Entretien avec Juan Garcia-Herreros, bassiste de Hans Zimmer

Après une journée de répétition bien chargée, Juan Garcia-Herreros, alias Snow Owl, a pris le temps de répondre à nos questions. Nous avons abordé son travail avec Hans Zimmer mais également la nouvelle tournée intitulée Hans Zimmer Live et sa relation avec le metal et le rock, notamment sa découverte de Metallica et Megadeth.

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La Grosse Radio : Bonjour Juan, merci de prendre un peu de temps pour répondre à nos questions surtout que tu viens de finir une grosse journée de répétitions pour la tournée Hans Zimmer Live (nldr : il est 21h30 lorsque l'interview commence). Comment ça s'est passé ?

Juan Garcia-Herreros : C'était vraiment génial. On a passé quelques jours à répéter pour le début de la tournée et aujourd'hui ça a vraiment été une longue journée. Tout se passe bien, on a de belles choses à proposer au public, quelques petites surprises pour les fans mais je ne peux rien dévoiler pour l'instant. En tout cas j'ai hâte de voir la réaction des gens.

 

Cela peut paraître un peu bizarre de parler d'un concert de musiques de films sur un site orienté rock ou metal, alors que dirais-tu à nos lecteurs pour les inciter à venir voir Hans Zimmer Live ?

Si vous avez vu des films comme Rush ou Dune, vous savez déjà qu'on utilise des instruments puissants avec des effets de distorsion. Le heavy metal par exemple est une musique assez épique donc c'est très facile de se retrouver dans la musique de Hans Zimmer.

 

Et puis il faut le dire, c'est sûrement le premier concert de musiques de films où on secoue la tête et où on a l'impression d'assister à un vrai concert de rock.

Notre plus gros défi au sein du groupe c'est d'être "meilleurs" que les films. Le public connait déjà les longs métrages et bien souvent on ne se focalise pas assez sur la musique car elle est en arrière plan. Donc il faut qu'on soit aussi puissant que les images.

 

En tant que bassiste venant du jazz, de la world music, du metal, as-tu dû t'adapter à cet univers plus symphonique ?

Durant ces dernières années, j'ai pu tester différents sons de basse au sein des projets The World of Hans Zimmer et Hans Zimmer LiveJ'ai eu le temps de bien comprendre ce qui marchait plus avec un violoncelle ou les synthétiseurs. En fait, il faut réussir à trouver sa place dans le spectre des fréquences qui t'entoure et être aussi flexible qu'un caméléon. On ne peut pas utiliser un seul son de basse, parfois il faut jouer de la contrebasse électrique par exemple.

 

Est-ce que tu as un morceau préféré à jouer sur scène ?

Honnêtement, j'aime tous les morceaux donc il n'y a pas un titre qui est gravé spécifiquement dans mon cœur. Et je parle aussi pour le reste du groupe : chaque musicien est tellement mis en valeur que cela rend chaque morceau unique.

 

Même pas balancer un gros son de basse au début du medley "James Bond" ?

Euh, je ne veux rien dévoiler de précis sur la setlist ...

 

... Non, non, je parlais bien sûr de la tournée précédente.

Hans m'a dit une chose géniale un jour : le thème de James Bond devrait être joué à la basse et non à la guitare. Et au final je suis très satisfait de ce qu'on a pu créer ensemble.

 

Lors de la tournée précédente, ce qui m'a marqué, c'est qu'on n'a pas l'impression de voir un orchestre jouer mais une somme d'individualités mises en avant : chaque musicien montre sa personnalité et vous avez l'air tous sympas. C'est une volonté de Hans Zimmer de vous pousser au devant de la scène ?

Absolument. Hans est un musicien qui ne triche pas et qui veut s'entourer des meilleurs musiciens. Une de ses plus grandes qualités est cette volonté de nous laisser montrer au public qui nous sommes. Mais c'est aussi un énorme défi pour nous.

Les deux projets The World of Hans Zimmer et Hans Zimmer Live sont assez différents : le premier se concentre plus sur le côté émotionnel des films et le deuxième est davantage un concert de rock. Est-ce que tu vois une différence dans la réaction du public entre ces deux tournées ?

Pas vraiment. En fait chaque concert est différent. Le travail de Hans Zimmer couvre tellement de domaines, d'années et ne connaît pas de frontières. Chaque personne a sa façon de réagir et d'apprécier son œuvre. Par contre, ce qui m'a marqué, c'est notre concert à Dubai : jamais on n'aurait pensé que le public connaîtrait aussi bien les films et les bandes originales.

