Soen : rencontre avec le chanteur Joel Ekelöf

Soen était de passage le dimanche 20 août à Carhaix au Motocultor Festival. Quelques heures avant la performance du combo suédois de metal progressif, nous avons pu rencontrer le vocaliste Joel Ekelöf, qui s’est confié sur ses inspirations, sa vision du monde, et la genèse du tout nouvel album, Memorial.

Bonjour Joel, merci de nous accorder cet entretien. Soen revient le 1er septembre avec Memorial, le sixième album, deux ans après le précédent opus studio Imperial, et un an après Atlantis, un album live enregistré avec un orchestre symphonique. Memorial s’annonce bien plus énergique, lourd et sombre que ses deux prédécesseurs, comme si une dose de colère et de frustration vous animaient. Est-ce le cas ?

Atlantis, c’est un peu à part pour nous. On rêvait de faire cette expérience symphonique depuis longtemps, et on a eu l’opportunité de le faire quand on s’est retrouvés confinés. Pour ce qui est de l’énergie de Memorial, je dirais que ça vient des longs mois de pandémie pendant lesquels on s’est rendu compte que la scène nous manquait réellement. C’est d’abord ça qui nous a inspirés pour faire un album puissant taillé pour le live. Mais c’est vrai, cet album est plus sombre que les précédents, parce qu’il reflète ce qui se passe aujourd’hui. Nous vivons dans une époque plus sombre : la Russie qui envahit l’Ukraine, la montée des populismes en Europe, le climat politique aux États-Unis, tout ça révèle l’instabilité du monde d’aujourd’hui. Les perspectives sont bien sombres.

 

Est-ce que tu ressens ça comme votre responsabilité en tant qu’artistes de pointer du doigt les problèmes du monde d’aujourd’hui et d’amener votre public à une certaine réflexion ?

Oui et non. Je pense qu’en tant qu’artiste, on n’est pas en position de proposer un quelconque discours politique. Nous sommes un groupe de rock, et c’est tout, nous n’avons aucune solution à proposer ni de leçon à donner. Cependant, beaucoup de gens écoutent notre musique, et c’est finalement assez logique pour nous de parler de choses qui sont importantes pour nous. Pour nous, ça serait vraiment étrange de parler de dragons et de trolls dans nos chansons. On préfère parler de choses qui nous tiennent à cœur, ou de notre propre expérience. Mais je ne vois pas cela comme une responsabilité, plutôt comme une occasion qui nous est donnée.

Le titre de l’album, Memorial, fait référence à la thématique de la guerre. Le morceau-titre évoque d’ailleurs les traumatismes vécus par les victimes de guerre, et les syndromes post-traumatiques vécus par les soldats. C’est ce que l’on peut voir sur l’énigmatique pochette de l’album, qui est vraiment différente des précédentes, où l’on trouvait d’avantage de symbolisme avec des animaux.

Oui, on voulait quelque chose de différent cette fois-ci, sans symbole, une illustration plus directe. Ce que l’on voit, c’est ce à quoi le monde pourrait ressembler dans un univers post-apocalyptique. Alors, bien sûr, c’est plutôt sombre comme image, mais il y a aussi un message sur la nécessité de prendre soin les uns des autres. Même dans un environnement sinistre, tant que l’on prend soin les uns des autres, on peut réussir à survivre. Mais d’un autre côté, une fois que l’album sera sorti, il ne sera plus entre nos mains, donc je pense que ce n’est pas vraiment à nous de dire aux gens ce qu’ils doivent voir sur la pochette, et laisser chacun imaginer ou interpréter ce qu’il voit à sa manière.

 

Certaines pochettes de disques sont devenues iconiques d’ailleurs. On y trouve souvent de quoi nourrir l’imagination, un peu comme dans la musique que l’on peut apprécier sans forcément comprendre les paroles ou le message.

Tout à fait. J’ai grandi dans le « monde d’avant », tu vois ? (Rires). À l’époque, on voyait un vinyle, sa pochette, et c’est à peu près tout. Impossible de faire une recherche Google sur le groupe, la musique ou sa discographie. Il fallait se faire une idée soi-même à partir d’un visuel, un nom de groupe et un artwork. Quand j’étais enfant, j’adorais observer les pochettes des disques de prog de mon père pendant des heures et m’inventer des tas d’histoires. Ça me manque un peu, d’ailleurs. Je pense que c’est pour ça qu’on garde le format plus classique pour nos albums, avec un nombre limité de titres, en format vinyle. Plusieurs personnes dans le milieu nous ont dit qu’on devrait faire comme des artistes plus modernes, c’est-à-dire sortir plus de morceaux, mais nous sommes attachés à ce format à l’ancienne qu’on affectionne.

Soen Motocultor 2023
Photo : Lil'Goth Live Picture

Si le morceau « Memorial » parle de la guerre, qu’en est-il des autres morceaux ? Y a-t-il d’autres thèmes dont vous avez voulu parler sur les autres pistes ?

