Fer et ... rock en fusion !
Toute ressemblance, gnagnagnagna-gnagnagnagnagnagna...
- « Monsieur l'ambassadeur, avec cette réception, vous nous avez vraiment gâtés...
- Oh, mais il vous en prie, très chère Comtesse de Pompompidouhour. Il est d'usage, vous devez le savoir, lorsque l'on se trouve être l'hôte d'invités de choix aussi prestigieux que son excellence le Baron de Chez, de revêtir nos plus beaux atours et de mettre à disposition des convives les mets et les victuailles de toute première main pour la circonstance, ne croyez-vous pas ? Ainsi que notre meilleur champagne...
- Si fait, si fait... En tout cas, je m'amuse follement ! Oh, n'est-ce pas là le Comte de Klonosphere?
- Mais oui, mais oui ! N'avez-vous point oublié que cette petite sauterie avait pour cadre le lancement du nouveau disque des "Last Barons", cet orchestre professionnel de saltimbanques Normands un peu farfelus que le Comte supervise de près - vous connaissez son altruisme... - , et dont notre cher Baron vient de terminer l'enregistrement, qu'il nous présente donc ce soir pour la première fois depuis sa sortie le 16 novembre dernier sur le label du Comte ?
- Mon Dieu, comme c'est excitant ! Et ce disque, qui a pour titre ?
- Cheval de Troie ... Garçon, resservez-m'en une coupe...
- "Cheval de Troie", holala-hohohohô, c'est formidable ! Nous voilà donc replongés dans les grandes épopées héroïques d'Ulysse, d'Hector et de Cassandre... Oh, j'adhère complètement.
- Avant de coller tout à fait, ma chère Comtesse, il faudrait que vous sachiâsses que ledit opus est davantage un album que l'on pourrait qualifier de "fusion" des genres... Et que la symbolique du massif cheval de bois en guise de leurre ne serait en fait qu'une métaphore pour caractériser l'aspect imposant et énigmatique de cet édifice musical, dont seule une investigation volontaire et poussée permettrait d'en déceler tous les secrets qu'il recèle. D'ailleurs, à défaut de cheval de bataille n'est-ce pas plutôt là un pachyderme au premier abord intimidant que nous voyons sur la pochette de ce disque?... Petit clin d'oeil en fait à leur précédent album de 2010, que la presse spécialisée avait déjà unanimement saluée à l'époque, peut-être vous rappelez-vous de cet article du brillant critique littéraire et musical Sanguinsski -italien ou polonais je crois-, et qui avait pour nom Elephantyasis...
- Oh, mais suis-je donc bête, où avais-je la tête ? Mais évidemment, évidemment... Et nous savons tous qu'un éléphant, ça trompe énormément, ohahôhohoho.... Nul doute que ce disque est donc plein de surprises, et il va aller encore plus loin que son prédécesseur, je subodore ! De la 'fusion', alors, mais ce n'est pas plutôt de la musique de jeunes, ça ?
- Non, non, très chère, lorsque vous entendez ce mot n'allez surtout pas penser qu'il s'agit d'un genre impersonnel et tout à fait synthétique, comme ces musiques électroniques assourdissantes sur lesquelles les jeunes désoeuvrés vont faire leurs gesticulations tribales le samedi soir... Si le registre pratiqué par ces Last Barons se veut tout aussi divertissant, souvent dansant même -oui,oui, qui swingue!-, c'est avant tout une musique très 'humaine' cette fois, incarnée et qui a quelque chose à nous dire de sa complexité, emplie d'émotions organiques, viscérales et purement sensorielles, qui viennent faire frémir en nous cette petite fibre de sensibilité à fleur de peau et de détresse salutaire...
- Monsieur l'ambassadeur, vous auriez pu faire un parfait membre de jury, vous savez pour ces espèces de émissions télé musicales débilitantes ! C'est un grand n'importe quoi ce charabia! Hohohohôhoho, vous me rappelez les écrits de cet énergumène de chroniqueur russe, slovaque ou je ne sais plus quoi, là...
- Oh, Madame la Comtesse, voilà que vous m'avez démasqué! Certes, je me suis laissé un peu emporter. Ce ne sont pas là les bulles qui me montent à la tête, n'ayez crainte... Reste que je tenais vraiment à souligner cette dichotomie récurrente chez eux, entre ce côté faussement 'détaché', follement divertissant et sans retenue de leur jeu, et à l'inverse le ton sérieux, grave et torturé du disque, ces images qu'ils appellent et les échos et réactions qu'ils réveillent en chacun de nous. Un peu comme des clowns froids qui tendraient en notre direction un miroir pour nous révéler le vrai spectacle de nos propres incertitudes et de nos contradictions. Et qui, ce faisant (excellente table de gibier au passage, aviez-vous remarqué?...), se joueraient des codes en vigueur pour mieux les réécrire.
