Le dernier passage des légendaires Cradle of Filth à Paris remontait à 2019 à La Machine. Plusieurs remaniements dans le line-up et un nouvel album plus tard, le groupe mené par Dani Filth est de retour et entame à Paris une grande tournée européenne. Sur le papier, on peut qualifier l'affiche de ce Dark Horses and Forces Tour de surprenante voire improbable. Retour sur une soirée où l'obscène, le musclé et le poétique ont pu, finalement, faire bon ménage...
Naraka
Les Français de Naraka sont chargés de donner le coup d’envoi de cette tournée européenne d’envergure intitulée Dark Horses and Forces. Le groupe, qui a sorti son premier opus In Tenebris en 2021, investit la scène et se lance dans son set avec énergie et conviction, proposant des compositions entre metal mélodique et death/thrash. Une incursion vers le symphonique est même proposée avec le titre "Mother of Shadows", sur lequel on entend (sur piste) le chant de Lindsey Schoolcraft, ex claviériste de Cradle of Filth.
Le vocaliste Théodore Rondeau alterne chant saturé puissant et chant clair assez bas, délivrant une prestation convaincante que le parterre clairsemé de l’Elysée Montmartre semble apprécier, malgré des problèmes de son qui vont se poursuivre tout au long du set.
Il est en effet difficile d’entendre autre chose que le chant et la (grosse) double pédale – à noter que le groupe ne tourne pas avec son batteur studio Franky Costanza (ex-Dagoba), mais avec un remplaçant qui remplit sa mission avec efficacité. La basse et la guitare sont malheureusement peu audibles à certains endroits de la fosse, et même si les musiciens sont très mobiles et énergiques, le mix ne permet pas d’entrer complètement dans le set de Naraka, desservi également par l’absence d’éclairages dignes de ce nom.
Des walls of death et circle pits demandés par le chanteur ne se lancent pas, comme si le public était lui aussi en rodage ou un peu hésitant à suivre les Français. Une certaine fébrilité de début de tournée, bien compréhensible, règne sur le plan technique mais également au niveau des échanges parfois maladroits avec le public. Cependant le capital sympathie des musiciens est bien là, et la puissance des morceaux joués semble convaincre la fosse de l’Elysée Montmartre.
Setlist Naraka :
- Cursed
- The Black
- Darkbringer
- Mother of Shadows
- The Great Darkness
Alcest
Sur le backdrop, l’imposant sphinx signé des talentueux Førtifem, artwork du dernier album d’Alcest Spiritual Instinct, donne le ton du moment plein de symbolisme et de poésie qui se prépare. Après une arrivée sur scène pleine de sobriété, le combo se lance dans l’enchaînement de deux titres de cet opus, "Protection" et "Sapphire", l’un étant porteur d’une force irrésistible et l’autre d’une aura contemplative quasiment incantatoire.
L’interprétation intense et le chanté éthéré de Neige, en parfaite harmonie vocale avec l’autre guitariste Zero, emportent l’audience dans un dépaysement entre rêve et réalité. Leur jeu subtil de guitare du frontman et les mouvements coordonnés des deux musiciens pour l’accélération des riffs se révèle fascinante, sur les riffs plus appuyés ou les moments plus lents et contemplatifs, comme sur l’introduction d’"Ecailles de Lune – Part 2" avant le déferlement de black.
La setlist équilibrée est marquée par la nuance, le rythme et la délicatesse dont Alcest se sert avec brio pour faire surgir le langage des émotions, des sensations et de la mélancolie. Neige et Zero restent statiques, mais la position élevée du batteur Winterhalter et des effets de lumières mettent en valeur son jeu très subtil et dynamique, comme sur le morceau d’introduction ou les rythmes tribaux d’"Oiseaux de nuit".
Les lignes de basse d’Indria sont posées, à la fois légères et puissantes, même si ce dernier, plus mobile, semble comme isolé du duo de vocalistes. La qualité du mix est quant à elle meilleure, mais pas parfaite : on n’entend malheureusement pas assez Neige notamment sur les passages criés. Cela n’empêche pas le groupe de créer avec aisance des moments de grâce comme avec "Autre Temps" ou le tableau de conclusion "Délivrance", servi de jeux de lumières et de fumée, dont d’épaisses nappes viennent envelopper tous les musiciens un par un, en laissant les dernières notes de Zero comme un point d’orgue à ce moment suspendu.
