Comme chacun sait, le prix des places de concert augmente depuis plusieurs années maintenant. Pour les artistes, la raison en est simple : il faut bien compenser la chute des ventes de disques, et augmenter leur cachet est la solution la plus évidente. Devant la disponibilité de la musique enregistrée, sa valeur relative ne fait que baisser, alors qu'un concert reste un moment unique, qu'on ne peut revivre que de façon très insatisfaisante sur un écran. On peut donc comprendre que les musiciens revoient leurs tarifs à la hausse, mais jusqu'à un certain point. Et vu la vitesse à laquelle les prix montent, il y a clairement de l'abus de la part de certains. Korn en concert au Bataclan ? 40 euros la place. Soundgarden au Zénith ? 60 euros. Certains groupes, notamment les plus vieux et les plus connus, ne veulent plus s'ennuyer avec ces histoires et laissent tout aux mains de managers parfois peu scrupuleux. Mais pour l'immense majorité, il y a clairement du foutage de gueule que nous, public, contribuons à encourager.
Ben oui, si Soundgarden remplit le Zénith en mettant les places à ce prix, pourquoi s'arrêter ? Et si Johnny blinde des stades (et oublie de baisser son cachet quand il fait des salles plus petites) avec des places à 150 euros, pourquoi se priver ? Si des gogos sont prêts à se ruiner pour voir U2 au Stade de France à n'importe quel prix, pourquoi ne pas en profiter ? Inutile de dire qu'on pourrait multiplier les exemples pendant longtemps. Alors oui, l'inflation, le prix du carburant, oui... Mais jusqu'à un certain point. Au-delà, c'est juste l'artiste qui a décidé de considérer ses gentils fans comme des vaches à lait et de s'en mettre plein les fouilles. Chris Cornell va être content, il va pouvoir finir la construction de sa piscine en or qu'il avait du mettre en suspens suite au bide de sa carrière solo. Parce que non contents de réclamer des sommes indécentes, les comportements de "divas" semblent se multiplier de façon inquiétante, ce qui pousse aujourd'hui l'organisateur du Festi'Val de Marne à publier une lettre ouverte que nous reproduisons ici, et qui nous semble se passer de commentaires. N'oublions jamais que nous, public, avons la plus grande part de responsabilité dans ces dérives, en continuant à aller acclamer des artistes puants de suffisance (jetez un oeil aux exemples de demandes en friandises en tous genres plus bas, c'est édifiant).
"Bonjour,
Nous vous remercions pour votre participation au 22e Festi’Val-de-Marne. Celle-ci a permis au public de partager de beaux moments avec les artistes accueillis qui, malgré la conjoncture, ont été applaudis par près de 30 000 spectateurs. Du strict point de vue comptable, le bilan n’est pas négatif.
Il n’en va pas de même si l’on considère les difficultés croissantes rencontrées par tous nos collaborateurs pour simplement mener à bien la réalisation des spectacles programmés. Notre secteur d’activité a-t-il perdu, depuis quelques années, tout sens de la réalité ? Toujours est-il que les dérapages se multiplient, venant parfois de personnes avec qui nous travaillons depuis longtemps.
Nous avons donc pris le temps de lister toutes ces difficultés, en cinq points : programmation, contrats, technique, accueil, relations humaines. Ce bilan ne vise personne en particulier, c’est une compilation des différents problèmes rencontrés depuis plusieurs années.
Nous espérons que ce travail nous aidera à avancer ensemble en remettant rigueur, humilité, solidarité et respect au cœur de nos relations et en effaçant certains comportements ou mauvaises habitudes qui rendraient l’avenir bien sombre pour nos métiers s’ils se perpétuaient."
Jean-Claude Barens et toute l’équipe du Festi’Val-de-Marne.
I - LA PROGRAMMATION
- Explosion des montants des contrats de vente… Si ça continue « faudra qu’ça cesse », comme dirait l’autre. Autrement dit, l’abus risque de tuer le spectacle.
- Difficulté à avoir des artistes confirmés et porteurs, pourtant programmés et aidés (aide à la création, à la diffusion) à l’heure de leurs premiers pas dans le métier.
- Refus des premières parties de la part d’artistes confirmés. Ont-ils oubliés que c’est grâce aux marches des premières parties qu’ils sont aujourd’hui tout là-haut ? L’Alzheimer semble précoce chez les tourneurs et artistes.
- Changement de projet artistique (distribution ou fiche technique) entre la confirmation de la date et le jour du concert.
