Solisia – Universeasons

« Jean-Laurent ! Où es-tu, mon chéri ? Jean-Laurent ? »

Personne. Pas un bruit dans l'appartement. Visiblement, Marie-Elisabeth était seule aujourd'hui. Son mari ne l'avait pas prévenue de son départ. Tant pis, elle passerait la journée devant la télé, à regarder quelques émissions culturelles sur la première chaîne, comme une femme de son âge. Ayant atteint ses trente-cinq ans, Marie-Isabelle s'ennuyait. C'est un fait, son couple n'avait rien de bien passionnant. Elle se souvenait pourtant de ses années folles, quand elle était encore à la fac. Ses petites aventures, sa bande d'amis et, surtout, son premier amour, celui qui avait goûté ses lèvres pour la première fois : Andrea, un beau et jeune étudiant italien. Une folle romance, entre ces deux-là. Mais elle se souvenait aussi de la trahison, la peine qu'elle éprouvait lorsqu'elle découvrit l'impardonnable. Il en voyait d'autres, le bougre. Et ça, elle ne s'en remet pas, Marie-Isabelle. Une si belle expérience … Elle se retrouvait désormais avec Jean-Laurent, petit prodige de la faculté de droit, qui ne l'avait pas touchée depuis deux ans. Une relation morne, où elle ne trouvait pas le bonheur, au-delà du confort matériel que lui procurait cette personne, qui lui semblait presque étrangère.

« Et si je chantonnais un peu ? », se demanda Marie-Elisabeth. Après tout, elle chantait très souvent. Sous la douche, aux toilettes, c'était ça, sa passion, chanter. Elle voyait même une prof de chant, mais en cachette. Après tout, Jean-Laurent n'approuverait pas. Il n'accepte jamais rien, de toute façon, Jean-Laurent. « Pas d'activités futiles », qu'elle rumina, en se dirigeant lentement vers le grand dressing. Elle avait tous les vêtements qu'elle voulait. Mais ce n'est pas des fringues chères et un succès vestimentaire garanti dans des soirées mondaines qui lui assureraient le bonheur, et, surtout, l'amour. Marie-Elisabeth, dans un soupir, enfila une robe chic, comme tous les jours. De la marque, s'il vous plaît ! Pour ne pas changer les bonnes habitudes. Sa routine, son train-train quotidien, elle n'en pouvait plus. Ça en devenait oppressant. Mais Marie-Elisabeth se sent prisonnière. De sa vie de tous les jours, qu'elle a trop peur de bouleverser. Pourtant, elle le sent, elle en a besoin de ce grand changement. Il n'est jamais trop tard, après tout, pour tout envoyer valser … mais pour se diriger droit vers l'inconnu. Et ça, elle en a peur. Qui sait ce qui pourrait l'attendre en dehors de son confort, de son prestigieux poste de chroniqueuse beauté dans un magazine féminin superficiel et vain, qui s'arrache comme des petits pains pour un public répondant aux mêmes qualificatifs que ce magazine. De quoi dégoûter toute féministe convaincue.

S'octroyant une petite demie-heure ménage dans ses affaires, Marie-Elisabeth tomba soudainement sur un vieux disque, dont elle n'avait plus le souvenir. Elle regarda l'arrière : « Solisia », murmura la trentenaire. Dans une longue réflexion, elle se souvint de sa folle jeunesse. Elle était plus rock'n'roll, Jean-Laurent ne supportait que la variété et la pop. Il fallait bien renoncer à ses amours musicaux pour avoir la paix et la tranquillité, se disait-elle. Mais ça lui manquait. Elle avait du jeter tous ses disques, ses classiques de Twisted Sister, ses albums d'Alice Cooper qu'elle affectionnait, qu'elle écoutait en cachette avec Andrea, pour ne pas se faire prendre par ses parents, qui lui auraient dit que de toute façon, elle filait un mauvais coton. « Et si je faisais un petit tour sur Internet ? Après tout, qu'est-ce que cela me coûte ? ». Dans un espoir, elle était sur un site … ça fait se renouer avec ses anciens amis, paraît-il. Peut-être un premier pas pour se sortir de sa monotonie qu'était devenue sa vie. Et là, le choc : « Andrea », murmura la femme. Elle l'avait retrouvé … et ni une ni deux, un mail à l'intéressé ! Comme elle s'en doutait, il n'avait pas changé : toujours le même regard de braise, et ce même charme qui la faisait craquer. Aucun doute, il était resté lui-même, cherchant encore moult conquêtes. « La stabilité, c'est pas pour lui de toute façon ».

