Sept ans ! C'est le temps qu'il a fallu attendre avant de revoir Ju, notre chanteur toulousain préféré, pointer le bout de son nez avec sa bande de manimaux. Malheureusement, tout le monde le sait maintenant, c'est avec une mauvaise nouvelle qu'est sorti Multiplicity, leur nouvel album, puisque c'est également leur dernier (à priori...). Le groupe a décidé de se séparer suite au départ de l'excellent guitariste et compositeur Vidda. C'est donc la chronique tardive d'un album très attendu et déjà quasi-culte que je vous propose ici.
Comme d'habitude, Manimal aime jouer avec les concepts : après l'utilisation exclusive de titres de films pour leur second album Succube, le groupe nous propose d'entrer dans la peau de neuf personnages que sont Michael, Nicholas, Ben, Corey, Christian, Laura, Frank, Scottie et Edmond à travers neuf titres-portraits portant leurs noms. Le concept est expliqué par ici. Tristement, ce concept est bien peu développé au delà de la musique, puisque pour ceux qui aiment tenir leurs albums préférés entre les mains, la version physique de l'album ne se résume qu'à une pochette cartonnée sans livret ni rien d'autre. Manque de moyens et/ou d'acheteurs probablement, surtout pour une autoproduction ; ce qui est sûr, c'est que ça deviendra presque un détail vite oublié à l'écoute de son contenu !
Ayant un sentiment un peu bizarre vis-à-vis de leur précédent album Succube, lui préférant Eros & Thanatos, j'avais peur que Manimal se perde dans des expérimentations et un concept trop farfelu. Les premiers extraits de Multiplicity ("Michael" et "Corey") ne m'avaient d'ailleurs pas vraiment rassurés. C'est donc avec un peu d’appréhension que j'ai entamé il y a un mois l'écoute intégrale de l'album, commençant par... "Michael" (pas de bol). Aujourd'hui, c'est après une dizaine d'écoutes passionnées que je peux enfin tirer le verdict : Multiplicity est une tuerie ; merci, au revoir. Non, ce serait trop simple ! Alors décortiquons un peu son contenu.
La musique de Manimal n'a jamais aussi bien porté le nom de « Open-death » : on retrouve une base solide de death metal, rappelant fortement leur premier album. A ça viennent s'ajouter de nombreuses influences et beaucoup de technicité. Pas nouveau, me direz-vous, mais ici, le tout est mâché, re-mâché, digéré et régurgité proprement et de manière très cohérente. Ca ne va donc pas dans tout les sens : c'est carré et maîtrisé. D'ailleurs, tous les protagonistes font preuve d'une grande maîtrise, en commençant bien sûr par Ju au micro, faisant plus que jamais preuve d'un chant crié et growlé puissant, mais aussi d'un chant clair utilisé à bon escient. Pour ceux qui suivent son actualité et ses autres projets déjantés, on retrouvera quelques petites touches Rufus Bellefleur par-ci par-là. Du côté des musicos, il n'y a vraiment rien à redire ! La basse bien ronde se fait discrète sans se faire oublier, tandis que la batterie envoie le pâté sans trop en faire. En fait, l'album a été totalement autoproduit. Si l'on entend quelques défauts de mixage par-ci par-là (sans vouloir vous gâcher la chanson, le souffle de Ju est coupé à la fin de "Ben"), il faut avouer que le son est bien dosé et carrément bon. Chapeau !
Là où le groupe frappe fort mine de rien, c'est dans la construction des morceaux : s'ils atteignent parfois les cinq minutes, on ne s'ennuie pourtant jamais ! Au contraire, Multiplicity passe à une vitesse folle. Par ailleurs, absolument chaque morceau dispose de son passage culte ; on pense à Christian scandant « I am the saint, I am the sinner ! », mais aussi aux envolées de Laura, à Nicholas répétant inlassablement « NAIVE, IGNORANT! », ou encore à Frank, solitaire, « I'll hold on to faces I see ». Bref, dores et déjà des hymnes pour chacun d'entre eux.
Heureusement, la folie Manimal n'est pas oubliée, plutôt mieux dosée qu'auparavant. On retrouvera ainsi en "Corey" un titre plus simple et accessible, plus groovy et moins saccadé, tranchant clairement avec le reste de l'album. Au contraire, "Christian" est certainement le plus taré des 9 protagonistes. Dans tous les cas, le groupe a préféré miser sur des riffs bien lourd parsemés de mélodies, plutôt que sur des plans trop compliqués à s'en tirer les cheveux. La grande surprise vient incontestablement de "Laura" où Lussie de MyPollux vient prêter sa voix si particulière, donnant une toute autre dimension au morceau.
Les autres personnages ne sont pas en reste, puisque chacun semble essentiel à la cohérence de l'album : "Ben", ses problèmes d'alcool et son introduction au rouleau-compresseur, "Scottie", ses erreurs passées et sa rapidité effrayante... Vient alors la grande interrogation de Multiplicity à laquelle je ne saurais toujours pas répondre : Qu'ont-ils voulu exprimer à travers "Edmond", le dernier portrait de l'album ? « It's raining, oh no, I guess it's sunny, actually. ». Les paroles nous en apprendront un peu plus sur le personnage sans forcément nous aider à l'apprivoiser. Pour être tout à fait honnête, lors de la première écoute du titre, j'ai cru à une pub sur une page internet ! J'ai réellement cherché à l'arrêter pour ne pas couper l'écoute de l'album. En même temps, je m'attendais à un dernier morceau terrible et je suis alors resté sur ma faim... La fin de l'album sera donc douce et apaisée, mais cachant un visage grave. Accompagné par des guitares acoustiques, une basse et une batterie en retraits, Ju raconte une dernière tranche de vie à la mélodie toujours aussi obsessionnelle. Finalement, un titre plein de sens et de subtilités. Le monstre est mort.
34 minutes d'open-death magnifiquement composé et exécuté et 4 minutes de douces mélodies mélancoliques plus tard, et c'est une page qui se tourne dans le monde du metal français. L'un des meilleurs groupes hexagonaux, encore bien trop méconnu à tort, vient de nous livrer un album compact et riche, peut-être le meilleur album français 2012, avant de rendre l'âme. Ce glorieux départ est accompagné d'une courte tournée d'adieu se terminant bien sûr à Toulouse le 20 décembre (concert en partenariat avec La Grosse Radio). Si bien sûr, vous voulez militer contre le départ du monstre, le groupe facebook Manimal Shepherd est là pour ça !
Unna
8,5/10
Tracklist :
1. Michael
2. Nicholas
3. Ben
4. Corey
5. Christian
6. Laura
7. Franck
8. Scottie
9. Edmond