- Non-respect de la clause d’exclusivité (sur Paris/Région Parisienne 1 mois avant -1 mois après, ce qui ne nous semble pas excessif). Paris étant un véritable aimant pour le public (et les professionnels !), même résidant en banlieue, la fréquentation est parfois loin d’être à la hauteur des attentes et de l’investissement.
- Annulations sans raison objective et réelle, jusqu’au dernier moment : absence d’un musicien, stress de l’artiste (quand ça n’est pas son évaporation dans la nature !), problèmes d’emploi du temps, problèmes internes dans l’entourage de l’artiste, journées promo à assurer, maladies imaginaires avec ordonnances bidons. Nous aurions remporté bon nombre de procès, mais aurions mis quelques sociétés sur la paille si nous avions saisi les tribunaux.
II - LA COMMUNICATION
De plus en plus de productions/tourneurs nous contactent très, trop régulièrement pour connaître l’état des ventes de leurs artistes. Par contre, nous sommes étonnés de la relative pauvre collaboration sur la communication/promo des concerts de leurs artistes.
- Nous avons en effet des difficultés à obtenir les kits de promo (CD, photos, bio, affiches). Plusieurs relances sont nécessaires. Il nous est arrivé de recevoir les affiches après la date du concert.
- On a tendance à mettre la faute sur les labels ou maisons de disques qui, d’ailleurs, ne sont ni nos interlocuteurs, ni des partenaires de qualité tant qu’ils considéreront la scène comme le support du disque et ne comprendront pas le pouvoir des concerts sur les ventes de disques.
- Nos dates sont trop rarement signalées sur les sites, tracts ou espaces pubs. Nous aimerions que les producteurs/tourneurs accordent un peu plus d’attention à la promo des concerts s’ils veulent que leurs artistes aient le public qu’ils méritent.
III - LES CONTRATS
- Demande d’acomptes de plus en plus fréquents (chez nous, c’est simple, c’est NON !)
- Manque de clarté lors des négociations au sujet des postes hébergements/ voyages/défraiements.
- Le droit du travail interdisant la consommation d’alcool, aucune demande d’alcool ne devrait apparaître dans les contrats des productions (qui sont employeurs).
- Captations audiovisuelles (enregistrements audio ou vidéo) à la demande de l’artiste ni prévues au contrat, ni par un avenant.
- Malgré de nombreuses relances, les contrats nous sont parfois fournis la veille, le jour ou le lendemain du concert.
IV - LA FICHE TECHNIQUE
Les fiches techniques (l'ensemble des demandes en matériel du groupe, nombre de micros nécessaires, etc) reçues avec les contrats sont très peu adaptées aux salles du Festi’Val-de-Marne : un effort d’adaptation est nécessaire ! Il serait pourtant simple pour les productions de réaliser des contrats techniques selon la destination : grande salle, salle moyenne, petite salle (certaines le font).
1) Sonorisation :
- 90 % des contrats techniques réclament du matériel très haut de gamme, alors que le niveau du groupe et de compétence du technicien ne le justifie pas.
- Il est inadmissible d’avoir des exigences du genre « pas de numérique » ou « que du numérique» voire des effets de studio qui ne font pas forcément partie du parc des prestataires. Tout le matériel non standard devrait être fourni par la production (ce qui se fait de plus en plus pour les ear monitor).
- Idem pour le backline (les instruments pour la scène), dont les demandes croissent d’année en année, à croire que les groupes ne possèdent pas de matériel, se branchent sur leurs chaînes hi-fi et tapent sur des barils de lessive.
- Il y a aussi une inflation du matériel demandé au niveau des retours (les enceintes posées sur la scène, à l'usage du groupe), qui induit une augmentation de la puissance façade, qui induit la mise à disposition de bouchons d’oreilles pour le public, ce qui est une aberration !
2) Lumière :
Quel que soit l’équipement des salles, il faut toujours fournir un autre matériel car il y a beaucoup d’effets de mode.
- De plus en plus de spectacles utilisent des machines, ce type de matériel doit être fourni par la production avec le technicien adéquat, pour des raisons de compétence en programmation et de connaissance des pupitres.
- Pour les spectacles théâtralisés, le temps nécessaire aux réglages est souvent trop long et les plans de feu difficilement adaptables.
- Pour les spectacles utilisant de la vidéo, les contraintes sont nombreuses et difficilement adaptables à la scénographie des lieux, ainsi qu’aux connaissances techniques en place.
3) Décor :
- Dans la grande tradition du théâtre, le décor est fourni par le producteur, nous sommes donc toujours étonnés de voir des demandes de guéridons, sofas, et autres éléments décoratifs à fournir par l’organisateur.