Au diable les appréhensions ! Elle fixa un rendez-vous au bel italien trois jours plus tard. Ce serait au café Eugène, à 15 heures, et il avait intérêt à venir ! Après tout, Jean-Laurent ne rentrait pas avant longtemps. Au moins 19 heures. Elle avait du temps devant elle pour revoir son premier amoureux.

Solisia

Marie-Elisabeth, dans sa folle jeunesse

A la terrasse du café, Marie-Elisabeth paniquait. Et s'il ne venait pas ? Une silhouette se dessinait au loin. De silhouette, on passait à une forme de plus en plus concrète. Puis une personne. C'était Andrea. « T'as pas changé », engagea-t-elle. « Toi, si ». Gênée, elle rougit. Elle n'était plus vraiment à son goût … « Tu es encore plus belle qu'avant ». Silence gêné, une fois de plus. Elle ne devait pas perdre de vue qu'Andrea est un charmeur de premier ordre. Puis les deux amants discutèrent. Plus la conversation se déroulait, plus le poids de la culpabilité quittait Marie-Elisabeth. Elle se sentit à nouveau exister, hors de sa petite vie boulot-luxe-soirée télévision.

« Tu te souviens de notre vieux groupe de hard rock ? C'est fou quand même. D'ailleurs, je n'ai pas arrêté le chant ! » - « Moi, je n'ai jamais arrêté le groupe », soupira Andrea, rêveur. Secrètement, il en rêvait de faire renaître cet éphémère projet étudiant. Mais de passer à la vitesse supérieur, surtout, et pas seulement de squatter les bancs de l'amphi avec une gratte sous le regard fusillant du professeur. « T'as un chanteur alors ? » - « Non », répliqua-t-il. « On cherche, désespérément, mais on ne trouve pas … on pensait à une chanteuse, mais là aussi, c'est la panne sèche ». C'est alors que ces mots sortirent de la bouche de Marie-Elisabeth, dépassant sa pensée : « Peut-être … pourrais-je auditionner ? ». Oups. La gaffe ! Que venait-elle de faire ? Surtout que les yeux d'Andrea commencèrent à briller !
« Ok, audition demain ma belle ! Quatorze heures, tiens-toi prête ! On répète au-dessus de la salle de concert de la rue Martin. T'as intérêt à être là, hein ! » - « Mais en un jour, jamais je ne serais prête ! » - « Les vrais artistes ont besoin de moins de ça ». Puis il partit, en lui adressant un clin d’œil. Un petit papier déposé à côté de la tasse à café d'Andrea : l'adresse, et son numéro de téléphone. Et l'addition, bien sûr. Goujat ! Mais ce n'est pas tout. Andrea avait glissé dans son sac à main un petit disque, tout rond, avec écrit dessus : « nos compos ». Pas de doute, fallait bosser sec et éloigner Jean-Laurent !

Le lendemain, Marie-Elisabeth était résolue à faire un essai. « Je vais tenter ma chance ! ». De toute façon, elle n'avait pas eu de mal à bosser, son dévoué mari n'est pas rentré de la soirée. Elle le soupçonnait d'avoir une maîtresse … mais qu'importe. Là n'était plus le sujet pour elle. Ce qui troubla Marie-Elisabeth, c'est la différence : Solisia avait mué. La musique était devenue plus tranchante, presque heavy, avec quelques beaux passages de claviers. Onze morceaux composaient ce disque, sur lequel elle avait tenté quelques lignes de chant, mais avec une certaine galère parfois. Elle avait peur de ne pas être à la hauteur ! Quatorze heures, et la voilà au rendez-vous.

-« Bon, Andrea … j'ai fait de mon mieux pour les compos, je te jure, hein ! Donc j'espère … j'espère que ça va te plaire », dit-elle, rouge comme une pivoine.
-« Ouais, on verra ça ! Allez, chante donc les lignes, on va jouer avec toi ».

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La bande au complet

Du local de répèt', une musique se fit entendre. Celle du groupe, Solisia, avec sa nouvelle voix, Marie-Elisabeth De Boisnouveau. Ceci dit, c'était pas très rock'n'roll, comme nom. La musique de Solisia ne l'était plus vraiment, elle non plus. Comme si les jeunes musiciens, en prenant de l'âge, avaient mûris. C'est ce que la jeune chanteuse se dit : leur musique était devenue plus mature, beaucoup plus professionnelle et avait gagné en puissance. Les diverses compositions étaient généralement assez équilibrées entre un style tranchant, grâce à la présence des guitares au premier plan, et des influences plus symphoniques.