 

Et au niveau de ton jeu, étant donné que tu as commencé par The World of Hans Zimmer, est-ce que ça a été plus simple pour toi de t'adapter à la tournée Hans Zimmer Live ?

En fait, j'ai toujours été un fan de Hans Zimmer, depuis que je suis tout petit. Je suis d'ailleurs l'un des plus jeunes du groupe à pouvoir dire que j'ai découvert sa musique assez tôt. Donc au final, j'ai grandi avec sa musique et le fait de connaître les films et les musiques m'ont aidé à transcrire les émotions et l'histoire en notes. Les œuvres de Hans Zimmer sont toutes basées sur la même chose : raconter une histoire, véhiculer une émotion. Par contre, ce qui m'a fait grandir, c'est d'apprendre la manière qu'a Hans de considérer la musique : il me surprendra toujours par son attention au moindre détail.

 

D'ailleurs quel est ton premier souvenir concernant la musique de Hans Zimmer ?

La première bande originale que j'ai entendue était celle de Rain Man. Mais sinon, je ne sais pas combien de fois j'ai regardé Le Roi Lion avec mon petit frère, à l'époque où on avait encore des cassettes vidéos. Et c'est magique de jouer la musique de ce film chaque soir, sur scène avec Hans Zimmer et Lebo M (ndlr : artiste sud-africain qui a collaboré pour la bande originale avec Hans Zimmer).

 

Passons maintenant à ton travail en studio avec lui, tu as notamment participé à la bande originale de Dune, qui a d'ailleurs été oscarisée.

Il faut bien s'imaginer qu'à l'époque, nous étions en plein confinement. La seul chose que nous, musiciens, pouvions faire, c'était de jouer de la musique chez nous. J'ai passé des centaines d'heures à faire des expérimentations avec mes instruments et le résultat est incroyable. On a littéralement mis notre âme dans cette musique, malgré tout ce qui se passait autour de nous. D'ailleurs ça ne m'étonne pas que l'album ait gagné un oscar.  Et puis Hans a été très généreux puisqu'il nous a donné du travail à tous. A cette époque, il travaillait sur plusieurs films : Top Gun : MaverickNo Time to DieBaby Boss et il nous a distribué le travail pour qu'on ait de quoi vivre. Et ça c'est l'une des plus belles choses qu'il ait pu nous donner.

 

Et je suppose que ta collaboration avec lui a changé ta vision de la basse.

Clairement : Hans me pousse toujours à aller plus loin dans ma pratique de mon instrument. On a par exemple exploré différentes approches de la basse électrique, mais on a aussi travaillé avec différents synthétiseurs.

 

Comment as-tu été amené à travailler avec lui ?

A Vienne, il y a un gala intitulé Hollywood in Vienna et chaque année, un compositeur est mis à l'honneur et on lui remet le prix Max SteinerLa directrice de l'événement est également la personne qui a mis en place la tournée The World of Hans ZimmerLe jour-J, Hans a assisté au spectacle et lorsqu'on nous a présentés à lui, il a dit "je veux travailler avec ce musicien, celui-là etc..."

Parlons maintenant de ta carrière solo. Avant le confinement, il était question de la sortie d'un deuxième album intitulé The Red Road qui faisait partie d'une trilogie. Tu as sorti deux singles qui étaient très "metal" mais depuis plus rien.

J'apprécie que tu mentionnes cet album. On a effectivement sorti deux singles et l'album est terminé mais j'ai décidé de dévoiler les titres petit à petit, au fil du temps quand je trouverais le bon moment. Cet album montre une partie importante de ma personnalité car j'ai un peu changé de style. Enfin pas vraiment car au final, j'ai commencé à jouer de la basse grâce au heavy metal. La première chose que j'ai apprise, ce sont les lignes de basse de l'album Master of Puppets de Metallica. Je jouais n'importe quelle mélodie de Cliff Burton. Et même si ensuite j'ai étudié la musique classique, le jazz et la world music, je n'ai jamais voulu lâcher ce côté heavy. Mais soyez patients, il y a encore pas mal de morceaux à dévoiler.

 

Et la troisième partie s'intitule The Yellow Road. Tu en es où pour cet album ?

Pour que cet album sorte, il faut que The Red Road soit disponible entièrement. Dans les croyances indigènes, le bleu représente la spiritualité (ndlr : son premier album solo s'appelle The Blue Road), le rouge évoque la part de guerrier qui est en nous et le jaune est l'équilibre entre nos deux côtés. Les instruments pour enregistrer l'album ont déjà été sélectionnés donc ce n'est qu'une question de temps. Je dois trouver le moment opportun pour dévoiler cet album.

