N’est-ce pas le propre du black metal que de faire preuve d’orthodoxie envers les toutes-puissantes bases fondatrices du genre ? À la différence de bon nombre de pointures, Der Weg Einer Freiheit a toujours entendu donner une réponse nuancée à cette question.
Tout au long de sa discographie, le groupe originaire de Wurtzburg, en Allemagne, est resté fièrement attaché aux riffs corrosifs et dissonants du black metal norvégien, aux incessants blast-beats et au chant acéré de celui-ci. Il s’est toutefois permis quelques écarts, tantôt risqués, pour se distinguer plus aisément de ses pairs. Der Weg Einer Freiheit convoque en effet bien plus que l’éternel, non sans limites, panel de ressorts musicaux du genre. Le son est imprégné de références au post rock, d’aspects plus progressifs et dans Noktvrn, son dernier album paru le 19 novembre 2021 via Season of Mist, quelques nappes électroniques viennent même se glisser discrètement.
Pour Noktvrn, Der Weg Einer Freiheit s’est engagé dans une démarche plus expérimentale qu’à l’accoutumée. La composition et l’enregistrement du cinquième opus des Bavarois se sont déroulés de nuit, et de nuit seulement. À l’image de la pochette, Der Weg Einer Freiheit arpente ainsi les couleurs du soir, explore les affects qui lui sont propres dans un ensemble de fresques musicales monumentales. Et si, pour certains, la nuit est un refuge, un moment de suspens où règnent calme et sérénité, le groupe, lui, semble en avoir une conception bien plus tourmentée.
La quiétude n’y a que peu de place. À peine a-t-on le temps de profiter de la douceur de "Finisterre II", magnifique introduction à la guitare classique, que celle-ci se voit complètement annihilée par le mur du son monolithique de "Monument". Dans ces premiers instants gît déjà toute la puissance de cet album : puiser dans l’obscurité tout son désespoir et sa mélancolie, quitte à rendre l’objet musical encore plus dramatique que d’habitude. La palette d’émotions tapissant le fond sonore Noktvrn est loin d’être inconnue à quiconque s’est déjà confronté au groupe. Elle gagne cependant en intensité et en profondeur. Le motif principal de "Am Rande Der Dunkelheit", entre autres, est absolument déchirant.
L’intensité découle notamment de l’importance toute particulière attribuée aux mélodies. Chacune d’entre elle, envoûtante ou déroutante, relève d’un niveau d’excellence particulièrement accru. Plus mélodieux, Noktvrn se veut ainsi plus accessible que ses prédécesseurs. Dans cette logique, la production devient plus épaisse, plus claire et moins brute. Plus accessible ne signifie pas moins violent pour autant. Der Weg Einer Freiheit rompt avec la tradition entretenue dans le black metal pour rendre sa musique encore plus percutante. Comme dans "Am Rande Der Dunkelheit" ou "Morgen", l’album reste jalonné d’élans d’impétuosité absolument écrasants, rendant justice à la quête d’extrémité suivie par certaines formations mythiques du genre.
S’il fallait trouver un défaut à Noktvrn, il se situerait à un niveau structurel. Der Weg Einer Freiheit semble adopter une stratégie de l’éphémère en misant tout sur des instants grandioses. Les morceaux existent par et pour ces moments. Quelques intros, outros ou couplets ne sont que des navettes transitoires, des installations ou déconstructions du sublime, parfois rudement efficaces, mais moins admirables que les sommets d’exaltation qui culminent çà et là tout au long de Noktvrn. Car si la tentative de développer une dimension plus expérimentale et atmosphérique sur "Immortal" est plus que louable, force est de constater que les quatre minutes de lente introduction sont en réalité serviles du dénouement du morceau. Face au flot d’émotions bouleversantes qui en irrigue les dernières minutes, le reste manque légèrement d’intensité et peine à atteindre un degré de qualité similaire.
Entendons-nous, Noktvrn est un édifice musical impressionnant et Der Weg Einer Freiheit ne démérite pas sa réputation ni sa place sur la scène black metal européenne. Certains détails formels, voire pans entiers de morceaux, auraient simplement mérité une plus grande attention de la part du groupe pour que le tout puisse marquer l’apogée de sa discographie. Ce cinquième opus reste indéniablement un incontournable de l’année, un objet aussi magnifique que morbide et, en somme, un compagnon de choix pour les longues nuits d’hiver.
Tracklist:
- Finisterre II
- Monument
- Am Rande Der Dunkelheit
- Immortal
- Morgen
- Gegen Das Licht
- Haven
Noktvrn est paru le 19 novembre 2021 via Season of Mist.