Quelques jours avant la sortie du premier album de TEMIC, nous avions rendez-vous avec le claviériste et fondateur du groupe, Diego Tejeida. Un premier album étant toujours quelque chose de particulier, nous sommes revenus sur la genèse du projet, mais également sur l'amour du musicien pour les synthétiseurs.
La Grosse radio : Bonjour Diego et merci de prendre du temps pour répondre à nos questions.
Diego Tejeida : Bonjour, ne serait-ce pas un poster de The Shattered Fortress derrière toi ?
Si tout à fait, il y a d'ailleurs d'autres éléments qui rappellent ta discographie comme une marionnette Ziltoïd de Devin Townsend et un synthétiseur Arturia. Nous évoquerons tous ces projets dans cet entretien. Mais puisque tu mentionnais la tournée The Shattered Fortress avec Mike Portnoy, j'ai cru comprendre que c'est lors de ces concerts que TEMIC a été conçu !
C'est vrai, c'était la première fois qu'Eric Gillette et moi-même tournions ensemble. La tournée a été très compliquée car c'était la première fois que je jouais une musique aussi complexe. Il fallait donc que je m'entraîne à fond et avec Eric, il fallait qu'on crée une alchimie car sur scène, la guitare et les claviers devaient se répondre. La mayonnaise a pris également en dehors de la scène. C'est quelque chose de très important car, le public ne voit que le show mais le reste du temps, on traîne avec tous les membres du groupe donc il faut absolument s'entendre, partager le même sens de l'humour. Avec Eric, ça a matché en tout point que ce soit au niveau musical ou personnel. J'adore ce qu'il fait, c'est un immense guitariste, claviériste et batteur. Et producteur également, donc on pouvait parler de millions de choses comme des compresseurs, des égalisateurs, de ce qu'on pouvait faire avec une guitare. Et c'est ainsi qu'a germé l'idée de travailler ensemble. D'ailleurs, pendant cette tournée, Simen Sandnes, notre batteur, faisait parti du staff. Je le connaissais d'avant car son groupe Archetype avait fait la première partie d'Haken. Mais on a appris à se connaître et c'est un de mes meilleurs amis. Lorsque la pandémie a frappé, j'ai appelé Eric et je lui ai dit qu'il fallait qu'on en parle. J'avais déjà commencé à écrire des trucs et Eric a tout de suite été emballé et on a démarré direct. Le chemin fut long puisque ça nous a pris trois ans et on a commencé tous les deux sans savoir qui complèterait le groupe. Puis Simen est arrivé et ensuite Fredrik au chant.
Comment est-ce que tu définirais TEMIC ? Un simple side-project, un super groupe éphémère ou ton groupe principal avec lequel tu envisages déjà un deuxième album ?
Non c'est clairement mon groupe principal, c'est mon foyer. Ca a tellement demandé de travail pendant trois ans entre la composition de la musique, les trucs administratifs qui consistent à trouver un label, un manager, un agent. D'ailleurs avant de faire cette interview, j'étais justement au téléphone avec mon manager pour parler de ce qu'on allait faire l'année prochaine. Donc TEMIC est mon objectif principal. On a d'ailleurs déjà commencé à écrire le deuxième album. On a toujours été clair sur le fait que TEMIC devait durer le plus longtemps possible. Lorsque j'ai appelé Eric, je lui ai demandé s'il était dispo malgré le fait qu'il joue avec le Neal Morse Band. Il m'a dit qu'il n'était pas tout le temps pris car cela dépend souvent de l'emploi du temps de Mike Portnoy et qu'il avait par conséquent du temps libre et qu'il adorerait s'investir dans ce groupe. C'était vraiment le sujet principal de notre conversation : que ce soit notre projet principal, notre groupe principal. Et tout le monde est vraiment excité et on a hâte de faire des concerts et de faire notre prochain album.
Comment avez-vous composé ce premier album ?
