A un mois de la sortie de Holocene, le nouvel album de The Ocean, c’est un Loïc Rossetti tout sourire qui a choisi de répondre à nos questions depuis la Suisse où il réside. Ecologie, Intelligence Artificielle, changements de société…Le chanteur de The Ocean depuis 2009 a évoqué de nombreux sujet, tout en nous parlant du processus de composition de Holocene et des projets futurs de la formation allemande de post-metal. Un long entretien que nous vous proposons en deux parties. La première partie est à découvrir ci dessous :
Bonjour Loïc et merci de nous accorder ton temps pour parler de Holocene, le nouveau The Ocean. Avant d’aborder le sujet, je voudrais revenir avec toi sur les longs mois de tournée que vous venez de traverser. Lors de votre concert à Metz en février dernier, tu m’as confié être littéralement épuisé par la tournée européenne. As-tu pu te reposer et te remettre avant d’attaquer la promo du nouvel album ?
Ecoute, j’ai retrouvé ma zone de confort, je suis redescendu sur terre et me suis reconnecté à la matrice ! (rires) Donc tout va bien même si j’ai eu besoin de temps pour une fois. Il faut dire qu’on a fait presque 155 shows en une année, et ça a été particulièrement intense à partir du mois d’aout, puisqu’on a joué une quarantaine de dates avec LLNN et Playgrounded avant de jouer sur une petite poignée de dates avec Lost in Kiev et Shy, Low. Après cela, on a enchaîné une tournée avec Katatonia aux US puis on est parti en Amérique du Sud… Et on a pris seulement dix jours de repos avant de jouer en première partie de Karnivool. Donc oui, c’était intense et ça a été dur pour moi…
Justement pendant cette tournée, tu mentionnes le fait que vous ayez tourné en première partie et en tête d’affiche. Appréhendes-tu les deux exercices de façon différente ?
Pour être honnête, on alterne tête d’affiche et première partie surtout pour des moyens financiers. Parce que louer un tour bus sans l’utiliser pour une date, c’est comme si tu jetais 1500 euros comme ça ! (rires) Au moins, le fait de booker un show entre deux dates planifiées, ça nous permet au moins de ne pas perdre d’argent là-dessus. Après, il y a une belle différence entre jouer en première partie et en tête d’affiche. On sait que les salles sont bien plus pleines quand on ouvre pour quelqu’un. Pour Karnivool par exemple, tous les shows étaient sold out dans des grosses salles, donc c’est cool. Après, même s’il y avait moins de monde quand nous étions tête d’affiche (environ 300 à 400 personnes c’est déjà bien !), nous avons tout de même toujours passé des super moments et avons toujours été très bien accueillis.
Est-ce que cela te met la pression de jouer devant un public qui ne s’est pas déplacé spécialement pour The Ocean quand tu joues en ouverture d’un groupe ?
Non, plus trop je dois dire. C’est plutôt un plaisir et une sacrée opportunité de faire découvrir ta musique à un public qui ne la connait pas. Il y a toujours un peu de pression, mais elle se fait ressentir surtout en début de tournée je dirais. Finalement, avec tous les shows qu’on a donnés cette année, il y a de moins en moins de pression, car on est habitués maintenant. Après, il y a toujours un peu de stress avant de monter sur scène, mais c’est normal. Puis c’est un bon stress je trouve, ça te pousse vers l’avant. La dernière fois où on a joué au Hellfest, j’ai ressenti un peu plus la pression, la mauvaise, tu sais le trac qui te bouffe et qui t’empêche presque de t’envoler je dirais ! (rires).
Il y a tout de même une partie des concerts que tu n’as pas donné sur la tournée Phanerozoic II puisque lors des dates américaines en mars 2022 tu t’es littéralement cassé les deux jambes en concert, vu que tu aimes sauter dans le public. Tu as dû rentrer te faire opérer pendant que le groupe a poursuivi en instrumental. J’imagine que l’expression « break a leg » avant un concert prend un tout autre sens pour toi ?
(rires) ça c’est pas vraiment passé sur scène en fait. Ça s’est passé après le concert pendant le démontage. Ça ne m’a pas empêché de continuer à sauter dans le public par la suite car ce n’est pas suite à cela que l’accident est arrivé. Honnêtement, je saute souvent dans le public, et je ne me suis jamais senti en insécurité. Car si cela devait arriver, je ne le ferais tout simplement pas. Et puis les gens sont toujours très contents de participer à cela et ils te rattrapent toujours ! Mais ça a été dur pour moi. Ça a dû arriver vers minuit après le concert : je tombe, je n’arrive plus à me relever et effectivement, j’ai les deux jambes cassées. Comme il était tard, on m’a mis dans le bus et ce n’est que le lendemain matin qu’on m’a déposé à l’hôpital pour me plâtrer.
