Après un EP sorti l’an dernier pour faire patienter ses fans, Blood Incantation vient enfin de révéler son très attendu troisième album. Et vu l’excellent accueil qui lui a été réservé (imaginez, même Philippe Manœuvre, expert sans équivalent en matière de death metal en a parlé, en bien !), on peut dire que les espérances des fans ont été comblées. Pourtant, côté prises de risque, les Denverites n’y sont pas allé de main morte : ce troisième album offre plus que jamais une vraie fusion de styles entre death metal 90’s et rock progressif 70’s, à travers seulement… deux titres de vingt minutes.
« The Stargate » et « The Message » sont toutefois divisées chacun en trois chapitres (Tablet I, II et III) pour faciliter l’assimilation de l’œuvre, ce qui en soi est une bonne idée étant donné la richesse de l’album. N’en déplaise à ceux qui pensaient que Blood Incantation allait totalement laisser tomber le death metal, c’est à travers un passage dissonant suivi d’un riff direct (à 0:28) que s’ouvre « The Stargate ». Mais ce dernier est rapidement interrompu par un passage ambiant (à 2mn) et son solo de clavier puis de guitare floydien (« The Stargate Tablet I » entre 4min00 et 5min30), l’un des temps forts de ce disque qu’avouons-le, nous n’attendions pas si tôt.
Le second temps fort du disque correspond quant à lui à ce passage planant où l’influence Eloy est flagrante sur « The Message : Tablet II ». En effet, tout dans le chant de Paul Riedl évoque ici le timbre de voix de Frank Bornemann, leader du groupe allemand, et son album Ocean, classique du prog d’outre-Rhin sorti en 1977. Et puisque l’on parle du pays de Goethe, comment ne pas évoquer la présence de Thorsten Quaeschning (membre actuel de Tangerine Dream, pionnier de la musique électronique berlinoise) sur « The Stargate Tablet II » ? Le musicien vient apporter sa science du mellotron, instrument ô combien affilié au rock prog et qui a fait les grandes heures des albums de King Crimson et Genesis. Le résultat est ici beaucoup plus abouti que sur l’EP Timewave Zero qui voyait Blood Incantation expérimenter à l’aides de claviers analogiques sur deux pistes totalement ambiantes.
Au-delà de ces parties essentiellement dédiées au prog, les passages death metal ne sont pas en reste et on retrouve sur les deux titres un riffing à la fois bestial et à la production typiquement old school, pour un rendez à mi-chemin entre le Opeth de Morningrise et le Morbid Angel de Covenant (« The Stargate Tablet III », le début de « The Message Tablet III » qui accélère largement le tempo). Alors certes, au premier abord, certaines transitions peuvent paraître abruptes, mais au fil des écoutes, l’ensemble devient d’une fluidité exemplaire. Il est d’ailleurs amusant de constater que le premier titre, « The Stargate », a été principalement composé par Isaac Faulk (batterie) tandis que la structure de « The Message » provient de Paul Riedl (guitare, chant) et Morris Kolontyrsky (guitare, claviers) puisque les deux compositions sont totalement cohérentes l’une avec l’autre. De quoi montrer une vraie synergie entre les musiciens, dont l’imaginaire est stimulé par le même univers, sur fond de l’âge d’or de la science-fiction.
Plus que jamais auparavant, Blood Incantation offre une vraie synthèse entre deux galaxies qui n’étaient pas forcément faites pour se rencontrer. Certes, les amateurs de prog 70s n’apprécieront probablement que peu la facette death metal du groupe, et inversement : pour certains, les passages ambiants ne seront pas à leur goût, préférant sans doute les growls caverneux et les blasts frénétiques. Mais pour les amateurs des deux styles musicaux, ce Absolute Elsewhere est amené à rapidement faire office de référence, à travers une vision créative et une prise de risque trop peu rencontrée ces derniers temps. Nul doute qu’il sera largement plébiscité lors des référendums de l’année 2024, trustant les plus hautes marches des podiums. Un chef d’œuvre, tout simplement !
Tracklist :
The Stargate
The Message
Note : 9,5/10
Déjà disponible chez Century Media