 

On parlait de tes influences notamment Metallica, as-tu eu le temps d'écouter le dernier album 72 Seasons ?

J'ai juste écouté les singles qui sont sortis. Je trouve ça vraiment bien qu'ils reviennent un peu aux sources ...

 

Et d'ailleurs ça va te faire plaisir, on entend enfin la basse de Robert Trujillo ! Revenons donc aux origines, comment as-tu découvert le rock et le metal ?

C'était très simple pour moi car dans mon pays d'origine, la Colombie, ces styles de musique sont vénérés par la population. Donc à mon époque, c'était assez facile de partager de la musique grâce aux cassettes. Je crois me souvenir que ce sont des groupes comme Black Sabbath et Iron Maiden qui ont vraiment ouvert la porte à d'autres formations pour faire des tournées en Amérique du Sud. Mais en ce qui me concerne, le déclic, ça a été vraiment avec Metallica et Megadeth. Ce que fait David Ellefson a la basse, c'est tout simplement énorme ... et puis Cliff Burton aussi forcément. Je n'ai jamais trop aimé le punk et des groupes comme Misfits. Pour moi, une simple guitare électrique c'était déjà assez rebelle.

 

Quand on écoute tes deux singles, on sent également une influence plus progressive à la Dream Theater ou Queensrÿche. 

Je n'ai jamais entendu de chanson de Dream Theater mais il faudrait que j'en écoute. Par contre j'étais un gros fan de Queensrÿche ou plus récemment Tool. Mais juste pour revenir à The Red Road, j'aimerais rajouter que tout l'album a été composé sans guitare, juste avec ma basse. Certes, quelques invités viennent faire un solo par ci par là mais sinon ça a été un gros challenge de tout faire à la basse.

Assez parlé de tes influences "classiques", as-tu découvert récemment des groupes émergents qui t'ont impressionné ?

Malheureusement non, j'aimerais tellement avoir plus de temps d'écouter des nouveautés mais d'un côté, j'ai l'impression d'être complètement submergé par les nouveautés. Il faut dire que je suis extrêmement occupé, j'apprends à jouer de nouveaux instruments, je dirige la société Totem Warriors qui se spécialise dans la composition de bandes originales, notamment pour les jeux vidéos ... Ca me prend tellement de temps. Mais le dernier groupe qui m'a impressionné, c'est Mudvayne. Ce que fait Ryan Martinie à la basse, c'est du délire.

 

Tu viens de nous dire que tu apprenais d'autres instruments. Quel est le plus difficile à maîtriser pour toi ?

Quand on joue de la basse électrique, c'est comme si on faisait du vélo avec les petites roues : on a des frettes sur le manche donc c'est facile pour se repérer. Avec une contrebasse classique, c'est vraiment plus ardu. Le tanbur est un instrument compliqué également : c'est un instrument turc et il faut maîtriser l'art mythique des micro-intervalles. Si on combine ça avec un archet en plus, c'est vraiment difficile. Je joue aussi beaucoup de saz et d'oud (ndlr : d'autres instruments arabes). J'ai découvert que ces instruments étaient énormément utilisés dans les bandes originales donc je me suis dit que je devais m'y mettre. D'ailleurs il y a quelques années, j'ai passé pas mal de temps avec des musiciens turcs et je me suis toujours dit qu'il faudrait que je "termine ma formation".

 

Et enfin pour terminer, tu as pas mal tourné en France, quels sont tes souvenirs de ce pays ?

La France est une planète à elle seule : que ce soit au niveau culturel, les mentalités, la langue. Il y a tellement de choses qui se passent en France. Prenons simplement la musique : Chopin, Ravel, tout est dit ! Si en plus on mixe ça avec la scène actuelle, notamment les influences africaines qui peuvent se mélanger comme avec Salif Keita, c'est hallucinant. J'aime beaucoup visiter ce pays. Mon endroit préféré reste "La Sainte Chapelle". A chaque fois que je vais à Paris, je me dois de la visiter. Autrement, le simple fait de marcher dans une ville française comme Marseille, Montpellier ou Nice, je ressens un certain privilège à ressentir l'atmosphère qui s'y dégage.

 

Un grand merci à Juan Garcia-Herreros pour sa disponibilité, ainsi qu'à Cathrin Weidner de Semmel Concerts.

Juan Garcia-Herreros est en tournée avec Hans Zimmer Live en France.

La tournée The World of Hans Zimmer passera également pas loin de chez vous en 2024. Toutes les dates de tournées ici

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