Heureusement quelque part que la dimension instrumentale est importante dans The Ocean et que cela a permis aux autres de continuer la tournée. Mais j’imagine que pour toi, ça a dû être un sacré coup dur…
Effectivement, car c’était notre première tournée depuis la pandémie, qui plus est aux Etats-Unis. En plus, c’était en première partie de Leprous, qui sont des bons potes et avec qui on a souvent tourné. Oui, ça a été très dur mais il faut être pragmatique dans ces situations. Il faut toujours rester positif, être fort mentalement, aller de l’avant. Maintenant ça va beaucoup mieux ! Je pense qu’on est obligé dans ces situations-là d’avoir cet état d’esprit, car si tu broies du noir, ça ne t’aide pas à aller de l’avant.
Revenons à Holocene. Les deux albums précédents ont été acclamés par la critique et les fans. Cela vous a-t-il mis la pression ?
Non, honnêtement pas du tout…
Pourquoi ? C’est parce que vous saviez que vous alliez vous orienter vers quelque chose un peu différent, plus ambiant ?
Au final, les choses se sont mises en place progressivement. Tout a commencé pendant la pandémie. On avait initialement prévu de sortir Phanerozoic II en avril, puis cela a été repoussé à cause du confinement. On l’a finalement sorti en septembre, car on ne voulait pas non plus attendre trop avant de dévoiler les morceaux. Mais en parallèle on a eu de nombreuses tournées qui ont été annulées et repoussées non stop. Pendant ce temps là, on commençait à tourner en rond. Peter [Voightmman, claviériste du groupe NDLR] avait déjà commencé à composer des choses avec une approche très électronique. Il a fait écouter certains morceaux à Robin [Staps, guitariste et membre fondateur de The Ocean NDLR], qui a trouvé ça incroyable et qui a essayé de « Oceaniser » un peu ces titres, de les transformer. Tu as écouté le disque ?
Le nouvel album oui, mais pas les démos initialement composées par Peter et qui vont accompagner Holocene. Mais effectivement, même si c’est très électro, on reconnait la patte The Ocean.
Oui, malgré la base électronique et la forte empreinte de Peter. Mais au final ça sonne comme du The Ocean, un peu plus calme. Il y a moins de cris d’ailleurs… Quoiqu’à la fin de l’album je crie quand même pas mal… (rires) Je pense qu’on est parti dans cette direction car ça nous semblait naturel…
Peut-être car vous aviez abordé cet aspect-là sur des morceaux comme « Oligocene » ou « Holocene » sur l’album précédent…
Oui, c’est la continuité. Ça ne veut pas dire qu’on se relancera dans cette direction pour le prochain album et qu’il sonnera de cette façon-là. On ne sait pas trop. On avait surtout cette belle opportunité avec de super morceaux de Peter. Il fallait qu’on en fasse quelque chose.
Est-ce que la stabilité du line-up depuis quelques années vous a aussi permis de proposer quelque chose de nouveau et de très homogène, avec une formation plus soudée et plus forte ?
Peut-être. Je ne sais pas si nous sommes plus soudés ou plus forts, mais en tout cas, nous sommes une formation plus éclectique où chacun a des influences différentes. Peter apporte cet horizon electro en tant que producteur et ingé-sons. Dans son studio dans le sud de l’Allemagne, il a tous ces synthétiseurs qui datent des années septante [sic] ou quatre-vingts qu’il adore bidouiller. Il est toujours à la recherche de ces gros sons analogiques très chaleureux, qui d’ailleurs reviennent un peu sur le devant de la scène car ce sont des sonorités incroyables.
C’est vrai qu’avec la synthwave, tu retrouves un peu ces sons dans des grosses productions actuelles. Mais pour le coup The Ocean ne fait pas non plus un retour en arrière vers une musique 80s contrairement à ce que d’autres groupes de prog ont pu faire récemment, comme Riverside ou Haken.
Oui, chez nous c’est assez naturel, on n’a rien forcé. Du fait de la pandémie, on a eu aussi beaucoup plus de temps pour travailler dessus sans deadline même si c’était chacun de notre côté car on habite chacun dans des coins différents. De mon côté, je réside en Suisse, Mattias en Suède, Peter a son studio dans le sud de l’Allemagne et les autres sont à Berlin. Mais on eu plus de temps.
A propos de l’évolution du groupe, le style de The Ocean n’a cessé d’évoluer puisqu’avant ton arrivée, il a été qualifié de post-hardcore, puis après ton intégration, vous avez oscillé entre post-metal, metal prog et aujourd’hui presque post-rock et trip hop. Qu’est-ce qui fait l’essence du groupe selon toi ?
Je ne peux pas vraiment y répondre… L’essence de The Ocean va forcément évoluer dans le temps et au fil des années. Si tu écoutes le premier album, il était entièrement instrumental presque post-rock, puis c’est devenu de plus en plus heavy. Quand j’ai rejoint le groupe, avant la sortie d’Heliocentric, Robin m’avait envoyé des morceaux mais pour moi, ils ne nécessitaient pas forcément de cris, pour moi il n'y avait pas trop de sens. Alors oui, les fans des débuts n’ont pas forcément aimé que je chante, mais cela nous a amené aussi de nouveaux fans. Donc l’identité de The Ocean évolue tout en restant fidèle à la vision de Robin.
