Entretien avec Infern (death metal)

La scène underground française regorge de talents, on ne cessera jamais de le dire. La sortie de Turn of the Tide, premier opus des Bretons d'Infern, est là pour le rappeler, à travers un death metal efficace et accrocheur. Nous avons profité de cette occasion pour tailler le bout de gras (et vu leur riffs, on peut dire qu'ils s'y connaissent en gras) avec Sylvain (basse), Julien (chant) et Loup (six-cordes).

Bonjour à vous et merci pour cet entretien pour La Grosse Radio. Avant de parler plus précisément de Turn of the Tide, votre premier album, pouvez-vous présenter rapidement votre projet ?

Sylvain : Salut et merci de  ton intérêt pour Infern ! L’idée du groupe a germé fin 2019. Loup et moi venions de trouver un vinyle dans les algues pendant une sortie en plongée et nous nous sommes dit que c’était le signe qu’il fallait qu’on fasse à nouveau de la musique ensemble. On a alors proposé à Julien, son cousin s’il était partant pour occuper le poste de chanteur et en plus d’accepter, il a amené Simon (batterie) avec lui !  Après avoir enregistré un ou deux titres en guise de carte de visite on a ressenti le besoin d’avoir une deuxième guitare pour que toute les nuances soit présente en concert. JM est arrivé tout naturellement puisqu’il jouait déjà avec Julien et Simon auparavant.

Vous avez déjà tous une expérience de groupe, et certains d’entre vous ont déjà joué ensemble, au sein de Gengis. Pourquoi choisir de repartir de zéro pour un nouveau projet et quel regard portez-vous sur le travail que vous venez de réaliser ?

Sylvain : En fait on est tous en lien d’une manière ou d’une autre depuis longtemps dans ce groupe, Loup et moi avons joué ensemble dans The Dying Seed, Julien et Loup sont cousins et comme tu le dis, Simon, JM et Julien étaient ensemble dans Gengis ! Infern est né d’une envie de faire de la musique entre potes et de recréer le death qu’on aime et qu’on écoute depuis notre adolescence.  On est très content du résultat jusque là, on cherche à progresser à chaque étape et jusque là je considère que nous y parvenons.

Julien : Oui, on est vraiment fiers du produit final. Concevoir cet album a été un long processus. Pendant deux à trois ans, on a pas mal expérimenté, testé des compos pour trouver le style que l’on voulait faire et une fois que l’on a su avec certitude dans quelle direction nous voulions aller, il ne nous a fallu que quelques mois pour créer la plupart des morceaux de l’album.

A l’écoute de l’album, vos influences sont assez lisibles : on retrouve un côté Bolt Thrower très prononcé et un groove à la Obituary. Est-ce que cette envie d’un death direct, old school, bestial et à l’énergie finalement très rock n’ roll est une réaction à l’évolution du style qui aujourd’hui navigue entre technicité et dissonance ? Quelles sont vos autres influences assumées (et inavouables) ?

Sylvain :  Ce n'est pas vraiment une réaction à la forme actuelle que le death a prise, comme je te disais, cela correspond plus une envie de revenir à nos amours d’adolescence ! On écoute beaucoup de groupes old school mais également des sorties plus récentes et des formations modernes. Niveau influence, pour Infern, on as bien défini dès le départ ce qu’on cherchait à créer : du death efficace, groovy et direct. Pour les influences inavouables, je dirai Van Halen et les Beatles pour les refrains accrocheur et l’aspect faussement simple de la musique.

Loup : On avait effectivement dans l’idée de créer une musique simple, entrainante et lourde. En mélangeant nos nombreuses influences sans partir dans toutes les directions. On a essayé au départ de définir une sorte de canevas et on essaye de s’y tenir. Si chacun d’entre nous faisait un “one man band” il ne ressemblerait en rien à Infern, mais ensemble on compose des riffs, on les valide, on en rejette certains, on en garde d'autres et on crée notre recette à tous les cinq. C’est aussi ça qui fait que créer en groupe peut prendre plus de temps, à la différence de quand un seul leader crée tout tout seul, avec des musiciens qui ne sont là que pour jouer les morceaux. On est un groupe avec ce que cela comporte d'avantages et de contraintes. Et l'aventure humaine vaut la peine de faire l’effort de partager ça tous ensemble. Si ça ne tenait qu'à moi, on ferait du Judas Priest.

Julien : Pour ma part, je ne connaissais pas Bolt Thrower avant de jouer dans Infern (Je sais, c’est la honte ). J’avais jamais creusé à fond l’univers et la scène death metal auparavant. Bien sûr, je connaissais des classiques comme Sepultura, Obituary, Six feet under, Cannibal corpse… Mais j’ai toujours été plus du côté de la scène hardcore, thrash ou crossover. J'aime bien également Judas Priest, Black Sabbath, Ozzy et Duran Duran.