4) Contraintes :
- Non-respect des horaires prévus : c’est préjudiciable pour tous, les autres artistes, les équipes techniques, et surtout le public !
- Non-respect des contraintes techniques des autres artistes, et il est vraiment question de respect : lorsqu’une répartition des tranches (le nombre de pistes disponibles sur une console de mixage) est faite sur une console, il est vraiment mal élevé de se servir une nouvelle tranche !
V - L’ACCUEIL
Changements innombrables jusqu’à la dernière minute : tout a un coût, et les dommages collatéraux ne sont pas anodins :
- Succession de fiches techniques différentes pour un même spectacle, jusqu’à la veille du concert : on passe des heures à modifier les bons de commande.
- Demandes de matériel finalement amené par le groupe le jour même : location et immobilisation inutiles.
- Demandes d’achat de baguettes (ça, c’est nouveau !) pour un batteur.
- Transports locaux non prévus et demandés à la dernière minute.
- Demandes de changements d’hôtels qui entraînent la perte des acomptes versés par le festival.
- Modification de la rooming-list (l'attribution des chambres d'hôtel) sur place sans concertation avec le festival.
- Demandes de day-room (location d'une chambre en journée) pour une attente de 6 heures, alors que l’artiste habite Paris.
- Demandes de runners non utilisés au dernier moment : véhicules et personnel immobilisés.
- Pick up (le fait d'aller chercher l'artiste chez lui) : on nous demande un véhicule pour 7 personnes + siège enfant, finalement 2 adultes montent dans la voiture.
- Abus sur les défraiements, le nombre de défraiements demandés est supérieur au nombre de personnes présentes.
- Catering (la cantine pour les musiciens et techniciens) : si les demandes de repas hallal ou végétarien sont légitimes, certaines exigences sont totalement hors de propos (marques exclusives, produits difficiles à trouver – ce qui est rare est cher, on n’est pas loin de l’avantage en nature…)
- Alcool : voir chapitre Contrats
80% des conversations tournent autour de l’hôtellerie et de la restauration !
- Nous sommes en banlieue, les restaurants (quand il y en a) ne servent pas tard : il faut que les groupes se conforment aux horaires spécifiés, on ne les donne pas par hasard, ni par sadisme !
- Ordres et contre-ordres : il faut se taper 25 pages pour trouver que le Coca a été remplacé par du Red Bull !
VI - LES RELATIONS HUMAINES
Il semblerait qu’il existe un sérieux problème de communication entre les tourneurs et les régisseurs, et nous en faisons les frais. Soit les tourneurs n’informent pas des conditions prévues au contrat, soit les régisseurs n’en tiennent pas compte :
- Multiplications des appels et des relances pour avoir des informations importantes (nous avons de plus en plus souvent des stagiaires comme interlocuteurs) : perte de temps, préparation remise de jour en jour, stress de dernière minute.
- Nous faisons très souvent le secrétariat des régisseurs, qui demandent par exemple : « tu peux me forwarder (faire suivre) ta fiche technique, la prod a dû merder, j’ai rien sur ta date »- Incapacité des régisseurs à prendre des décisions, on s’entend répondre : « pour le son tu vois avec machin, pour la lumière avec truc, les bières et les serviettes c’est moi.»
- Artiste pas toujours informé des conditions de passage et des avertissements du festival (partage du plateau, type de lieu, prix des places...).
- Non prise en compte par les régisseurs des premières parties pourtant négociées dès le départ (et systématiques au Festi’Val-de-Marne).
- Changement de régisseur à la dernière minute, le nouveau ne connaît pas le dossier.
- Les tourneurs et les régisseurs semblent incapables de maîtriser les demandes non justifiées des artistes.
- Nous pensons que le travail de régisseur consiste aussi à valider par des écrits les conversations et les accords téléphoniques. Seuls 10% des régisseurs le font. Sur place, les contacts avec les régisseurs sont du type : « Tu as dealé avec Machin de chez Zeprod, mais moi je représente le groupe et c’est moi qui commande. »
En conclusion :
Nous ne sommes pas une BANQUE, ni une ÉPICERIE FINE, ni un TOUR OPÉRATEUR, ni le CLUB MED : nous sommes UN FESTIVAL ! C’est uniquement à ce titre que nous resterons volontiers votre interlocuteur.
PS : Comme, il vaut mieux en rire qu’en pleurer… En annexe, quelques perles lues dans les riders (la liste des boissons et friandises demandés par les groupes dans leurs loges) !