L’album est relativement calme alors que l’Holocène correspond finalement à une période de grands changements environnementaux où après l’Atlantique l’Homme va progressivement se sédentariser puis bouleverser son environnement, notamment à partir du Subatlantique. Comment vous faites le lien musicalement entre la période que représente le titre d’une chanson et ce que vous exprimez à travers elle ?
Concernant les textes, ils viennent de Robin. C’est de lui que naissent les idées et les concepts. Donc j’avoue que je ne peux pas vraiment te répondre (rires).
Alors pour rester sur les textes, dans le morceaux « Preboreal » que vous avez dévoilé, tu abordes la question du manque d’esprit critique dans la société actuelle, souvent en proie aux fake news («we embrace the rash degradation of knowledge and critical thought we are no longer critical » ). C’est une thématique assez récurrente chez vous, qui trouve écho dans Heliocentric / Anthropocentric qui abordaient l’opposition entre science et religion…
Oui, ce qui me plait, c’est que ce sont des sujets d’actualité qui me parlent. C’est comme la question des différentes périodes de réchauffements climatiques qu’on a déjà abordée dans les albums précédents. Dans Holocene, certains morceaux évoquent effectivement les théories du complot qui ont grossi durant la pandémie, aidées notamment par internet. Dans "Parabiosis", on évoque aussi la recherche de la jeunesse éternelle. On est en plein dedans, notamment avec Brian Johnson [Rien à voir avec le chanteur d’AC/DC NDLR], un mec aux Etats-Unis qui a 45 ans et qui a investi des millions pour garder le corps de quelqu’un qui a vingt ans ! Il nous aurait juste manqué un morceau abordant la question de l’intelligence artificielle, surtout lorsque l’on voit qu’avec ChatGPT, ça n’a jamais semblé aussi actuel. On voit que depuis deux à trois mois, il y a vraiment une dynamique qui change vers l’IA. Et pourtant je suis un grand amateur de nouvelles technologies, mais j’avoue que je ne sais pas trop où l’on va aller… (rires)
C’est vrai que The Ocean, c’est une façon pour vous d’aborder des questions philosophiques, ou des thématiques liées à l’écologie qui vous est chère et qui vous suit au quotidien puisque je sais que Robin fait attention à ce que certains produits restent éco-conçus.
Oui, après c’est important de voir que notre public change aussi et devient plus attentif à cela. A notre échelle, on voit aussi ces changements de mentalité puisque dans les salles de concert on constate aussi les efforts réalisés par chacun pour limiter le plastique. Et c’est important car on est tout à fait conscient qu’un groupe en tournée ça n’est pas très bon pour l’environnement et le climat ! Mais ces petites initiatives sont essentielles et il y a une dynamique qui s’opère. Mais c’est vrai que récemment on m’a fait la remarque : « vous êtes écolos mais vous prenez l’avion pour faire le tour du monde pour donner des concerts ». C’est vrai, c’est mon boulot, c’est compliqué. On est conscient aussi qu’on ne pourrait pas se contenter de ne tourner qu’au sein d’un seul pays car on n’est pas un groupe populaire français ou allemand qui peut ne faire que cela. On reste un groupe international…
Ce genre de remarque que tu cites a justement été faite à Gojira comme si le fait d’afficher clairement ses convictions écolos vous expose d’autant plus à ces critiques souvent de mauvaise foi…
Oui j’imagine que ça joue. Je vais prendre l’exemple de Yann Arthur-Bertrand. Il a fait de superbes photographies de la Terre en hélicoptère et a été l’un des premiers à alerter sur les changements environnementaux qu’il constatait à travers des supers reportages. J’adore regarder ses images, je possède beaucoup de ses livres et j’ai vu ses vidéos quand j’étais gamin. Mais c’est effectivement compliqué de voir quelqu’un qui te fait la morale en quelque sorte et qui va griller du carburant pour son travail. Donc oui, je peux comprendre les critiques, car quelque part, c’est le serpent qui se mord la queue. Mais c’est difficile de tout arrêter. Il faut juste trouver des solutions.
Pendant la pandémie, vous avez quand même fait des concerts à distance, puisque vous avez participé au Roadburn Redux, une version streaming video du festival.
Oui. On a d'ailleurs bien vécu cette expérience car en raison de la pandémie, cela faisait longtemps que nous ne faisions plus rien. C'était donc les deux seuls concerts que l'on a pu faire en 2021. La session que nous avons faite à Brême pour l'interprétation de Phanerozoic I a été un peu plus spéciale car nous jouions dans une grande salle vide, devant des caméramen. C'était un peu space et difficile pour nous de ce mettre dedans, d'autant plus que nous n'avions plus joué depuis longtemps. Il fallait retrouver nos automatismes. Concernant la deuxième session, celle de Phanerozoic II qui a été diffusé pendant le Roadburn, c'était assez cool car nous l'avons tourné chez Peter. On avait un beau plateau, c'était comme un clip. Nous étions disposés en rond, c'était très agréable. Après, pour être honnête, c'était une belle expérience à faire deux fois, mais je ne le referai pas dix fois non plus ! (rires) Il y a quelque chose qui manque dans cette configuration.
Retrouvez la deuxième partie de notre entretien ici !