Avant la sortie de l’album, vous êtes passés par la case « démo / EP » en dévoilant deux titres en 2021, « Ecocide » et « Victim of the Doom ». Pourquoi ne pas les avoir ajoutés à l’album ? Ces morceaux ont-ils servis de base à un nouveau titre ?

Sylvain : En effet, on a hésité à les inclure dans l’album mais après réflexion, ça aurait nui à la cohésion du disque. Peut-être feront-ils l’objet d’une future sortie ? C'est à réfléchir… Tous les morceaux de ce disque sont nouveaux à l'exception de "Tormented Paranoïd" qui est une nouvelle version d’une composition datant de l’enregistrement de cet EP.

Julien : En 2021, avant d'enregistrer l'EP, on avait cinq ou six morceaux. A l’époque, on cherchait encore notre style. On a gardé les deux compos qui nous correspondaient le plus et ensuite on s’est remis à composer pour finalement rapidement arriver sur les dix morceaux de l’album. Donc oui, les deux morceaux qui composent l'EP ont été importants puisqu’ils nous ont servi de base pour la suite.

Comment les morceaux sont-ils nés ? En répétition à l’ancienne en travaillant en commun, ou bien un seul d’entre vous a-t-il été à l’origine des titres ?

Sylvain : C’est un mélange des deux. Loup ou moi écrivons l’ossature d’un morceau à la maison et on fait prendre vie aux titres lorsqu’on est tous ensemble, on modifie alors certains arrangements, on triture certains riffs, on ajoute un solo ici ou là etc .

Loup:  On a déjà pas mal d'idées pour la suite, JM apporte aussi maintenant sa patte et on va mélanger tout ça. On est content que cet album sorte pour pouvoir recommencer à composer ensemble. J’ai hâte de pouvoir argumenter auprès des autres pour essayer de caser un ou deux riffs à la Judas Priest que j’ai en magasin… Au risque encore une fois de me faire rembarrer.

Vous êtes originaires de Bretagne, le pays du beurre salé et du kouign amann et vos riffs sont bien gras : un lien de cause à effet ? 

Sylvain : Evidemment ! (rires)

Loup: Le beurre normal tu veux dire ? Si on arrive un jour à produire le même kiff chez l’auditeur qu’avec le riff de fin de "Davidian" de Machine Head, ou d’"Anti-tank" de Bolt Thrower alors on aura réussi un truc.

Je n’ai pas eu l’occasion de lire les paroles de vos compositions mais l’artwork de Turn of the Tide est à l’image de la musique, sombre et à l’ambiance de fin du monde. L’état du monde actuel, c’est une source d’inspiration intarissable pour un groupe de metal ?

Sylvain : Malheureusement oui, mais là, je laisse Julien te donner son point de vue, même si Loup et moi chantons aussi, Julien est le chanteur principal et c’est lui qui écrit tous les textes.

Julien : Effectivement, le monde dans lequel on vit actuellement est une source intarissable d'inspiration. Entre les guerres et les conflits armés qui font rage en ce moment, l’omniprésence des réseaux sociaux qui change notre façon de vivre, les problèmes écologiques, politiques….  il y a de quoi pondre pas mal de textes. Les lyrics dans l’album sont assez variés et abordent pas mal de thématiques différentes. Par exemple, dans “Phineas case”, je fais un parallèle entre la vie qu’a vécu Phineas Gage,  un américain qui vivait au 19eme siècle (les plus courageux peuvent aller voir sa fiche wikipedia ), et le monde dans lequel nous vivons actuellement (culture de l'instantané, la perte d'un certain nombre de repères dans nos vies, l'omniprésence des réseaux sociaux...). Ce morceau est également une réflexion sur notre rapport aux souvenirs. L’état actuel du monde nous influence forcément et nous permet d’aborder beaucoup de sujets différents. Un morceau comme “Burning fields” va aborder la thématique de l’écologie et du capitalisme à outrance, alors que des chansons telles que “State puppet theater” ou “Gaining ground” évoquent plus le côté politique et cynique de notre société (despotisme, autocratie, guerres…). D'autres morceaux tels que “Tormented paranoid” ou encore “Buried alive” ont plus des lyrics du style “Death metal” avec des thématiques comme l'aliénation mentale, la peur de l'inconnu ou encore l'isolement.

Toujours à propos de l’artwork, on y voit une araignée de mer ou un crabe, qui rappelle presque un char d’assaut. Ce crustacé est également votre logo, utilisé sur votre photo de profil de la page facebook. Quelle est l’histoire derrière ce visuel et quelle consigne avez-vous donnée à Riko, qui s’est occupé de la pochette ?

