Destinity – Resolve in Crimson


"Destiné(e)s..."

Disponible depuis le 19 novembre 2012 chez Lifeforce Records

Autant le dire tout de suite, ce nouvel album des Destinity et donc cette chronique qui s’ensuit m'auront posé un problème d'honnêteté intellectuelle, rien de moins. Nous nous faisons évidemment un point d'honneur à LGRM de soutenir les formations qui font tout le dynamisme de notre bonne vieille scène française, et en la matière difficile de passer à côté de ce combo lyonnais, qui affiche 16 années de vie au compteur et peut déjà se targuer d'une carrière discographique et scénique tout autant fournie que reconnue. C’est un fait avéré, Destinity s’est forgé une solide réputation à la sueur du poignet et de la crinière, se taillant aujourd'hui la part du lion parmi le peloton des fers de lance du métal hexagonal (votre serviteur doit vous confesser qu'il avait pour sa part quelque peu raté le train en marche...), aux côtés notamment de leurs camarades de Benighted ou de Trepalium.

Seulement voilà : on est en droit de se demander aujourd'hui à quoi se... "destine" le groupe après un tel carton plein, ce qui désormais les anime et quelle sera la prochaine étape logique (ou pas, d'ailleurs)... C'est qu'à l'instar des Yyrkoon (autres «girouettes» de talent !), les gaillards nous avaient déjà habitués à bien des revirements depuis les débuts plus black avec notamment Under the Smell of Chaos (2003) et In Excelsis Dementia (2004), très 'sympho' et empreints de noirceur dans leur approche. L'année suivante, le groupe amorcerait sur Synthetic Existence un virage plus 'death' et expéditif mais toujours relevé de claviers de plus en plus massifs, davantage orchestraux et grandiloquents, suivant en cela une forme d'évolution comparable à celle d'un Dimmu Borgir. On pensait la mue achevée et les influences totalement délaissées pour se faire leur propre place au soleil avec la parution de ce The Inside en 2008, plus 'growlant' et plus radical encore dans sa brutalité, faisant passer les claviers davantage au second plan. Or, nouveau contrepied à la sortie de XI Reasons to See il y a de cela deux ans : si la brutalité était encore et plus que jamais de mise, elle se teintait néanmoins de velléités ultra-mélodiques et  séductrices des plus flagrantes, parfois sans grande raison d'être et non sans un certain 'décalage'... Des claviers envoûteurs reprenaient ainsi du poil de la bête comme autant de chants de Sirènes, des éléments électroniques venaient occuper l'espace comme jamais auparavant, tout comme les incontournables refrains en chant semi-clair, de rigueur pourrait-on dire mais pourtant pas toujours à leur place dans la formule thrash/melodeath désormais proposée par nos Frenchies.

Alors, mettons-nous bien d'accord : nous ne sommes absolument pas réfractaires ni même ne serait-ce que frileux quant aux champs et perspectives d'évolution des groupes. Surtout quand, s'agissant de Destinity, le niveau de maîtrise technique et musicale ne souffre à ce point d'aucun reproche. Le tout est en effet mené comme depuis toujours tambour battant, avec une production léchée et une exécution impeccable, ainsi qu'une énergie et un style qui forcent le respect.
En revanche, nous nous montrerons un peu  plus circonspects quant aux réflexes (automatismes?) d'écriture dernièrement acquis, aux nouvelles inspirations/aspirations de nos Lyonnais... Car il y a quand même de quoi rager à l'heure où la France exporte de son savoir-faire (via les Gojira, Nightmare ou un Loudblast de retour en grande forme)  et de sa spécificité aussi -redorant à chaque fois un peu plus encore son blason sur la scène internationale- de voir qu'un tel combo ayant tout pour lui en vienne à préférer avoir tout pour plaire, quitte à perdre de ce qui faisait sa personnalité et son authenticité d'hier en misant plutôt sur l'efficacité de la formule et en s'alignant aujourd'hui sur des standards, notamment Suédois...
Et ce n'est malheureusement pas ce nouvel opus intitulé Resolve in Crimson qui va venir ici contredire mon propos.