« C'est parce qu'on a beaucoup écouté Within Temptation et Delain. Plus que pour notre premier album, tu vois ? » - dit leur batteur, Marcantonio.

« Je vois ». Elle ne voyait pas du tout. Qui sont ces formations ? Sûrement d'illustres inconnus. Quoiqu'il en soit, il était clair pour la jeune femme que ses quatre compagnons de galère avaient beaucoup potassé leurs connaissances sur le metal symphonique. Elle avait pu écouter le premier disque de ses nouveaux compères, la veille. Et ce qu'elle pensa immédiatement, c'est que le côté un peu progressif du premier opus était moins évident. Comme s'ils avaient souhaité épurer un peu la musique, tout en laissant tout de même un point commun : la puissance de la guitare, assez étonnante pour un combo de ce calibre. Car on sait tous que, quand on a une voix féminine, il faut la mettre en avant au détriment des guitares. Pas chez Solisia, où on pratiquait un heavy symphonique certes très classique, où les inspirations suintent souvent, mais dont l'ensemble reste extrêmement bien goupillé, et s'écoute sans aucune difficulté. C'est même plutôt inspiré, tout au long du disque, sans vraiment de temps mort. Les musiciens avaient décidés d'en mettre plein la vue, et d'envoyer la sauce. Une décision qu'elle jugeait plutôt bonne. Après tout, ça leur permettrait de faire de l'ombre à pas mal d'autres groupes qui jouaient dans la même catégorie.

« J'aime bien les deux ballades », dit Marie-Elisabeth. Elle avait appris par cœur « Betrayed By Faith », et elle y avait même mis un peu de piano au début, à la grande joie de ses amis italiens. Mais les autres n'étaient pas des manchots, et outre le piano-voix, ils ont apposé de la guitare sur le refrain, afin de donner de la puissance à cette mid-tempo. Et puis, ça évitait de plagier « My Immortal » d'Evanescence. Plagiat, qu'en revanche, ils n'évitent pas vraiment sur l'inintéressante « I Loose Myself », trop classique pour émouvoir.

« Je vais être honnête avec toi, Marie-Elisabeth : tu chantes bien, et on souhaite que tu restes notre chanteuse ! Seulement, ton nom … ça ne va pas. C'est pas très metal. Marie-Elisabeth … on va être un peu la risée ». - « Mais alors, qu'est-ce que tu penses de … Lila Lazul ? » - « Non ! » - « Livia Spaghetti ? » - « Non ! » - « Elie Syrelia ? » - « No... heu oui ! Là, ça, c'est bien ! ». Il est vrai que Marie-Elisabeth, Elie Syrelia de son nom de scène, est une bonne chanteuse. Elle n'avait pas séché les cours de chant, ça, c'est certain. Sa voix, comment la décrire … elle avait ce chant grave, chaud, qui possède un petit côté sensuel. Mais elle savait aussi monter dans les aigus sans aucun problème. Ainsi que faire passer de l'émotion sur les ballades. Pas le genre de voix entendue des milliers de fois, en fait. Elle tranche un peu avec tout ce qu'on peut entendre dans le sympho. Andrea était satisfait : Marie-Elisabeth, ou plutôt Elie, était LA voix dont il avait besoin pour sublimer des compositions qui évitent, ainsi, la banalité la plus complète grâce à une vocaliste performante et aux capacités réelles.

Solisia

Marie-Elisabeth, relookée !

Des jours, puis des mois s'écoulèrent. L'album était enregistré. Marie-Elisabeth était fière : non seulement, elle chantait toujours bien mais, en plus, elle avait fait tout ça dans le dos de Jean-Laurent, ce qui lui octroyait un petit sentiment de satisfaction. A présent, il fallait démarcher les labels. Dans la salle de répétition, on s'y attelait d'arrache-pied, pour finalement tomber sur Scarlet Records qui, ni une, ni deux, signa UniverSeasons.