Voici quelques demandes lues dans les riders :
1 – « Nous exigeons un régisseur général sobre et compétent » : à la page suivante du rider, il était demandé : 48 bières, 3 bouteilles de whisky, 6 bouteilles de bon vin et de la vodka !
2 - La bouteille de champagne est devenue un classique, voire même la Cristal Roederer.
3- Les recommandations sanitaires recommandant de boire 2 litres par jour sont bien suivies. Dans un rider pris au hasard, il nous était demandé 54 litres (toutes boissons confondus) pour 9 personnes, ce qui représente 6 litres par personne!
4 - “Rock’n’Roll never die”, “Sex, drugs and Rock’n’Roll” are still alive : du thym frais pour certains, des plantes vertes pour un autre et 70 bières + 2 bouteilles de vodka + 1 bouteille de bon champagne (6 litres d’alcool) pour 3 autres. Ces derniers ont du renverser ou perdre quelques bouteilles, parce qu’ils sont toujours vivants.
5- Ne prévoyez plus de cocaïne, le Red Bull a réussi à s’installer !
6 - Les musiciens ne sont pas partageurs, à chacun sa marque de gâteaux, sucreries et boissons. Les riders sont des véritables annuaires alimentaires. Un conseil ; achetez des actions chez Danone, c’est la marque la plus citée !
7 - Les artistes, surtout les méchants metalleux sont de vrais petits gourmands : Nutella, chocolat, Yop, barres chocolatées, Special K de Kellogs, Cruesli chocolat... D’autres préfèrent la collec’ Kinder (Délice, Country, Bueno).
8 - En plus de devenir des épiceries ambulantes, les festivals vont devoir demander la licence de vente de tabac et ne pas oublier de prévoir les feuilles à rouler. Des cigarettes, du tabac, des feuilles à rouler... Et puis quoi encore, ils veulent pas qu’on les leur fument à leur place.
9 - L’espace « Boulangerie » est aussi indispensable : pain blanc, pain de mie, Wasa, 100% seigle, Sandwich Daunat, 100% épeautre, pain complet, sans farine de froment...
10 - Quel que soit l’heure d’arrivée des artistes, un buffet très complet (fruits divers, légumes divers, fromages divers, charcuteries diverses, desserts divers, sucreries diverses) nous est demandé. Comme on peut s’en douter les équipes qui arrivent entre 15h00 et 18h00 finissent par picorer, l’heure du repas n’étant pas loin. D’ou un gâchis important. D’ailleurs certains nous recommandent « d’éviter le gaspillage »… mais ne touche pas le plateau commandé !
11 - Prévoyez aussi un service de livraison de repas dans les hôtels même si vous avez un bon catering ou de bons restaurants à côté de l’hôtel.
12 - Bio, végétarien, végétalien, sans poisson...le métier de cuisinier de catering s’est compliqué ces derniers temps.
13 - Et puis, il faut aussi faire le marché tôt pour le thym frais, le saumon fumé, les sardines, les fruits de mers, et les fleurs.
14 - On fournit souvent des “petits déjeuners continentaux”, des “petits déjeuners à l’anglaise”, mais cette année un « petit déjeuner scandinave » nous a été demandé. Il y a bien un lac à côté de l’« espace chapiteau », mais celui-ci n’était pas gelé pour y pécher un quelconque poisson nordique.
15 - Faites bien attention à la lecture des riders, des produits bizarres comme des enceintes à brancher sur un ordinateur y sont demandés.
16 - Autre élément technologique demandé dans les rider, sûrement par des accros de Arnold et Willy ou de Les feux de l’amour puisque cette année pas de Coupe du Monde de foot, ni de rugby : le fameux téléviseur.
17 - Et n’oubliez pas de fournir la table de ping-pong, sinon l’annulation du concert peut avoir lieu.
18 - Si un manageur a deux artistes dans la même soirée mais dans deux endroits différents, il y a de fortes chances qu’il vous demande un transport local parce qu’elle n’a pas le permis ou pas voulu prendre sa propre voiture.
19 - Rika Zaraï a aussi fait des adeptes chez les rockers en les convertissant à « la grande bassine remplie de glaçon » dès la fin du concert.
20 - Des baguettes d’une marque bien précise pour un batteur qui n’avait déjà pas amené sa caisse claire, ni ses cymbales. Il devrait d’équiper d’une boite à rythme, il en existe des très petites.
Conclusion : le secteur musical n’est ni sensible au « No Logo », à la l’esprit de décroissance ou encore au développement durable et ne semble pas plus avoir le sens de la communauté et du collectif !