 

Cette dernière offrande s'inscrit en effet dans la continuité directe de la précédente, à quelques différences notables toutefois : les tempos de manière générale se sont vus un poil ralentis (même s'ils restent encore très enlevés) et le jeu de batterie a globalement perdu en agressivité, se faisant moins mordant et plus abordable (voire "policé", marqué en tout cas d'un 'groove' qui fait mouche, dévoilant une nouvelle facette du batteur multi-cartes qu'est Morteüs), le ton se voulant ainsi plus chaleureux et communicatif, le propos davantage aéré et toute la place désormais laissée en revanche à des guitares mélodiques tranchantes, abrasives et ultra-bavardes.

Formule à priori gagnante, il faut bien le dire, car on imagine sans peine les malheurs que tout cela va faire en 'live' (domaine de prédilection de nos Lyonnais) : on pourra ainsi chronométrer à la seconde près les moments qui sur scène se verront rythmés par les "hey-hey-hey-hey" d'une foule haranguée par Mick (toujours aussi à l'aise dans ses phrasés gutturaux et mélodiques 'Swedish-like', mais avec un organe tout de même plus "chargé" et rocailleux encore...), mais également les moments plus recueillis où le frontman pourra lever les bras face à son audience et ouvrir grand les yeux tel un illuminé comme sur le final un poil trop pompeux et faussement recueilli de "Reap my Scars", ou bien encore les moments de headbanging stroboscopique à l'occasion de passes d'armes entre les deux guitaristes (dont Seb, un ancien d'In Arkadia...), le temps de solos débridés qui sont autant de prétextes aux déluges de notes et autres effets de manche à la milliseconde.

Bref, tout cela est parfaitement calibré et pas foncièrement très original, avec un parti pris donné à l'efficacité qui se révèle en revanche des plus réussis en la matière, pour un death plus récréatif que réellement créatif somme toute. Pourtant, jamais Destinity ne vient à tomber dans de l'amateurisme, bien au contraire : le groupe multiplie les prouesses instrumentales de haute voltige, et leur rendu et leur impact sont franchement épatants. Ainsi, l'entame du disque sur l'expéditif "Black Sun Rising" nous évoquerait le croisement entre le déchaînement instrumental d'un Illdisposed, d'un At the Gates ou d'un Darkane et le côté plus posé et conquérant d'un Amon Amarth, le tout sous l'égide mélodique omniprésente d'un Hypocrisy -rien que ça- , qui revient toujours à point nommé inscrire ces morceaux dans le cadre d'un format compact et rassembleur. 

Reste que même avec cette volonté affichée de déplacer les foules et les moyens habilement déployés pour ce faire, les passages en chant semi-clair de Mick épaulé par Morteüs (puisque je vous le disais.... "multicartes"!!...), toujours imprégnés de la 'patte Peter Tägtgren' dans Hypocrisy ou même Pain (les sonorités 'électro' et autres 'patterns' "dansants" abondent d'ailleurs aux moments les plus stratégiques), tendent hélas à tous se ressembler - à moins que ce soit mes oreilles qui en soient devenus trop flemmardes pour daigner y déceler les quelques nuances, allez savoir !... - , et sonneraient parfois plus artificiellement greffés que pertinemment intégrés au sein des compos. C'est tout juste s'ils sont un peu mieux amenés et cohérents au sein de l'efficace "Can't Stand the Sight", pensé quant à lui comme un titre à 200% 'catchy' et aux séduisantes mélodies presque «tout-public», mais qui à cause de ses plus de 7'30 au compteur -seule exception quand la moyenne des autres morceaux serait plutôt réglée autour des 4 minutes- se verra refuser une place pourtant toute trouvée de potentiel  'single' (ou bien alors sous la forme d'une éventuelle future version "edit" peut-être ?! ...).