Marie-Elisabeth n'avait qu'une hâte : raconter ça à sa pote metalleuse, celle avec qui elle avait gardé contact depuis le lycée. Et elle l'admirait, Isabelle. Le genre de nana qui ne se laissait pas marcher sur les pieds et allait au gré du vent, selon ses envies. Qu'est-ce qu'elle rêvait d'être Isabelle …
« Ah, Isabelle ! », s'exclama Marie-Elisabeth une fois la jeune femme arrivée chez elle. « Viens voir, viens voir ! J'ai un groupe de metal ! Et on a même fait un album ! Tu veux qu'on l'écoute ? ». Stupéfaite, telle était la réaction d'Isabelle. Elle, sa pote coincée dans son milieu sclérosé, dans un groupe de metal. Étonnant ! Une heure plus tard : « Alors alors, tu en penses quoi ? ».

« C'est pas mal. Mais on sent une grande influence des noms les plus réputés du genre. Nul doute que la recette de Delain ne vous a pas échappée. Mais vous avez un côté plus musclé. De plus, bien que fonctionnant sur un schéma très similaire, les compositions évitent la redondance en trouvant toujours un petit quelque chose pour se renouveler : même si les lignes de chant trop hachées de « Mind Killer » sont une grosse faute de goût, que votre ballade « I Loose Myself » n'a pas vraiment d'intérêt et que « Dirty Feeling » n'est pas très folichonne, on sent que vous avez fait des efforts, et que vous êtes appliqués. Quelques pistes se démarquent même carrément : « The Guns Fall Silent » est super accrocheuse et puissante, et la guitare n'a pas peur de montrer qu'elle sait faire dans la puissance. De même que « Symbiosis » avec ses incursions power est carrément bien foutue, avec un refrain vraiment efficace. C'est ça, votre force : les refrains. Vous avez, malgré vous, un côté pop. Mais dans le bon sens, car ce que vous faites est catchy et carré, marqué par un grand professionnalisme. La preuve, le refrain de votre premier morceau, « UniverSeasons », est vraiment prenant, contrastant avec le reste du titre en jouant la carte de la profondeur, ce qui fonctionne très bien. Vous avez vraiment du talent ! Attention tout de même à ne pas trop tomber dans la banalité car, parfois, c'est limite. Concernant le chant, c'est vraiment bon. Le registre est personnel, et tu es capable de moduler ta voix sans partir dans des fausses notes. Tu sais même donner de l'émotion, ce qui rend « Betrayed By Faith » assez inspirée ! Tu as même un petit côté mélancolique qui est touchant. Sur « I Loose Myself », ça peut paraître bête, mais on dirait presque Christina Aguilera parfois. Si si, je t'assure ! Et même si le violon fait un peu trop cliché larmoyant, cette ballade a au moins de bon son refrain où tu es vraiment superbe dessus. Par contre, le clavier, je l'ai déjà vu plus inspiré sur le reste du brûlot. Enfin voilà, pour résumer : ce que vous faites est, certes, assez classique, mais vous le faites bien. Le chant n'a pas à rougir de la concurrence, et les titres, hormis deux faux pas qui sont « Mind Killer » et « Dirty Feeling », sont bons. Le résultat est prenant, et vous êtes capables de faire encore mieux. Seulement, vous manquez d'originalité et ça peut être préjudiciable pour la suite. Allez, un petit effort là-dessus ! ».

Solisia

Fallait bien un logo quelque part !

Marie-Elisabeth n'en revenait pas. Après tout, Isabelle était chroniqueuse, et ça, c'est trop la classe qu'elle se disait. Pas sur un magazine stupide, non, elle l'était sur La Grosse Radio, et ça, ça la rendait presque envieuse !

« Mer … Merci de tes conseils ! On fera mieux la prochaine fois, promis ! ». « C'est déjà très bien », répondit Isabelle, souriante. « Mais j'attends le prochain au tournant : vous avez un fort potentiel, ne le gâchez pas ! ».

Marie-Elisabeth était désormais rêveuse. Une carrière dans le metal ? Elle n'y aurait jamais pensé quelques jours plus tôt. A présent, son groupe avait quelques dates à faire sur scène, et ça, elle avait peur de se planter sur les planches. Qu'importe ! Une nouvelle porte s'ouvrait à elle à présent ! Et … bye bye Jean-Laurent.

(oui, c'est une histoire fictive, mais j'avais envie de m'amuser un peu en écrivant cette chronique. Et puis, si vous avez bien lu, vous verrez que l'opus y est parfaitement décrit. A bientôt pour la prochaine chro !)

PS : on a pas de chroniqueuse nommée Isabelle. Mais si une Isabelle veut essayer la chronique, qu'elle n'hésite pas à se présenter !
 

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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