Bref, à recommander aux jeunes amateurs de ce genre d'incartades schizophréniques et sans aucunes contraintes, qui rechercheraient dans un premier temps une expérience tout de même moins extrême, théâtralisée, moins radicalement outrancière et traumatisante aussi, plus 'rock' et abordable que le cadre et la démarche d'un Sleepytime Gorilla Museum en somme. Mais ce côté 'froid' et hermétique qu'ils peuvent dégager par moments, si l'on ne cherche pas à aller plus loin, n'est absolument pas à mettre sur le compte d'une dimension 'prog' ni - je le redis - d'une quelconque approche 'industrielle' de leur musique... Il ne faut pas en celà se fier aux 'patterns' appuyés et martelants de "Cosmogeny and Dimensions of the Mind" (et sa guitare hachée presque claustrophobique), ni à cette entame d'album trompeuse sur ce "Shaman's Warning Song" (qui ainsi porte bien son nom!), qui se trouverait là simplement comme une longue litanie introductrice, une sorte d'incantation désabusée digne d'un Marilyn Manson de l'ancienne époque, mais sur fond de bruitages dissonants, une guitare écrasante, et en arrière-plan la 'lead' sifflante et les arpèges plaintifs d'un Dany Cavannagh d'Anathema ou d'un René Rutten de The Gathering... Il ne s'agit là que d'incursions passagères propres à brouiller les pistes (une de leurs spécialités!).
- J'avais bien entendu, mon cher ambassadeur, j'avais bien entendu. Même si vous vous mettez à parler là une bien drôle de langue... Oh, mais attendez, qui voilà encore, on dirait que d'autres invités de marque ont été également conviés, qui est-ce donc là?
- Vous voulez dire le général Mike Patton, cette célèbre figure historique délirante qui s'est notamment illustrée lors des opérations Faith No More, Fantomas et autres Mr Bungle? Oui, oui, c'est bien lui... Et rien d'anormal à ce qu'il se sente tout à fait à sa place en ce lieu, tant ce disque, notamment au détours de nombreuses parties vocales, rend un hommage régulier aux interventions de notre fier héros sur le terrain, il vous suffira de jeter une oreille en particulier sur le titre "The Violent Kind", c'est tout à fait parlant et les Last Barons n'ont d'ailleurs jamais caché leur admiration pour l'ensemble de ses faits d'armes. Mais vous trouverez également des clins d'oeil, sur un titre énergique et remonté comme "Rubber Boots", au tandem de réfugiés arméniens de l'ONG System Of A Down, la paire Daron Malakian/Serj Tankian (ou même ce que peut faire aujourd'hui ce dernier de sa propre initiative en solitaire, se référer alors au plus 'pop' "Hidden Sun"...).
Vous aurez compris que ce n'est pas la sobriété vocale qui anime particulièrement Julien Soler, le talentueux et mirifique chanteur des Last Barons !... Quand je vous aurai dit que vous allez certainement avoir le loisir de croiser aussi à cette réception le notable Devin Townsend et l'impayable Mattias 'IA' Eklundh de Freak Kitchen, qui ont dû tous deux se reconnaître également dans la facette récréative et "fun" de certains plans de guitares, certaines sonorités utilisées et autres rythmes bien souvent déployés sur ce disque ("Rubber Boots" et "Hidden Sun" encore une fois - ou les cuivres sont carrément de sortie! -, "Going to Varzi" et ses plans 'bluesy' voire 'jazzy', ou encore un "A Last Devotchka" qui vient même chatouiller Tenacious D par moments, tout comme lors des nombreux passages acoustiques de ce disue...), vous saurez que si on n'est pas non plus en présence d'une fanfare "barrée" façon Diablo Swing Orchestra, nous sommes loin d'être tombés sur des psycho-rigides pour autant !
- Mais vous les disiez "graves"...
