Troisième volet d’une trilogie d’album entamée il y a plus de vingt ans par Philippe Courtois de l’Argilière et Jean-Jacques Moréac, respectivement chanteur et bassiste de Misanthrope, Spleen Angel d’Argile est enfin disponible. Alors que Misanthrope est resté particulièrement actif ces dernières années, les fans des deux entités n’avaient que peu de nouvelle d’Argile (les membres actuels de Misanthrope ayant depuis tous rejoint cette autre formation), le projet ayant seulement été porté sur les planches à deux reprises en 2015. Pourtant, à l’écoute de cette nouvelle galette, d’une richesse bluffante, on peut dire que les quatorze années de silence discographique ont été salutaires. Spleen Angel est un petit bijou dans la discographie du quatuor, qui conclut avec brio la trilogie d’Argile.
Alors que Misanthrope œuvre dans un style bien plus orienté vers le death metal, toujours avec cette touche d’avant-garde et un chant dans la langue de Molière qui donne toute son identité à la formation, Argile sait se distinguer de son grand frère. Le projet permet aux musiciens de ralentir le tempo et de faire un pont entre leur groupe principal et des formations telles que My Dying Bride, le Anathema des débuts ou encore Celtic Frost, le tout enrobé de textes déclamés en anglais.
« Mineral StyxMata », qui ouvre l’œuvre, annonce d’emblée la couleur : la lourdeur de la batterie de Gaël Féret est ralentie à l’extrême, et un clavier discret vient renforcer l’ambiance mélancolique et le sentiment de mal-être bien illustrée par le chant de Philippe Courtois. Mais avec 77 minutes au compteur, le quatuor ne s’arrête pas à un style en particulier. On trouve tour à tour des influences plus traditionnelles, lorgnant vers le death mélodique ou le thrash (« Maldoror », le riff de « Zephyr Penitent » à 4:40), de l’orchestral pur (le splendide « Spectrum Symphony » qui a bénéficié des arrangements symphoniques de Pierre le Pape, claviériste chez Seth ou Melted Space), la ballade enchanteresse (« Scorpion’s Bites ») et même de l’électro (avec le très suprenant « Macabrïeta » composé par Jean-Baptiste Boitel, ancien membre de...Misanthrope).
Qu’on ne s’y trompe pas, le doom des années 90 nourrit la musique d’Argile (le bien nommé « Blue Wine (Lips of Doom) » ou « Resurrection of the Flesh »), mais ce style n’est qu’une base pour le quatuor, qui erre au gré des envies vers d’autres horizons, en gardant le spleen (tiens donc?) inhérent au genre. Le quatuor se paye même le luxe de lorgner vers le prog sur le pont groovy de « Zephyr Penitent » (sur lequel les amoureux de la basse de Jean-Jacques Moréac seront comblés) ou celui de « Giant Titan Mysteries » (à 1:28).
Pourtant, malgré ces influences diverses et variées, les musiciens parviennent à sonner de façon cohérente, avec une identité unique qui transparait dans chaque ligne mélodique ou chaque riff. Comme dans leur groupe principal en quelque sorte. Mais Argile n’est pas Misanthrope et l’inverse est vrai. Là où le second a bâti sa réputation avec le chant en français, les textes en anglais apportent beaucoup à l’oeuvre d’Argile. L’accent de Philippe Courtois apparaît bien mieux maîtrisé que sur les deux premiers volumes, et son chant oscille entre voix plaintive et growl profond, comme au sein de Misanthrope. L’oeuvre atteint son climax sur « From Golgotha to Pandaemonium », épique conclusion de plus de huit minutes qui synthétise l’ensemble de l’album.
Malgré sa longueur et sa complexité, Spleen Angel s’écoute d’une traite et la richesse des arrangements, des lignes mélodiques et la poésie qui s’en dégage ne suscitent l’ennui à aucun moment, pour peu que l’auditeur accepte une œuvre d’une exigence rare. L’entité bicéphale parvient à ne pas marcher sur les plates-bandes de l’autre projet, et plus satisfaisant encore, à surpasser ses précédentes réalisations. Spleen Angel est à Argile ce que Alpha X Omega est à Misanthrope, à savoir l’accomplissement de la quête mélodique achevée. Un must-have !
Tracklist :
Mineral StyxMata
Resurrection of the Flesh
Blue Wine (Lips of Doom)
Momentum of Regret
Zephyr Penitent
Scorpion’s Bites
Giant Titan Mysteries
Macabrïeta
Maldoror
Rex Imperator Funeral
Spectrum Symphony
From Golgotha to Pandaemonium
Disponible le 26 avril 2024 chez Holy Records
Photographie promotionnelle : DR / © Rachel Daucé
Avec l’aimable autorisation du groupe