A un mois de la sortie de Holocene, le nouvel album de The Ocean, c’est un Loïc Rossetti tout sourire qui a choisi de répondre à nos questions depuis la Suisse où il réside. Ecologie, Intelligence Artificielle, changements de société…Le chanteur de The Ocean depuis 2009 a évoqué de nombreux sujet, tout en nous parlant du processus de composition de Holocene et des projets futurs de la formation allemande de post-metal. Un long entretien que nous vous proposons en deux parties (partie 1 ici). La seconde partie est à découvrir ci dessous :
Tu es le membre de The Ocean le plus ancien à jouer auprès de Robin. Depuis quelques années, on a l’impression que le line-up s’est vraiment stabilisé et aboutit à une formation soudée, qui vous permet de produire des albums encore plus cohérents, avec une belle alchimie entre vous. Qu’en penses-tu de l’intérieur ? Comment vois-tu les relations évoluer au sein du groupe ?
Les changements ont parfois été compliqués à gérer. Quand je suis arrivé, on était plusieurs à être Suisses [notamment Luc Hess à la batterie et Jonathan Nido à la guitare NDLR], c'était ma meilleure team ! (rires) On avait une vraie camaraderie et ça a été dur quand ils ont décidé de partir car je venais tout juste d'arriver. Lorsque les nouveaux membres sont arrivés, j'ai tout de suite bien accroché avec Damian [Murdoch, guitariste du groupe entre 2013 et 2016 NDLR], un Australien, qui est devenu un super pote. Après, les musiciens qui ont rejoint le groupe étaient plutôt Allemands donc au début, c'était pas facile. Je ne dirai pas qu'on a eu des problèmes de communication, mais quand il faut apprendre à communiquer avec des gens qui ne parlent pas ta langue, ça prend toujours un peu de temps pour créer un lien. Mais aujourd’hui, on est des super potes, c'est le principal.
Et là dessus, David Ramis Åhfeldt qui est suédois est venu vous rejoindre, ça rajoute une nationalité !
Oui, et le pire c'est qu'il est plus précisément ibérico-suédois ! Son père est espagnol et sa mère est suédoise ! Donc oui, ça rajoute une autre identité. Mais ça ne change pas non plus la couleur du groupe! Peut être que si on avait un membre du groupe sud-américain, ça changerait quelque chose, mais là, ce n'est pas le cas.
Pourtant aujourd'hui, même si le line-up semble fixé, vous continuez à utiliser le nom The Ocean Collective, notamment sur votre merch... ça a encore du sens pour vous ?
Je ne sais pas... Je pense que c'est un peu une question de journaliste ça ! (rires) L'avantage de rajouter le suffixe Collective, c'est que quand tu fais une recherche Google, tu tombes sur nous ! (rires) Quand tu googles The Ocean, c'est surtout des photos de la mer que tu trouves ! (rires). Plus sérieusement, je ne suis pas sûr que le Collectif est fini. C'est possible que d'ici quelques temps, on ait des membres qui nous rejoignent, que d'autres partent... C'est le principe de ce groupe, c'est que tout est possible. Paul [Seidel, batterie NDLR] a notamment un gros projet solo, qui s'appelle Fern. Peut-être qu'à un moment donné, il aura envie de consacrer plus de temps à ce projet. Ou même Peter, je sais qu'il n'a plus trop envie de tourner et qu'il aime bien travailler dans son studio dans la campagne. Et c'est vrai que pour la dernière tournée, on n'a pas arrêté d'être loin de chez nous, avec seulement quelques jours de pause entre les legs. Ce n'est pas toujours évident de partir, ni de revenir retrouver ta famille ou ta compagne, alors que tu es très fatigué. Je ne sais donc pas où en est l'aspect collectif, mais je pense que c'est bien de le garder. Puis mine de rien, il y a beaucoup de groupes avec le nom The Ocean dedans !
Tu parlais de tournée. Avec cet album un peu plus calme que les précédents, comment envisagez-vous d'équilibrer les setlists ?