Loup: Depuis notre délire de chasse sous marine et la découverte du vinyl dans la mer, on est parti sur cette esthétique marine, avec cette araignée qui petit à petit s’impose à nous comme une mascotte. Est ce que ça permet au gens de nous identifier, est ce qu’on va se renouveler et partir sur autre chose à l'avenir? Je ne sais pas. Pour la pochette on a demandé à Riko de créer dans son style Comics à l'ancienne, une scène de destruction de l’humanité par une araignée géante sortie des abyss pour venger mère nature.On a ensuite gérer la mise en page etc, avec Mathias Catez un pote graphiste déjà à l’origine de notre EP.

C’est Charles Eliott d’Abysmal Dawn qui s’est occupé du mixage et du mastering, comme pour votre première démo. Sachant que le style pratiqué par Abysmal Dawn est assez différent du vôtre, pourquoi ce choix ?

Sylvain : Abysmal Dawn est plus moderne qu’Infern mais il y a une forte influence old school / groovy chez eux. Et avant tout, on aime particulièrement leur son de guitare !

Loup: En écoutant la chanson “Inanimate” d’Abysmal Dawn, je me suis pris une énorme claque sonore. J’ai tout de suite cherché à voir si on pouvait travailler avec lui et nous sommes rentré en contact pour faire le EP. Tout logiquement on s’est lancé dans l’album avec lui. Charles est un producteur de qualité et il a su créer le son que nous voulions pour le groupe.

Vous avez tourné un clip pour "Tormented Paranoid". Pourquoi avoir choisi ce titre en particulier ?

Julien : Quand Julien Bullat, le chef operateur du clip, nous a proposé l’idée de faire un clip qui utiliserait le principe de la prise de vue en photo rafale, on s’est demandé quel morceau conviendrait avec cette idée. On s’est alors naturellement dit que "Tormented Paranoid" serait le bon morceau à clipper.  L'atmosphère et l’aspect tourmenté des lyrics de ce morceau correspond bien avec le côté saccadé et un peu dérangeant de cette technique de prise de vue.

Quels sont les derniers groupes et / ou albums qui vont ont marqué dans la scène metal extrême et en dehors ?

Sylvain : En terme de death, en ce moment j’écoute pas mal le nouveau Fulci et celui de Laceration, j’attend avec impatience le prochain Baest. Sinon en dehors du death, je suis à fond sur le vieux Rotting out et Clutch.

Loup: Je dirais que les derniers Gruesome, Cannibal et Deicide ont tourné en boucle. Les deux derniers Judas Priest, Slugdge, Opeth, Frozen Soul, Hatebreed… J'écoute tellement de trucs différents que c’est dur à dire.

Julien : En ce moment, j’écoute beaucoup de hardcore (Speed, Grove street, Ekulu, Slope…) et j’attends de voir ce que va donner le prochain Body count. Coté death, dernièrement j’ai pas mal écouté le dernier Six feet under et Chaos Horrific de Cannibal corpse.

On imagine qu’avec la sortie de l’album, vous allez le défendre au maximum sur scène. Quels sont les projets de concerts à venir et si vous pouviez ouvrir pour le groupe de votre choix, quel serait-il ?

Loup : On a un concert par mois de prévu d'ici à février. On espère bien faire des festivals sympa en 2025 et jouer autant que nos agendas familiaux et professionnels nous le permettent. On va aussi essayer de se rapprocher d'autres bon groupes de la scène death française pour monter des plateaux communs. Je lance d'ailleurs ici un appel aux programmateurs de France et de Navarre, on est chaud! Il y a beaucoup de groupes comme nous qui aimeraient faire de belles premières parties de groupe pro, dans des belles salles pour toucher plus de monde. Et honnêtement je pense qu’a l'avenir c’est possible, si on s’en donne les moyens. Alors si tu me demandes, hé bien avec Obituary, Asphyx, les gars d’Exhumed et Gruesome, ou Death. Ha merde ca c’est plus possible… (rires)

On vous laisse le mot de la fin pour nos lecteurs afin de les motiver à découvrir votre album !

Loup: Merci d'écouter l’album, de nous suivre sur les réseaux et surtout de venir kiffer en live avec nous. Au-delà du fait de jouer de la musique, ce qui nous motive c’est de partager notre passion du métal en rencontrant les fans, les organisateurs de concerts, les associations, les blogueurs, photographes, activistes de tout genre qui font vivre la scène underground au quotidien.

Interview réalisée par mail en octobre 2024
Turn of the Tide d'Infern est disponible chez Dolorem Records
Photographie promotionnelle : DR / Avec l'aimable autorisation du groupe et du label



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