Streaming, le système féodal va continuer…

Nous vous avons annoncé la semaine dernière la fin de la médiation Shwartz pour un développement équitable de la musique en ligne et pour une meilleure adaptation aux problématiques actuelles que Fleur Pellerin a pris en compte dans sa loi relative à la « Liberté de création, architecture et patrimoine » votée ce mardi 6 octobre à l'Assemblée Nationale.

Le protocole d'accord a été voté le 2 octobre dernier avec 18 syndicats et fédérations de représentants des auteurs, des plateformes de streaming, et des producteurs.
Nous vous avons également retranscrit l'émotion de Fleur Pellerin dans un autre article à propos de cette « journée historique » car  « ce qui se passe aujourd’hui est absolument passionnant. »... A la lecture du protocole, mes doutes à ce sujet sont certains.

Nous avons reçu le protocole d'accord 3 jours après sa signature, nous vous en avons exposé les grands points, à savoir les 7 différents objectifs à tenir. En premier lieu, soutenir le développement de l'offre musicale légale, ensuite établir une plus grande transparence de l'économie de la filière. Mais aussi, améliorer l'exposition de la musique et de la diversité culturelle, et promouvoir de bonnes pratiques contractuelles par un code des usages. Vient en cinquième place le sujet brûlant, celui de la rémunération des artistes, qui ici se voudrait « juste ». Pour finir, le protocole souhaite mobiliser des moyens pour faciliter la transition numérique, il était temps dirons-nous... Et enfin, et ce n'est pas le moindre des points, à savoir assurer la mise en œuvre effective et durable de l'accord. Parce qu'évidemment, entre signer un accord et le mettre en application, il y a une sacrée marge !

Il s'agit de comprendre maintenant cette machine à gaz que deux syndicats d'auteurs (ADAMI et SPEDIDAM, FO n'a pas signé non plus) ont choisi de ne pas signer car les propositions étaient vraiment trop basses...

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Mais si la camarade Fleur est contente...

Ce protocole est signé pour 3 ans et est reconductible. Une fois par an, un comité de pilotage de la filière musicale présidée par Fleur Pellerin elle-même se réunira avec tous les acteurs pour suivre la mise en œuvre des objectifs. La première réunion aura lieu dans 6 mois, vers avril 2016 donc. Mais un an plus tard, nous serons en plein pendant les élections présidentielles ! La Ministre aura alors pieds et poings liés. Protocole « historique » qui devient pour moi à la simple vue du calendrier, un effet d'annonce se voulant majestueux mais qui pourra n'avoir qu'un bref avenir s'il y a un changement de majorité présidentielle... Et sachant que dans notre système où les lobbies courent tranquillement de bureaux en bureaux au Parlement, il y a fort à parier que les producteurs phonographiques ne laissent pas tenir un tel protocole. Donc voilà pour l'objectif 7 de pérennité... L'amour dure 3 ans écrivait l'autre barbu à mèches folles, ça fait bien plus longtemps que l'amour vache existe entre auteurs et producteurs mais oui, la reconduction de l'accord n'est pas gagnée. A voir encore ce qu'il contient de bien, cet accord !

Pour cela, allons directement au sujet qui fâche, la redistribution de la thune ! C'est la plus longue partie du protocole, 1 page d'intro et 9 articles à cet objectif voulant « garantir aux artistes une juste rémunération »...
â–º Pour rappel, pour l'instant, selon les chiffres fournis par la SNEP (Syndicat National de l’Édition Phonographique), sur un abonnement à 9,99 € sur une plateforme de streaming, les artistes se partagent la portion congrue, soit 0,68 €, plus 1 € en droit d'auteur quand l’État se fait 1,67 € de TVA et que les producteurs touchent quasiment la moitié de l'abonnement ! A savoir, 4,56 € !