L’Elysée Montmartre se laisse emporter jusqu’aux dernières secondes de la mélodie, complètement habité par le moment d’onirisme qu’Alcest vient de lui offrir. Les chaleureux applaudissements adressés à Neige lors de son retour pour adresser des remerciements au public parisien ne cachent qu’un seul regret, celui de ne pas en avoir eu assez. Il ne faudra pas attendre longtemps pour les fans avant de retrouver Alcest en tête d’affiche, puisque le groupe sera au Bataclan en décembre pour un concert célébrant les dix ans de l’album Ecailles de Lune…
Setlist Alcest :
Protection
Sapphire
Ecailles de Lune – Part 2
Autre Temps
Oiseaux de Proie
Délivrance
Cradle of Filth
La scène se pare d’un décor évoquant l’univers horrifique de Cradle of Filth, avec notamment l’artwork du dernier opus Existence is Futile en arrière plan. Le groupe prend place sur scène sous d’épaisses fumées et des jeux de lumières colorées, maquillages en avant et vêtus de cuir. On note la présence à la guitare, aux côtés d’Ashok Šmerda, de l’Américain Donny Burbage, tenant la place de Richard Shaw depuis l’annonce de son départ en mai dernier. Celui-ci, plutôt en retrait au début du concert, montre davantage d’assurance au fil du show et interagit volontiers avec le public.
Mais c’est l’arrivée du frontman Dani Filth qui est saluée par des hurlements et des applaudissements dans le parterre. Infatigable, survoltée même, la star du soir, seul membre rescapé de la formation d’origine, prend sa place de leader et signe une prestation vocale impeccable. Irréprochable aux cris et hurlements suraigus dont lui seul a le secret, Dani fait son show sur les différents podiums, et même si son maquillage est censé terroriser l’audience, il ne cesse de partager avec le public sa joie d’être là. Le showman montre toutefois quelques signes d’impatience, dirigés vers les techniciens et également le ventilateur caractériel qui, placé en équilibre sur les plateformes, ne cesse de tomber.
La claviériste Zoe Marie Federoff, perchée sur un second podium, fait le job sans ciller, livrant une prestation impressionnante si l’on tient compte du fait qu’elle n’a rejoint Cradle of Filth que depuis quelques mois, depuis l’annonce du départ de Lindsay Schoolcraft. Son chant lyrique illumine les titres cultes ("Nymphetamine Fix") comme les plus récents ("Us, Dark, Invincible"), parfait contrepoint délicat aux hurlements du frontman endiablé.
Même si au début du set le son n’est pas bien réglé (décidément…), les choses s’améliorent au bout de deux morceaux et le chant des deux vocalistes est vraiment bien mis en valeur. La batterie quant à elle est par moments relativement étouffée, ce qui s’explique par le choix – curieux – d’avoir placé Marthus Skaroupka sur un podium très haut, emprisonné derrière un mur de plexiglas.
Au sein d’une setlist généreuse qui balaye neuf albums de la longue discographie du groupe, les quatre morceaux du dernier opus trouvent très bien leur place et font leur effet en live. "Existential Terror" ouvre le set de façon magistrale, et "Necromantic Fantasies" s'insère vraiment bien parmi des titres iconiques plus anciens au cours du – long – rappel.
La fosse de l’Elysée Montmartre se met volontiers en mouvement, avec quelques slammeurs et des moshpits saluant les passages les plus redoutables des morceaux iconiques ("I Am the Thorn", "Scorched Earth Erotica" ou l’ultra rapide – et très subtil – "Gilded Cunt" joué en fin de set, moment cathartique où chacun peut sans complexe hurler des insanités). Dani réclame à plusieurs reprises de l’agitation dans le public, y compris « un circle pit et du bazar jusqu’à Marseille ». Les Parisiens, galvanisés, s’exécutent joyeusement sans non plus montrer une folie furieuse.
Les guitaristes et le bassiste Daniel Firth arpentent la scène et haranguent le public régulièrement, très mobiles tout en gérant parfaitement leur jeu rapide, les poses faussement effrayantes, et les déplacements parfois périlleux sur scène entre les éléments de décor, les autres musiciens et les nombreux déclenchements sur scène de feux de Bengale venant agrémenter visuellement le show. Cependant, difficile de voir le lien entre cette débauche d'effets, d'étincelles et de jets de confettis et la musique de Cradle of Filth…
En définitive, la bande à Dani Filth a assuré un show efficace et extrêmement convaincant, surtout pour un début de tournée. Tout y était : les classiques, les nouveautés, l’attitude, les costumes et les décors. Pas grand-chose à reprocher au combo ce soir, mis à part cette prestation carrée et peut-être un peu trop propre, en tout cas certainement bien moins filthy que ce qu’on pouvait attendre …
Setlist Cradle of Filth :
- (sur piste) The Fate of the World On Our Shoulders (intro)
- Existential Terror
- Nocturnal Supremacy
- Summer Dying Fast
- I Am the Thorn
- Crawling King Chaos
- Nymphetamine (Fix)
- A Gothic Romance
- Scorched Earth Erotica
- Us, Dark, Invincible
- (sur piste) Venus in Fear (intro)
- Desire in Violent Overture
- Necromantic Fantasies
- Gilded Cunt
- Her Ghost In the Fog
Crédit photos : Tiphaine Zanutto. Toute reproduction interdite sans l'autorisation de la photographe.