On l'a fait à distance pendant la pandémie. Avant qu'on soit confiné, j'avais déjà écrit quelques démos. Je joue de la guitare donc j'arrive à pondre des riffs ou alors j'arrive à retranscrire tout ça sur un synthé avec des sons de guitare. J'avais déjà les plans des différents morceaux, la direction que je voulais qu'ils prennent. J'envoyais tout ça à Eric et il faisait ses trucs, il changeait des parties, créait des arrangements, rajoutait des sons de claviers et il me les renvoyait. On faisait comme un ping pong jusqu'à ce que la chanson soit finie. Et c'était la même chose de son côté, il m'envoyait ses démos et je me débrouillais avec. On a travaillé comme ça sur deux trois morceaux puis Simen a rejoint l'aventure. On lui a envoyé les chansons en lui disant "fais ce que tu veux, s'il manque quelque chose, rajoute le". Et au bout du compte, c'est lui qui nous a parlé de Fredrik. Au moment d'écrire les paroles, Eric était occupé à composer pour une émission télé donc je passais mon temps à communiquer avec Fredrik. C'était vraiment mon rôle de répartir les tâches et de recevoir toutes les idées. Et même si les idées initiales venaient d'Eric et de moi-même, tout le monde a collaboré et mis de sa personnalité. D'ailleurs pour le prochain album, on a commencé par quelque chose de plus collaboratif. En fait pour le premier, on a dû s'adapter car la pandémie nous a forcés à faire cela à distance et c'était la meilleure façon de faire cet opus. Mais pour le prochain, cela sera clairement un effort de groupe.
Pour le deuxième album, vous allez le faire aussi à distance alors ?
On a commencé à le composer en juillet quand on s'est rencontré en Norvège pour tourner le clip de "Falling Away". On avait déjà des démos de prêtes avec Eric et on voulait improviser à partir de ces démos mais en fait, on ne les a pas utilisées et on est parti de vraies impros. On a écrit six ou sept chansons ensemble en moins d'une semaine, c'était très productif. C'était vraiment rassurant de jongler avec des mélodies qu'on trouvait sur l'instant. On se disait "comment va-t-on faire pour continuer" puis quelqu'un jouait un truc et on se disait "ouais bin ok, c'est cool". Depuis, on ne s'est pas replongé dans ces morceaux car on a été très occupés. Mais ce sont des démos solides qui constitueront le coeur de l'album. On rajoutera peut-être d'autres chansons enregistrées à distance mais en tout cas le deuxième album a été composé ensemble, dans la même pièce et on a pris énormément de plaisir.
Tu es un claviériste avec des sons très agressifs et qui vient d'un style de musique où les synthétiseurs se doivent de rivaliser avec les guitares saturées. Comment choisis-tu tes sons ?
C'est un long processus qui est quotidien en fait. J'adore faire du sound design, je le fais sur mon temps libre et en tant que free lancer, notamment pour Arturia [Société grenobloise qui fabrique des synthétiseurs physiques et des logiciels NDLR]. Je trouve ça génial d'être payé pour faire mon passe temps favori, c'est le rêve ! En tant normal, je crée moi-même mes sons sur mes machines. Tout ce que vous entendez sur le nouvel album, ce sont mes créations, pas des presets d'usine. Ca fait 20 ans que je fais du sound design donc depuis le temps, j'ai pu me constituer une grosse bibliothèque. L'avantage, c'est que pour créer mon propre preset, je passe une heure voire même plusieurs pour que ce soit parfait. Par exemple, pour le nouvel album, je voulais un nouveau son de lead qui reflète ma personnalité et j'ai testé différentes versions pour que ce soit le bon. En passant du temps dessus, on développe une certaine connection avec ses propres presets et je les "enregistre" dans ma tête. Ce qui fait que lorsque je travaille sur une production, je sais tout de suite quel son il me faut, même si j'ai crée un son il y a cinq ans. C'est la grosse différence avec les musiciens qui possèdent des tonnes de synthés sans vraiment les connaître et qui passent des heures à chercher LE son qui leur plait. Moi quand je suis en studio, je me demande toujours : "qu'est-ce qu'il manque ?" de façon musicale ou sonore. Dans TEMIC on est que cinq donc il n'y a pas des tonnes d'instruments ou deux guitares électriques mais par exemple quand la guitare et le chant ont un rôle plus rythmiques, mon job c'est de soutenir l'harmonie. Si la guitare est très basse et grasse, alors mon rôle sera de mettre en valeur les harmoniques pour que tout marche bien. J'ai toujours vu le métier de claviériste comme une sorte d'élastique qu'on devait modeler.