Nous sommes passés d’une économie de l’acquisition (achat à l’acte d’œuvres musicales) à une économie de l’usage (tarification forfaitaire de l’accès à une consommation illimitée), les services de mise en ligne de musiques se sont multipliés (Deezer, Spotify, Grooveshark, 8tracks, Rdio, Musicme, Fnacjukubox, Soundcloud, Google play, Xbox music, Lastfm...) avec pour chacun d'eux des fonctionnements différents et des pratiques différentes avec les auteurs et musiciens. Sont alors apparues des relations contractuelles par lesquelles les détenteurs de catalogues obtiennent de la part des éditeurs de services numériques, et en échange de l’accès à ces catalogues, des sommes forfaitaires significatives (avances et minima garantis) et peuvent accéder au capital de ces éditeurs de services. Et les producteurs deviennent donc actionnaires de ces plateformes... Les producteurs touchent donc de l'argent en amont et sur les abonnements... Quant aux artistes... Pour la rémunération des ayants droit, les plateformes mettent en œuvre des modèles de répartition des revenus, qui soulèvent des questions de la part des artistes... car « la complexité des circuits financiers de la nouvelle économie de la musique crée, du côté des artistes, une grande incompréhension sur le partage réel de la valeur, une difficulté à tracer la justification de leurs revenus et un scepticisme croissant sur le traitement qui leur est réservé ».

Dans cet accord il est convenu alors, pour « l'intérêt commun des parties » que les « contrats liant les producteurs de phonogrammes et les artistes interprètes prévoient la cession des droits exclusifs de ces derniers » et que les « producteurs de phonogrammes s’engagent à partager avec les artistes tous les revenus ou rémunérations qu’ils reçoivent des services numériques de diffusion et de distribution de musique, au titre de la monétisation de leurs enregistrements » où le revenu comprend tout ce qui est lié à « diffusion et de distribution de musique, au titre de la monétisation de leurs enregistrements »... Ça reste vague, on attend du pourcentage, du concret, mais rien ne vient. Sauf ! Sauf que les producteurs acceptent de débattre dans le cadre du comité de pilotage au sujet de leur participation au capital. Si c'est pas concret ça ! Tailler le bout de gras en réunion...
On nous parle également d'abattements contractuels, structurels ou en dépenses nettes... Rien de très sexy !

â–º Mais vient le point 5.5 tant attendu ! La « garantie de rémunération minimale » en contrepartie de l'exploitation numérique des enregistrements des auteurs-interprètes. Attention, tenez-vous bien !

Aucun minimum n'est avancé en rien mais cela pourra prendre plusieurs formes ! Superbe effet de manche... Je cite : « par exemple une rémunération proportionnelle minimale ou une avance minimale. Les modalités et le niveau de cette garantie de rémunération minimale seront fixés par accord collectif, lequel devra prendre en considération la diversité des situations des entreprises du secteur. »
On est bien dans un protocole historique là, camarade Fleur ? C'est creux et ne changera rien au problème puisqu'il n'y a rien de vraiment concret. On reste dans les idées, dans les annonces, dans les « on verra ça plus tard »... Car magie de ce protocole, on parle de prévision de prise en compte, de détermination de modalité et du niveau de garantie des rémunérations minimales dans le point 5.9, encore un fois en restant dans le flou total.

Mais un engagement est tout de même pris de la part des producteurs, à savoir rendre accessible les décomptes de royalties sous forme de relevés consultables en ligne ! Mazette, tout ça au nom de la transparence ! Tout simplement annoncer à l'artiste ce qu'il touche et pourquoi il le touche... Quelle révolution... En sus, grands seigneurs, les parties signataires offrent aux artistes-interprètes un droit d'audit des comptes se rapportant à leurs enregistrements, et ce dans le cadre de la mise en œuvre des contrats et des conditions économiques qu’ils prévoient. On devait vraiment partir de très, très loin pour arriver à des points si conventionnels qui offrent un droit de regard aux artistes pour qu'ils puissent analyser la manière dont ils se font mettre.

Les parties sur les bonnes pratiques contractuelles et sur la mobilisation des moyens disponibles pourraient finir, amis artistes, de vous achever car on vous y prend encore pour des moins que rien qui ont tant besoin des producteurs et de leurs « fonds de soutien à l'emploi direct » pour permettre la prise en charge de « ceux qui sont employés par des très petites entreprises du secteur phonographique »...

Amis artistes, vous êtes ceux qui créent ! Vous devez être au centre de toutes choses de l'industrie phonographiques ! Et non, en marge comme c'est parti pour durer...

Alors, Fleur Pellerin, pour qui était-ce une « journée historique » ?

Yann Landry

Crédit photo : MCC (c) Thibaut Chapotot



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