Cattle Decapitation – Terrasite

Quelle suite donner à une œuvre majeure, et comment éviter l’écueil de la répétition ou, pire, de la déception, voilà des questions auxquelles de nombreux artistes sont confrontés. À ces interrogations, les Américains de Cattle Decapitation apportent aujourd’hui une réponse claire en faisant le choix de la renaissance plutôt que de la continuité. 

Quatre années se sont en effet écoulées depuis la sortie du prémonitoire Death Atlas, véritable tour de force salué unanimement par la critique et le public, et Cattle Decapitation présente aujourd’hui son successeur, Terrasite.

Si l’obscurité dominait dans Death Atlas, qui narrait l’inévitable fin du monde et de l’humanité, cette fois-ci sur ce dixième opus des Californiens, l’horreur prend place en plein jour, dans les cendres encore chaudes de notre espèce, avec la naissance de larves hybrides mi-hommes mi-cafards vouées à se nourrir de la Terre jusqu’à sa disparition totale. Le groupe, coutumier du discours engagé et pessimiste, met de nouveau en adéquation la noirceur du propos et la violence des sonorités.

L’attaque sanglante est bien là, avec le blast beat inhumain de David McGraw et le riffing ultra rapide de Josh Elmore et Belisario Dimuzio, créant des murs sonores idéaux pour laisser libre cours à cette description sans concession de la destruction de la planète, de l’extinction de l’espèce humaine évidemment responsable, et de l’avènement d’une espèce hybride à vocation destructrice. Pessimisme et déchéance sont à leur comble dans les paroles hurlées, criées, chantées, parlées, grognées même par l’incroyable Travis Ryan, l’un des chanteurs les plus puissants et polyvalents de la scène metal extrême internationale.

Ce dernier se distingue également par sa maîtrise de l’art délicat – oui, oui – de l’articulation dans le growl et le scream, augmentant encore la portée et la puissance des paroles par leur intelligibilité. Le chaos vocal créé par la superposition de différents types de chant vient souvent rehausser la violence et la désolation qui sont le décor de tout l’album, comme dans le très groovy "And the World Will Go On Without You", ou les singles assassins "We Eat Our Young" et "Scourge of the Offspring".

Crédit photo : Nick Van Vidler

La production signée Dave Otero laisse à chaque musicien de l’amplitude pour s’exprimer, conférant à l’album profondeur et densité, et une certaine nouveauté. Les lignes de guitares sont remarquablement nuancées, et des effets sur celles-ci viennent diversifier les ambiances. Le travail unique sur la voix de Travis fait des merveilles quand les screams sont ourlés d’une mélodie en clear, ou de growls puissants. Certes, le combo navigue dans les eaux agitées et frénétiques du grind ("Dead End Residents"), mais également dans celles plus troubles et fétides du death mélodique ("The Storm Upstairs"), frôlant parfois le gouffre du blackened death, et réussissant toutes ces incursions stylistiques avec brio.

Les alchimistes de San Diego ne s’enferment pas dans la brutalité rectiligne, bien au contraire l’ouverture déjà recherchée sur les deux précédents opus se retrouve sur Terrasite dans la dualité de certains passages, notamment des refrains, entre rugissement redoutable et efficacité et fluidité. La synthèse se fait naturellement entre attaque et accroche, et il suffira de quelques écoutes à l’auditeur pour avoir certaines mélodies solidement ancrées dans la tête ("The Insignificants", "And the World Will Go On Without You").

À la basse, Olivier Pinard prend une place plus affirmée dans le mix, et le groove s’impose avec force sur certains morceaux, comme le sinistre et monumental "A Photic Doom". La rythmique est certes ultra rapide mais un énorme groove et des mélodies finissent par surgir de la noirceur ambiante. On retrouve le travail de Cattle Decapitation pour ne pas livrer la brutalité comme une claque linéaire, en témoignent les riffs et rythmiques complexes qui ponctuent ce titre admirablement construit, doté d’un breakdown monstrueux à 2:14 et le cri d’outre-tombe de Travis. On pense également à "Slastagia" qui présente même un solo de basse avant un passage doté d’un groove incroyable. À la fin, la voix parlée annonce le retour de la mélodie et de nouvelles prouesses vocales avec le chant clair souligné de scream dont le vocaliste a le secret.

La dernière plage de l'album, "Just Another Body", est l'expression à vif d’un deuil et d’une douleur viscérale. Écrite à un moment où le groupe s’est trouvé au plus bas, après la pire des épreuves : le décès de deux proches musiciens. Tout respire la désolation sur cette pièce de dix minutes, qui prend une dimension particulière et touche le sublime avec l’apparition déchirante du chant clair de Travis. Cette fin mélodique a beau évoquer des sonorités à la Paradise Lost, éloignées a priori de l’ADN historique des Américains, on y retrouve cependant les touches mélodiques distillées sur tout l’album, cette patte caractéristique des compositions du groupe, et ces tonalités thématiques entre désolation et souffrance.

Dans un état de stupeur désespérée, criant l’impuissance face à cette destruction, Cattle Decapitation dépasse les paradoxes, et c’est sans doute dans ce final magistral que se révèle pleinement la force de Terrasite. Le groupe sort des sentiers battus mais garde son âme et son identité originelle, et se transcende pour chanter le désespoir tout en préservant la brutalité de sa charge. Il y a fort à parier que cet album saisissant aura une place de choix dans la discographie des Californiens, mais n’était-ce pas déjà le cas pour les trois précédents opus des patrons incontestés du metal extrême ?

Tracklist :

1 Terrasitic Adaptation
2. We Eat Our Young
3. Scourge Of The Offspring
4. The Insignificants
5. The Storm Upstairs
6. …And The World Will Go On Without You
7. A Photic Doom
8. Dead End Residents
9. Solastalgia
10. Just Another Body

Sortie le 12 mai 2023 via Metal Blade.

NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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