si le groupe a souvent déclaré vouloir laisser de plus en plus ses premiers albums, et que la Cigale ayant alors fait office de parenthèse, il ne revient pas sur sa décision. La setlist est donc très axée sur les derniers albums, choix logique au vu de la prestation proposée, du côté "robotique" des visuels et thèmes engagés sur scène ce soir. Showbiz ignoré, on voit malgré tout une représentation d'Origin Of Symmetry (dont "Bliss", ajoutée in extremis par demande de fan) et d'Absolution, pour le coup encore bien présent. Mais les titres les plus simples sont privilégiés, de "Uprising" (qui en est malgré tout à sa dixième bougie) à "Psycho".
Tout pour le rock de stade, tout pour le gros son. De ce côté-là, le show ne déçoit pas. La production sonore tabasse, et pourtant ne sature jamais. On entend tout parfaitement, que ce soit la basse grasse et lourde de Chris Wolstenholme accompagnée par la frappe lourde et précise de Dominic Howard, ou le chant de Matthew Bellamy, s'amusant avec toujours autant de facilités à passer d'un extrême à l'autre. Un panel de virtuoses, pour des compositions qui cachent derrière leur aspect simple et droit au but de nombreuses subtilités d'arrangements. On redécouvre Simulation Theory, ses morceaux travaillés, et l'évolution d'un groupe qui tente toujours, quitte à diviser.
Ce soir, Muse a une fois de plus prouvé que son statut de mastodonte du rock n'est pas usurpé. Honorant le public de sa présence en stade pour offrir un show digne de ce nom, bourré de références et de trouvailles, il n'en oublie pas le plus important, la musique, qu'il assène avec la rage des premiers jours. Un groupe unique, en constante évolution. Ce nouveau chapitre convainc encore, on attend le suivant avec impatience.
Photos : Arnaud Dionisio. Toute reproduction interdite.