Trois ans après son dernier opus, et trois décennies après sa formation, Katatonia présente aujourd’hui son douzième album studio, le premier depuis sa signature avec le label Napalm Records. Que nous réserve en 2023 le groupe qui a toujours su surprendre, décontenancer, mais aussi garder une identité singulière tout au long de son parcours d’explorations et d’expérimentations artistiques et stylistiques ?
Dès les premières secondes, "Austerity" donne le ton, et quelle promesse pour ce retour de Katatonia ! L’album sera donc éminemment dynamique, s’articulant avant tout autour d’une rythmique travaillée, complexe, subtile et mise en avant sur chaque morceau, portée par la prestation de l’incroyable Daniel Moilanen. Le single d’ouverture se révèle une pièce prog embarquant l’auditeur dans un tourbillon de batterie déconstruite, de soubresauts de riffs et de basse bondissante signée Niklas Sandin, impérial, le tout lié idéalement par la solidité et l’efficacité de la mélodie du refrain et le timbre si particulier et reconnaissable de Jonas Renkse.
Il en est de même sur "Sclera", à la rythmique folle : entre parties accrocheuses, passage suspendu clavier / voix, et riffs denses, la richesse et la texture de l’ensemble ressortent comme une évidence, mises en valeur par une production admirable.
Ce mix qui n’oublie aucun des instruments et met en valeur les passages dynamiques comme ceux plus délicats permet une immersion aisée dans ces univers lugubres, et cette mélancolie universelle prenant sa source dans l’isolement, la peine ou le sentiment de rejet. Les teintes se font nostalgiques, presque gothiques des années 80, tout en présentant un groove moderne et une puissance dans les riffs de Roger Öjersson et Anders Nyström, comme sur l’incroyable "Colossal Shade" ou le mid-tempo puissant "Opaline", qu’on aurait pu retrouver sur The Great Cold Distance (2006).
La gravité des propos et les passages lugubres sont comme contrebalancés par des instants lumineux, énergiques, et c’est cette subtilité qui fait la signature du groupe. L'album irradie d'une force directe, s'approchant de l'énergie de la prestation live et s'éloignant de la sophistication parfois froide du précédent opus, City Burials. Les envolées du single "Birds" reposent sur ces riffs lancinants et, de nouveau, ce dynamisme irrésistible et un accent mis sur les lignes de guitare. L’ambiance y est sombre, sinistre, mais on est happé par la mélodie et cette ambiance à la Viva Emptiness (2003).
Jonas Renske est partout, des lamentations plutôt hautes ("Opaline", "Author") à la gravité porteuse de mélancolie ("Colossal Shade"), des paroles à cette atmosphère si particulière. Il faut dire qu’il signe la totalité des compositions de Sky Void Of Stars. La sensibilité du vocaliste (et ancien batteur du groupe) se retrouve à chaque seconde, dans les mélodies bien sûr, mais également sur l’approche rythmique qui fait la signature de Katatonia et atteint des sommets sur certains passages où le lead repose davantage sur la paire batterie / voix que sur les guitares.
Romantique des temps (pas si) modernes, il démontre encore ici un talent sans pareil pour mettre en scène le spleen existentiel des âmes perdues, ici dans un paysage pluvieux urbain, futuriste ou immémorial. C’est pourtant en partageant la prestation vocale que le frontman touche au sublime, avec la complainte doom "Impermanence" sur laquelle le chanteur de Soen Joel Ekelöf est invité. Tout y est parfait, l’ambiance morose, le superbe solo de Roger Öjersson soulignant la lamentation du refrain, et le partage des parties chantées qui met en avant la force d’interprétation de chacun des deux vocalistes, en charge successivement d’un couplet et d’un refrain.
Katatonia poursuit sa démarche d’exploration de différents sons et influences, mais contrairement aux tentatives tranchées qui ont pu surprendre ou décevoir auparavant, dans Sky Void Of Stars la synthèse est plus directe, mature, assumée, et complètement cohérente. Le groupe a trouvé dans la tracklist un enchaînement idéal des titres, et par là même un storytelling qui donne toute sa cohérence à l’album. Des pièces intenses aux riffs denses et à la rythmique forte ("Author") introduisent des morceaux plus délicats ("Drab Moon"), jouant avec les variations de tension permettant de naviguer sans couler dans ces univers sombres.
Les mélodies entêtantes et le combo percussions elliptiques / synthés massifs servent de clé de voûte à des titres accrocheurs à la simplicité apparente ("Atrium") ou des pièces plus heavy ("Absconder", bonus de l’album, aux riffs vagabonds) voire progressives et complexes (mention spéciale à la double pédale de Daniel dans l’accélération death metal du très mélancolique "No Beacon To Illuminate Our Fall").
Il y a tout ce que l'on pouvait attendre de Katatonia dans cet album, et même plus encore. Une énergie directe, une lourdeur organique, un équilibre parfait de force, d’intensité, de nuance et de délicatesse, et, partout, cette nostalgie et cette poésie belles à en pleurer. Bien sûr, la noirceur et le pessimisme sont de mise, mais Sky Void Of Stars a tout d’un album brillant et lumineux, qui à coup sûr pèsera dans la longue discographie des Suédois.
Tracklist:
1. Austerity
2. Colossal Shade
3. Opaline
4. Birds
5. Drab Moon
6. Author
7. Impermanence (feat. Joel Ekelöf)
8. Sclera
9. Atrium
10. No Beacon To Illuminate Our Fall
11. Absconder
Sortie le 20 janvier 2023 via Napalm Records.