Honnêtement, on ne s'est pas encore trop posé la question. Il est certain que quand nous reprendrons la route, nous jouerons beaucoup de titres du nouvel album. Surtout que maintenant que nous avons Peter aux claviers, ça serait dommage d'avoir enfin un claviériste dans le groupe et qu'il ne joue pas ! Donc, les vieux morceaux seront peut être mis de côté. On n'y a pas encore trop pensé, surtout car à l'heure où je te parle, nous n'avons pas de vraie tournée de bookée. On a quelques dates prévues en festival cet été. Mais en festival, on va faire un best of, en intégrant j'imagine un ou deux morceau de Holocene. Et peut être qu'à l'automne, on tournera en soutien à ce nouvel album. Ça va dépendre de plein de choses, de qui on aura en première partie...
Et puis j'imagine aussi, du feeling que vous avez par rapport à ces nouveaux titres en répétition ?
Oui, surtout qu'il faut savoir que nous n'avons encore jamais joué ces morceaux ensemble en répète. Il faut déjà qu'on les joue. C'est d'ailleurs pour cela qu'on n'en a pas interprétés lors de notre récente tournée, même après avoir annoncé la sortie de Holocene.
L’album sera une nouvelle fois disponible en version chantée et en version instrumentale. N’est-ce pas frustrant pour toi en tant que chanteur de savoir qu’une partie du public va écouter cet album sans ta voix ?
Oh non, pour le coup, je le vis assez bien ! (rires) Surtout que c'était comme ça pour tous les disques que j'ai fait, donc ça ne me dérange pas vraiment. Je pense que beaucoup de groupes devraient faire ça. Je ne parle pas de refaire tout un travail d'arrangement ou de réécriture sur la version instrumentale car cela rajoute beaucoup de boulot. Mais c'est plus pour proposer quelque chose d'original. Il y a des gens qui n'aiment pas forcément le chant crié mais qui apprécient le post rock ou le post-metal, donc si tu enlèves la voix, tu leur donnes accès à ta musique. Après, c'est vrai que c'est parfois délicat car si tu fais ça, ça peut enlever une identité. Et j'imagine qu'il y a des chanteurs qui ne veulent pas de ça pour une question d'égo... (rires) mais moi, ça me dérange pas, je m'en fous ! Puis tu vois s'il y a un problème en live, tu as toujours la solution de jouer tes morceaux en version instrumentale, comme quand je me suis cassé les jambes. Mais c'est vrai que ça change complètement d'une version à l'autre et que l'ambiance n'est plus du tout la même !
D'ailleurs, en ce qui te concerne, est-ce que tu réécoutes les albums de The Ocean et si oui, le fais-tu en version chantée ou en version instrumentale ?
Je les écoute surtout en version instrumentale, mais c'est pour les travailler (rires). Car autrement, je crois que je les ai assez écoutés quand on est en studio. C'est notamment le cas pour Holocene, on a fait un nombre d'écoute assez important pendant la phase de mixage, on a écouté les différentes versions du mix en cours, j'étais un peu perdu pendant ce processus...
A propos de processus, c'était une façon nouvelle pour vous procéder sur ce nouvel album, en confiant le squelette des morceaux à Peter et en faisant en sorte que Robin rajoute de la guitare par dessus.
Oui, clairement, on n'avait jamais fonctionné de cette façon. D'habitude c'est plutôt Robin qui amenait la base des morceaux en partant de zéro. Au final, ça ne change pas grand chose, car la piste électro / ambiante amenée par Peter n'est pas trop dense et ne comporte pas trop d'information. Donc c'est plutôt « facile » (même si ce n'est jamais vraiment facile) de trouver des riffs à jouer par dessus. Car il y a beaucoup de place pour partir dans n'importe quelle direction.
Et pour poser ta voix, en quoi cela diffère d'avoir des gros riffs et des rythmiques complexes ou au contraire des pistes très épurées, électro ?