Vous avez annoncé votre première date au Midwinter Festival, je suppose qu'il y en aura d'autres ?
Oui, on en a déjà booké deux qui seront bientôt annoncées mais c'est certain, vous pourrez nous voir en 2024 et on a hâte !
En général, lorsqu'un groupe n'a sorti qu'un seul album, il a souvent peu de matériel pour remplir un set de plus d'une heure, avez-vous pensé à des reprises que vous pourriez faire ou des petites surprises ?
On en a discuté et il y a certaines choses qu'on aimerait faire. L'alchimie entre les musiciens est vraiment bonne. Simen est un super batteur et ce que j'aime chez lui ou chez Eric, c'est que si tu leur demandes de jouer un truc comme ça, instantanément, ils le feront. Certains musiciens sont plus frileux et vont dire "non je ne vais pas pouvoir jouer ça là maintenant, j'ai besoin de m'entraîner au métronome, donne moi quelques jours". Eric, ça ne lui pose aucun problème et on veut exploiter ce genre de compétences. Très souvent dans un concert de prog ou même dans n'importe quel style, la prestation est très précise, ce qui a des bons côtés mais aussi des mauvais côtés : les musiciens n'interagissent pas avec le public car ils doivent se concentrer sur leurs parties, suivre le click, il y a les écrans avec les films. Alors tout ça est impressionnant mais on est là quand même pour écouter de la musique ! Ca me fait penser à la tournée avec Devin Townsend : c'était ses premiers concerts sans PBO et je m'occupais de toutes les parties clavier, ce qui était un travail énorme. Mais c'était génial car parfois il me disait "ok joue ce truc ! " et je devais me débrouiller avec ce qui sortait de ma tête à ce moment là. Chaque soir on improvisait et parfois c'était bien mais d'autres fois c'était énorme. Donc on va essayer d'incorporer ce genre de choses : vous verrez de vrais musiciens jouer de vraies choses. Concernant les reprises, on en a discuté mais on n'est pas encore tombé d'accord.
Et vous avez une idée de qui jouera de la basse ?
On ne sait pas encore même si Jacob est notre premier choix. Il a vraiment été ravi d'être invité sur l'album mais on sait qu'il est vraiment très pris. Et puis on ne le connait pas si bien que ça. Je connais Simen depuis longtemps, avec Eric on a déjà bossé ensemble donc l'alchimie est bien plus forte. Mais c'est sûr qu'on adorerait avoir Jacob avec nous. Mais je vous garantie qu'il y aura un bassiste sur scène (rires).
Tu parlais de Devin tout à l'heure, je me suis rendu compte que tu ne bossais qu'avec des artistes qui ont les mêmes initiales que toi entre Devin Townsend, les membres de Dream Theater (rires)...
Oui c'est assez marrant : d'ailleurs je me rappelle la première fois que j'ai travailllé avec un ingénieur du son. C'était pour le premier album de Haken. Il parcourait mes presets et il y en avait un qui s'appelait "DT lead" et il s'est dit "ça y est encore un claviériste qui essaye d'imiter Dream Theater". Mais non ! C'était mes initiales et depuis j'ai arrêté de les utiliser car elles sont associées à d'autres personnes plus célèbres, je suis simplement "Diego".
Et à part les lives avec Devin, tu as travaillé aussi avec lui sur plusieurs albums dont Lightwork qui est à des kilomètres de ce que tu fais.
J'ai joué des synthétiseurs sur ce album et même si Devin rajoute toujours des trucs, j'ai dû enregistrer environ 90% des pistes claviers. J'ai également contribué à ses deux albums bizarres The Puzzle et Snuggles. Mais c'était très enrichissant de travailler avec lui, il a été un très bon prof. C'est une source d'inspiration car il est hyper créatif mais aussi très humble. J'ai rencontré beaucoup de gens qui avec une fausse modestie mais lui est très humain. Alors bien sûr personne n'est parfait mais il a les pieds sur terre et travailler avec lui n'a été que du positif.
Parlons maintenant du "séisme" qui a agité la planète prog, il y a quelques jours : le retour de Mike Portnoy dans le groupe Dream Theater.