- Toute la magie de cet album réside en fait dans l'équilibre qui a su être trouvé entre le stoner rock groovy d'un Queens of the Stone Age avec des touches de "psyché", la 'vibe' touche-à-tout d'un Stone Temple Pilots, les riffs efficaces d'un Headcharger si l'on prend la scène métal/rock plus moderne et rentre-dedans, mais aussi le 'grunge' quand même plus sombre, profond et torturé de l'école Alice in Chains avec Layne Staley (vous savez, un peu le Black Sabbath de la génération Nirvana, en quelque sorte...) sur des titres comme "Nomad Soul" et "Soul Grinder" (tout autant d'états d' «âme»...), et les idées les plus folles qui peuvent leur passer par la tête, afin que leur musique ne reste pas figée dans les mêmes paradigmes dans lesquels l'humain l'enferme. Lorsque l'on suit cette même logique, c'est 'par' "l'humain" que l'humain peut l'en délivrer et s'en libérer !... Et le résultat est tout bonnement saisissant, à l'image de ce renversant "Hidden Sun" (encore et toujours...) : des cuivres déroutants viennent donc se mêler à des notes de claviers, discrètes (évoquant ici un peu le Cure de la période Disintegration) et dont pourtant - une constante de ce disque... - l'absence ne passerait pas inaperçue, de même des lignes de guitare 'funk' (ou que l'on croirait réchappées du "Let's Dance" de David Bowie !) viennent aérer des chappes de rythmiques plombées tandis que les choeurs, eux seraient plutôt 'soul' ou iraient carrément tendre du côté de Martin Gore chez Depeche Mode ! Un 'melting-pot' improbable et qui fonctionne pourtant sans raccords ni aucun accroc...
- Monsieur l'ambassadeur, je ne suis pas sûre de bien vous comprendre ni même de vous suivre... Garçon! Avez-vous servi un brin trop de champagne à l'ambassadeur?!
- Chère Comtesse, ma mie, ne m'interrompez pas et sachez que je suis ici incognito, ne me faites donc pas remarquer... Sinon, je n'aurai pas le temps d'évoquer non plus les lignes de guitares mélodiques "western" dignes d'Ennio Morricone ou des Shadows (!) sur un titre pourtant ultra-plombé comme "The Violent Kind" et son refrain qui aurait fait un malheur chez Faith No More dans la glorieuse décennie 90's, ni d'"Anthik Technik" et de son rythme caractéristique entre fox-trot et marche militaire (!), ni enfin des petites voix fantomatiques sur fond d'arpèges gothiques réglés et accordés comme un orgue macabre sur "Cosmogeny and Dimensions of the Mind"...
Autant de petites trouvailles qui ne sont aucunement, comme on aurait pu le craindre, des artifices pour combler un vide au niveau de l'écriture - que nenni - , au contraire les refrains par exemple reviennent fréquemment à la charge rééquilibrer la donne et sont toujours des plus réjouissants, tout comme les multiples couches vocales (on notera le 'guest' de Christian Draghi des Doctor Cyclops, power-trio déjanté de heavy/rock 70's, sur "Going to Varzy"... bah il y est allé!), l'inspiration au niveau des riffs et le songwriting proprement dit. Et le seul petit reproche que l'on pourrait faire à de rares occasions (on ne s'attardera pas ici sur ce "From Beyond" instrumental de moins d'une minute, à base de piano conjuguant la musique classique au 'bluesy' macabre, qui aurait pu être largement davantage développé!) serait plutôt lorsque les Last Barons restent dans un registre un peu trop prévisible ou trop fidèle à leurs influences, ou à l'inverse s'adonnent sporadiquement à de l'exercice de style en guise d'alibi... Il y a aussi lorsque Soler, pourtant capable des plus extensibles des modulations, se cantonne à un registre trop morne, quitte à le rendre monotone, renfrogné tandis que ses camarades de jeu ne demandent qu'à lâcher la bride. Mais dans l'ensemble les grosses bonnes surprises viennent éclipser les moindres.
Et ce Cheval de Troie, finalement après s'être ébroué, s'achève sans surenchère sur une sublime ballade en partie jouée sur une acoustique 12-cordes, "End of the Beauty", qui semble déplorer cette dernière sous les allures d'un 'spleen' brumeux, mais dont les violons menaçants et le fade-out semblent surtout nous avertir du danger de perdre définitivement cette notion de beauté dans un monde devenu monstre incontrôlable et déchiré par l'hideux. Heureusement, l'Art est beau, lui, et les Last Barons ont contribué par cette oeuvre à le rendre encore davantage, en tenant en permanence les rênes et en contrôlant ainsi l'hybride qu'ils ont réussi à créer. C'est beau, à la fin, la complexité de l'âme humaine transposée brillamment en musique, plus beau que tes bijoux et ta sophistication surfaite, vieille Comtesse de mes f***** ...
- Monsieur l'ambassadeur, vous êtes ivre !
- Oui, bah m**** , hein... La prochaine fois, je me mettrai plutôt une caisse aux 'Mon chéri'.... »
Lord Boucher de la Salve
8,5/10