Je ne dirai pas que l'un est plus simple que l'autre. C'est plus une question de feeling. Une fois que je reçois le morceau, je passe mon temps à l'écouter, le réécouter, chez moi, dans ma voiture, au casque, au boulot... Et si quelque chose vient, une mélodie, un air, je l'enregistre et on commence à travailler dessus avec Robin pour inclure les paroles. Ce n'est d'ailleurs pas toujours facile de mettre des mots sur des mélodies.
Pour les lignes mélodiques, Robin te laisse toujours carte blanche ?
Oui, il m'a toujours laissé carte blanche depuis le début, dès que je suis arrivé. Sauf peut être pour Heliocentric, sur lequel il avait déjà tout fait. Mais pour Anthropocentric, Pelagic et les suivants, j'ai vraiment fait ce que je voulais. Mais je pense que c'est important de fonctionner comme cela, d'avoir carte blanche et si cela ne fonctionne pas, de travailler en commun pour trouver une direction vers laquelle aller. C'est parfois compliqué d'ailleurs de savoir qui va prendre la décision quand on n'arrive pas à avancer. En général, c'est une tâche qui revient à Robin.
Pour ce nouvel album, vous avez fait appel à Karin Park, une chanteuse norvégienne qui intervient sur « Unconformities ». Robin a avoué être fan après avoir sorti trois de ses albums et assisté à des prestations live au Roadburn. Connaissais-tu son travail ? Et comment s’est déroulée cette collaboration ?
Oui, je la connaissais car nous avions tourné ensemble en 2019 avec Herod et Årabrot, son groupe. C'est une artiste incroyable, elle a une voix spectaculaire. On a effectivement travaillé à distance. Et c'est amusant car ce morceau, « Unconformities », était le seul que je n'aimais pas trop. On a essayé de travailler dessus avec Robin pour trouver des mélodies pour le couplet, mais je n'étais pas convaincu. On a donc décidé de l'envoyer à Karin, en se disant « on verra bien ce que ça donne ». On avait d'ailleurs déjà foncionné comme ça avec Jonas [Renkse de Katatonia qui intervenait sur les deux disques précédents NDLR]. Et quand on a reçu le résultat, c'était génial. Car on ne lui a pas donné du tout de direction, on lui a laissé carte blanche. C'est comme ça que la magie opère. C'est un super morceau et sa ligne de voix est très belle. J'espère que nous aurons l'opportunité de faire ce morceau ensemble un jour en live. Je ne dis pas que ça se fera, mais j'aimerais bien !
Sachant que cet album est la suite de Phanerozoic I et II, vous n'avez pas non plus voulu refaire appel à Jonas. Vous ne vouliez pas vous répéter ?
Oui, la question ne s'est même pas posée. Nous avions vraiment envie d'une voix féminine, c'était vraiment l'idée.
J'imagine qu'en live, tu interpréteras les parties de chant de Karin, comme tu le fais sur les morceaux où Jonas est intervenu en studio ?
Oui, j'imagine (rires). J'y ai pas trop pensé. Je pense que si c'est le cas, faudra que je le travaille en prenant sa ligne de chant un peu plus bas (rires).
Le nouvel album de The Ocean, comme les précédents, sort chez Pelagic Records, le label créé par Robin. Cela vous permet notamment de proposer de superbes éditions, des boxset vinyles et des visuels surprenants. Cette situation vous laisse une liberté artistique qu’on imagine particulièrement confortable pour vous…
Je vais être honnête mais si par liberté artistique tu entends la façon dont on doit sonner, il faut savoir que même lorsque nous étions chez Metal Blade, personne ne nous a dit ce qu'on devait faire. Finalement, c'est le premier disque qui sort uniquement sur le label créé par Robin, donc je ne sais pas exactement comment les choses vont se passer. Enfin, si, je sais que ça va bien se passer car c'est le label de Robin, et qu'il n'y a pas de raison que ça se passe mal. La différence pour nous, c'est surtout que Metal Blade est un mastodonte parmi les labels musicaux en terme de distribution et d'exposition. Leur page Youtube, c'est plus d'un million de personnes qui sont abonnées. Donc, c'est sûr que lorsqu'ils diffusent tes clips, cela va toucher un public plus large. Chez Pelagic, ce n'est pas les mêmes chiffres mais c'est un label qui ne fait que grandir depuis des années et qui a clairement sa place.