Ca m'a fait un choc comme la plupart des gens même si on entendait des rumeurs. Mais bon, c'étaient les mêmes rumeurs qui circulaient depuis son départ en 2010. Lorsque j'ai entendu la nouvelle, je lui ai envoyé un message pour lui dire que j'avais été honoré de faire partie du chemin qu'il a parcouru sans Dream Theater et je lui souhaitais un bon retour à la maison. J'ai vraiment hâte d'entendre le prochain album. Je suis très honnête quand je dis ça car j'ai grandi avec Dream Theater surtout pendant mon adolescence même si après Octavarium j'ai un peu laissé tomber car j'écoutais beaucoup plus de jazz. Mais il est clair que l'album Awake a été mon disque préféré, celui que j'écoutais tous les jours dans la voiture pour aller au lycée. Ce groupe a joué un tel rôle dans ma carrière et c'est hallucinant de me dire que je suis pote avec eux !
Et d'ailleurs c'était comment de jouer sur scène avec lui lors de la tournée The Shattered Fortress ?
Je pense que c'est ce qui se rapproche le plus d'être drogué. Il y avait une telle énergie. C'était la première fois que je jouais avec lui. Théoriquement, quand tu es sur scène ou que tu répètes, tu es dans ton monde car tu dois faire ton job, faire ce que tu sais faire. Mais la première fois que je l'ai entendu dans mes retours, je me suis pris une dose d'énergie ! Il y a très peu de batteurs qui me font cet effet mais lui, quand il joue, on a envie d'improviser avec lui. Quand on l'entend sur un album, on sait que c'est lui. Parfois certains batteurs très techniques essayent de reproduire tel ou tel son, telle ou telle personne, et franchement je n'ai aucun problème avec ce genre de comportement. Mais parfois certains batteurs poussent le curseur trop loin et on oublie leur personnalité. Mike, lui, c'est impossible de l'imiter, la façon dont il frappe est tellement authentique, c'est sa façon de parler, sa façon de penser. On peut essayer de se rapprocher de la façon dont il frappe mais on ne pourra jamais être lui. Pour résumer, ces concerts représentent sûrement mes meilleurs souvenirs en matière de musique.
Dernier quiz express pour terminer : un quiz spécial geek des synthés. Quel est ton synthétiseur préféré ?
Le MatrixBrute d'Arturia. Je parlais tout à l'heure de la relation qu'on peut avoir avec des sons mais c'est la même chose avec ton matériel surtout quand tu l'utilises beaucoup. Beaucoup de gens ont plein de matos qu'ils n'utilisent pas ou qu'ils utilisent pour un seul preset. Quand tu travailles un certain temps avec un instrument en particulier, il s'intègre dans ton "workflow" et ils font partie de ton imagerie mentale. J'ai tellement bossé avec cette machine, j'ai fait tellement d'albums avec et puis ce synthé est vraiment puissant.
Ton logiciel préféré : Pigments d'Arturia (rires), ouais on dirait une pub pour cet éditeur.
Le synthé que tu rêverais d'avoir : un truc vintage comme un CS80 de chez Yamaha. Je suis un grand fan de Vangelis mais même si j'avais assez d'argent, j'y réfléchirais à deux fois car c'est un gros investissement ! [plus de 50 000 euros d'occasion NDLR]. Mais si on m'en donne un, je prends tout de suite. D'ailleurs si quelqu'un qui lit cette interview en a un, s'il pouvait me le garder, j'ai de la place pour l'installer (rires).
Ton oscillateur préféré : pulse wave
Ton filtre préféré : ouh la question difficile, un filtre ladder (comme sur les Moog)
Et enfin ton son préféré : Je ne pense pas en avoir un en particulier mais pour répondre à ta question, j'ai acquis une émulation d'un synthétiseur TB-303 : le TD3 de Behringer. Ce n'était pas mon délire à la base car c'est un synthétiseur très typé "acid house" [un son qu'on entend sur le morceau "Da Funk" des Daft Punk NDLR] et qui sonne un peu toujours de la même façon mais il y a plein de trucs à faire avec.
Un grand merci à Diego Tejeida pour sa disponibilité. L'album de TEMIC intitulé Terror Management Theory sortira le 17 novembre sur le label Season of Mist.
Images : DR Season of Mist