Les quatre premiers titres se déroulent ainsi comme un restaurateur Bordelais ou Bourguignon alignerait sa carte des vins en se frottant les mains devant le touriste avide, avec l'assurance tranquille d'un succès garanti. C'est à peine si un "Aiming A Fist in Emnity" se démarquerait tout de même avec ce mémorable riff mélodique de nouveau empreint d'Hypocrisy mais avec la fibre épique d'un Amon Amarth cette fois encore, ainsi que la vigueur d'un In Flames de bonne mémoire sur les couplets. On vibre aussi à l'écoute de l'interlude acoustique et orchestrale (des plus appropriées cette fois !) du "Can't Stand the Sight" dont nous vous parlions plus haut, et qui sonne enfin l'incursion de thèmes mélancoliques et vraiment profonds (tels qu'on en retrouvera plus tard sur le brillant "Only Way"), dans un disque qui commençait singulièrement à manquer de fond à force de privilégier le creux de la forme.  
Car pour le reste, encore une fois disons que Destinity exploite principalement un schéma des plus classiques à base de couplets passés à un hachoir rythmique qui débite en saccades et de refrains plus alourdis, denses et racoleurs, dans une démarche rappelant pêle-mêle celles d'un Soilwork jadis ou des compagnons de label Nightrage il n'y a encore pas si longtemps...

 

 


Et il faut donc attendre "A Scent of Scorn", avec le renfort de Stéphane Buriez de Loudblast au second chant, pour sortir quelque peu de ce plaquage de formule sans guère de prises de risques, et retrouver un peu de la verve et de la rage que l'on apprécie tant chez Destinity.
A partir de cette seconde moitié d'album viendra ainsi poindre une plus grande rugosité dans leur thrash/death devenu nerveux et plus seulement exalté, évoquant alors les vieux Dark Tranquillity ("Redshift" allant même réveiller le doux souvenir du cultissime The Gallery par moments dans la virtuosité mélodique et harmonique effrénée de ses couplets), même si les breaks et refrains renvoient encore une fois à Hypocrisy avec même de plus en plus d'appels du pied à Pain...

On rage d'autant plus qu'un titre tel que l'excellent "The Hatred" (mis en première ligne sur le 'teaser' de l'album et l'on comprend aisément pourquoi...) vienne, comble du comble, en toute dernière position dans la tracklist, venant conclure tout en férocité désinhibée bien à propos et avec une dimension atmosphérique finale réellement prenante un Resolve in Crimson qui finissait par manquer cruellement d'un peu des deux.

Puisque l'on en était tout à l'heure à la section "invités", signalons que l'on retrouve aussi derrière les parties orchestrales le talentueux Pierre Le Pape (Wormfood, Melted Space, Embryonic Cells), toujours très appliqué et expansif (sachant toutefois aussi se faire discret), mais que l'on avait déjà connu plus inspiré encore, notamment dans des projets il est vrai davantage ouverts à des aspirations symphoniques.

Un petit mot encore également -si besoin en était- sur la production de l'album, une nouvelle fois donc confiée à Jacob Hansen (Volbeat, Hatesphere, Destruction, Pestilence et autant d'autres références en la matière qui parlent d'elles-mêmes...) pour un résultat optimal, certes policé mais conservant néanmoins ce grain de fièvre et de chaleur bienvenu qui tend à se perdre dans la mêlée melo de tous les groupes à tendances 'Scandinavrantes' aujourd'hui (de par leur sur-prolifération s'entend...). Alliée à une exécution sans faille et à un "cahier des charges" parfaitement rempli, elle explique notamment pourquoi malgré les réserves émises ma note ne saurait descendre trop bas, car on ne peut malgré tout que s'incliner devant autant de travail abattu et ce résultat qui dépotte et tient plus que franchement la route, quitte à en oublier les sacrifices et les compromis exigés en cours de chemin... Les Destinity n'y auront pas laissé toutes leurs plumes pour autant, loin s'en faut! 

 

... Destinés à casser la baraque donc, et il va falloir s'y résoudre tant c'est une évidence ! Mais à recommander en priorité aux fans die-hard du genre en ces temps de serrage de ceinture... Un cran au-dessus (tant dans la prod' et les riffs que dans la force de frappe!) par rapport au dernier Zonaria sorti également cette année en death melo (tout de même davantage Hypocrisien encore pour nos Suédois - normal, dirons-nous...), et également d'un meilleur équilibre au final que leur précédent XI Reasons to See (le disque de la rupture), même s'il pêche comme ce dernier par son manque d'originalité et de diversité au bout du compte. A écouter avant d'acheter, donc...
Pour ma part je passe donc mon tour, mais ne boudez pas votre plaisir, vous allez être nombreux à l'adorer !

 


LeBoucherSlave


 

7,5/10
 


Destinity promo band pic 2012 , Resolve in Crimson
 

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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