Et ça vous permet notamment de tourner avec des artistes du label...
Oui, c'est le gros avantage, car on tourne avec des artistes que l'on apprécie. C'est le cas notamment pour les concerts qu'on a donnés avec Herod, Psychonaut et d'autres. C'est bien pour tout le monde!
A propos d'exposition, vous avez diffusé le clip de « Parabiosis », dans lequel vous tournez tous. On sent que vous vous êtes bien amusés à le faire !
Oui, et on l'a fait pendant notre tournée nord-américaine, pendant nos deux seuls jours de congés ! (rires) La partie du clip tournée dans la neige, c'était à Montréal et le reste à Los Angeles. C'était éreintant mais la session était géniale. Pour un autre clip qui s'apprête à sortir pour « Subatlantic », on a tourné une partie à Puerto Rico. C'était aussi une belle expérience. Mais ça demande beaucoup d'investissement car ça se passe pendant la tournée.
Les titres que vous choisissez de mettre en avant à travers des clips, ça inaugure un peu les morceaux que vous comptez jouer en live ?
Il n'y a pas tellement de règle. Effectivement, je pense qu'on jouera ces morceaux, mais on n'a aucune obligation. Je n'aime pas faire quelque chose que je n'ai pas envie !
Certes, mais j'imagine que si un morceau a été pas mal vu, c'est plus simple quand sur scène tu tends le micro au public pour qu'il chante les paroles !
(rires) C'est clair ! Et même si la personne ne connait pas les paroles, c'est pas grave ! Tu m'as vu le faire pendant la récente tournée sur « Jurassic / Cretaceous » c'est ça ? Je l'ai fait à ce moment là car j'ai remarqué que les gens chantaient ce passage et qu'ils connaissaient les paroles du refrain. Mais ça ne m'était jamais arrivé auparavant. Les morceaux que l'on écrit ne s'y prêtent pas forcément, contrairement à un groupe comme Karnivool par exemple. Quand on a joué à Paris avec eux, on a vu toute la salle chanter sur leurs compositions, c'est vachement impressionnant ! C'est vrai que pour « Jurassic », on joue un peu avec ça maintenant ; Et si quelqu'un foire le passage, c'est pas grave, c'est assez marrant quand même ! Surtout qu'on a les retours dans les oreilles et on entend parfois des spectateurs qui chantent bien plus fort et bien plus faux que moi ! (rires) Parfois ça pique un peu !
Récemment, le live que vous avez donné au Motocultor l'été dernier a été mis en ligne sur la plateforme de VOD The Pit. Comment cette collaboration est née ?
Ils nous ont tout simplement demandé l'autorisation de filmer le concert, mais personne ne savait si ça allait être utilisé ou pas. Robin est assez exigeant là-dessus, il aime voir la qualité du film, du son et notre prestation. Au final, on s'est rendu compte que ça rendait bien et notre ingé-son du concert a aussi mixé le son de la vidéo. Le résultat nous a plu et ça reste un bon outil promotionnel. Après, je te cache pas qu'un live Youtube diffusé en entier, c'est quand même assez casse-gueule des fois ! (rires)
Merci à toi pour le temps que tu nous as accordé. Nous te laissons le mot de la fin !
J'espère qu'on se verra sur la route prochainement car on a vraiment un bon public en France ! On va revenir à Paris c'est sûr ! On a fait des super dates aussi à Metz, Nantes, Lyon... Vous avez des super salles en France, vous êtes bien équipés et c'est toujours un plaisir de jouer chez vous !
Interview réalisée en vision en avril 2023
Merci à Clément Duboscq.
À noter que The Ocean vous donne rendez-vous ce soir à 20h sur la chaîne Youtube de Pelagic Records pour un streaming exclusif de l'album. Le groupe sera en ligne sur le chat pour répondre aux questions des fans !
Photographie promotionnelle The Ocean : © Jaqueline Vanek
Photographie live : Des Photos au Poil 2023
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