Ce n’est pas vraiment un album à thème unique, il n’y a pas de concept à proprement parler, mais c’est vrai que le thème de la guerre y est assez présent. Après tout, le titre est Memorial, donc certains titres sont liés à l’idée de conflits en général. Mais il y a d’autres morceaux qui sont plus personnels, en rapport avec nos expériences.

 

La production est, une fois de plus, très soignée sur l’album. C’est un peu ce qui fait la marque de fabrique de Soen depuis ses débuts, avec cette identité mélodique et progressive qui vous fait osciller entre tradition et modernité. Est-ce que vous travaillez dur pour arriver à un tel résultat, ou est-ce que cela vous vient naturellement ?

Je dirais que nous nous situons à mi-chemin de ce que tu décris. Soen est avant tout un groupe qui travaille de façon traditionnelle, on enregistre les guitares et la batterie dans des conditions live, et on le fait à chaque fois. Ce qui n’est pas nécessairement synonyme d’un son rétro, attention. Beaucoup de super groupes le font, enregistrent sur du matériel des années 70 pour sonner un peu vintage, mais pour nous ça n’est pas le cas. On n’est pas vraiment un groupe nostalgique, tu vois. C’est pour ça que je dis qu’on est à mi-chemin : on veut rendre hommage au metal classique, mais on tient à avoir de la modernité dans notre son.

 

En studio, tout comme pour vos performances live, comme ce soir en festival, cela doit impliquer pas mal de travail pour garantir une qualité sonore à la hauteur de vos exigences ?

Disons-le, Soen n’est pas le groupe avec lequel il est le plus facile de travailler. (Rires) Nous essayons de laisser le moins de choses possibles au hasard. En studio, la conception d’un album prend beaucoup, beaucoup de temps. C’est beaucoup de travail, et nous sommes très méticuleux. Pour les concerts, nous faisons attention aussi à beaucoup de détails. Je pense que c’est avant tout une question de respect pour le public qui vient nous écouter. On se doit d’arriver bien préparés, en forme et sobres (le frontman ne plaisante pas, il sirote un coca zéro pendant l’interview, ndlr), et non pas juste monter sur scène et faire un truc. C’est quelque chose que je prends vraiment au sérieux, et c’est le cas de tout le monde dans le groupe.

Soen_band
Crédit photo : Jeremy Saffer

Vous avez un rythme soutenu de sorties, en moyenne tous les deux ans pour les derniers albums. Parle-nous de votre processus d’écriture : est-ce que vous réussissez à composer quand vous êtes en tournée, comme en ce moment par exemple, ou avez-vous besoin de vous poser pour chaque nouvel album ?

À une époque, on arrivait à composer quand on était en tournée, mais maintenant on ne le fait plus. Sur la route, ça n’est vraiment pas facile d’écrire, et on est vraiment très occupés quand on est en tournée. Et l’avantage, c’est que Martin (Lopez, ndlr) habite vraiment tout près de chez moi, donc on a pris des habitudes de travail. Généralement, il met sur le papier des idées qu’il a, vient chez moi, je pose le chant là-dessus, on fait des essais et des ajustements, et ça nous sert de base de travail pour élaborer des morceaux. Puis le reste du groupe vient et chacun amène sa contribution. C’est comme ça qu’on a l’habitude de fonctionner.

 

Dans quelques heures vous serez sur scène devant le public du Motocultor. Est-ce que vous abordez différemment un set de festival et une date en salle où vous êtes têtes d’affiche ?

Oui, c’est différent, car en festival il y a beaucoup de groupes qui se succèdent, on a beaucoup moins de temps pour se préparer. Il faut être plus rapide, c’est la différence. Ce n’est pas possible d’avoir le contrôle sur tout. Mais en réalité, on a vraiment envie de donner autant en festival qu’en salle, et que la qualité du set soit équivalente, même si ça n’est pas toujours facile en festival bien sûr, car on doit s’adapter aux conditions techniques sur place. Et c’est surtout notre équipe technique qui a un énorme travail, car pour un show en headline ils ont plusieurs heures pour tout préparer, alors qu’aujourd’hui par exemple ça doit être fait en beaucoup moins de temps.

Peut-on attendre des morceaux de Memorial sur le set d’aujourd’hui au Motocultor, ou faudra-t-il attendre votre passage en octobre en salle ? (Soen passera par Lyon, Paris et Strasbourg entre le 11 et le 18 octobre 2023, ndlr) Quels morceaux de cet album es-tu particulièrement impatient de jouer ?

Pour aujourd’hui, non, le set est assez court et nous jouons nos morceaux adaptés à l’occasion. Il y a aura des titres du nouvel album sur la tournée européenne, c'est certain, mais je ne veux pas trop en dévoiler, on préfère garder la surprise. Bien sûr, nous allons jouer les singles, et celui qui est tout en haut de ma liste, c’est "Unbreakable". En tout cas, nous avons vraiment hâte d’être de retour en salle en France à l’automne ! Rendez-vous sur ces trois dates !

Memorial, le nouvel album de Soen, sort le 1e septembre 2023 via Silver Lining.

Soen sera en concert le 11 octobre à Lyon (Ninkasi Kao), le 15 octobre à Paris (Élysée Montmartre) et le 18 octobre à Strasbourg (La Laiterie).



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