En ce lundi 10 décembre 2012, l’arrivée au Bataclan nous dévoile une devanture pour le moins énigmatique : « DTP + FF ». Mais il faut dire que le statut culte des formations de ce soir permet l’usage de leurs initiales seules !
Cependant, ce ne sont pas simplement deux groupes qui joueront, un troisième bien connu de notre public se produira ainsi en première partie pour une affiche quelque peu royale.
DAGOBA
Dans un Bataclan plein comme un œuf, nos Dagoba nationaux arrivent donc pour présenter un hors d’œuvre appétissant au show de ce soir. Au fil de six titres, principalement extraits de l’album What Hell Is About, la formation marseillaise s’efforce de chauffer un public plutôt réceptif.
L’énergie est bonne, les morceaux de qualité, et le groupe ne déroge pas à sa mission, à savoir : ouvrir le bal avec entrain. Mais malgré beaucoup de bonne volonté, une prestation convaincante de la part de Shawter au chant, et un excellent Franky Costanza à la batterie, on sent que le tout peine tout de même à décoller. Guitare et basse bien trop en arrière, un jeu de scène plutôt minimaliste, et un son qui pourrait être nettement meilleur achèvent de nous laisser sur notre faim.
On attend avec impatience de revoir le groupe dans de meilleures conditions, et pour un programme à eux seuls.
Setlist :
The Nightfall And All Its Mistakes (Face The Colossus)
The Man You’re Not (What Hell Is About)
Black Smokers (Poseidon)
It’s All About Time (What Hell Is About)
The Things Within (What Hell Is About)
The White Guy (And The Black Ceremony) (Dagoba)
FEAR FACTORY
L’usine de la peur se profile sur lumières bleues et trame futuriste. Les pionniers du death metal indus lancent les hostilités par "The Industrialist", tiré de leur album éponyme sorti cette année. « Nous sommes Fear Factory et nous comptons parmi les fiers représentants du metal indus » comme l’indique le chanteur Burton C. Bell, qui affiche ainsi fièrement les couleurs du groupe. "Shock" extrait de l’excellent Obsolete (1998) et son riff emblématique de guitare font instantanément sauter les gens dans l’assistance. Burton scande « Welcome To My World », et nous dévoile leur monde post-apocalyptique qui se veut une mise en musique et une mise en scène géante de la science d’anticipation, et d’œuvres telles que 1984 de George Orwell, La Guerre Des Mondes de H.G. Wells, et l’univers de Ray Bradbury pour la littérature ; Terminator, Total Recall ou encore Robocop pour le cinéma.
La formation américaine enchaîne avec "Edgecrusher" et "Smasher / Devourer", extraits toujours de leur plus gros succès commercial pour l’heure (l’album Obsolete), deux titres qui mettent en scène les personnages crées par Burton au fil de cet excellent concept-album (et dont les noms correspondent aux titres). Sur ce dernier titre, le charismatique texan invite le public à reprendre avec lui : « I am the way, prepare for salvation », et l’on est bercé inéluctablement par la réminiscence de cette voix prophétique et glaciale qui scande ces refrains mélodiques aux slogans forts, au fil de sa discographie métissée (et tumultueuse en terme de line-up). Car il faut savoir que Mr B est le premier à avoir allié chant death et chant clair (globalement : chant guttural sur les couplets, et chant clair sur les refrains), il est le pionnier de cette signature vocale, reprise maintes fois par la suite (par notamment Robb Flynn qui avoue avoir été totalement inspiré par cette approche pour aborder sa musique).
Le titre "Powershifter", extrait de l’album Mechanize (qui a vu en 2010 le retour du guitariste originel Dino Cazares) est puissant et accrocheur, mais laisse apparaître des failles au niveau de la batterie. Ces parties ont certes été conçues par Gene Hoglan (Death, Testament, Strapping Young Lad, Opeth…), la barre étant ainsi placée très haut avec un prédécesseur comme celui-ci (mais également comme Raymond Herrera, le batteur originel du groupe) cependant on ne peut reprocher à l’audience de ce soir (composée en grande partie de musiciens) d’attendre beaucoup plus d’une formation aussi culte. Malgré toute la magie procurée par le bonheur de revoir Fear Factory sur scène pour beaucoup présents ce soir (votre serviteur inclus), on ne peut que signaler ce bémol. On sent entre autre, bien que toujours inspiré et engagé, un Burton très fatigué. En effet, si sa voix death donne toujours le frisson, sa voix claire en revanche défaille. Il peine à la placer sur les passages mélodiques, et l’on sent que celle-ci est volontairement sous-mixée afin de camoufler les pots cassés. Les plus jeunes générations, ayant grandi au son des Static X, Killswitch Engaged, Soilwork, Scarve (pour n’en citer qu’une poignée) manquent d’être réellement impressionnés par la formation américaine, et ainsi de saisir l’impact que leur musique a eu sur la scène metal. Nous sommes ce soir en présence des géniteurs du death metal mélodique, et l’on est en droit d’attendre une prestation irréprochable, qui remettrait les pendules à l’heure et réattribuerait à la formation son sceptre.
"Linchpin", le titre le plus « commercial » de la discographie du groupe (extrait d’un Digimortal qui avait divisé les fans en 2001) met tout le monde d’accord et fait bouger une mer de têtes. Même les plus réfractaires se laisseront convaincre par son groove irrésistible à la Body Count. "Recharger", extrait du dernier album, consolide cette veine. Retour vingt ans en arrière avec le titre "Martyr "extrait de Soul Of A New Machine. Dino Cazares prend le micro pour annoncer que la suite du programme de ce soir sera placée sous le signe de Demanufacture, l’album culte du groupe, sorti en 1996 et ayant fait un carton à sa sortie, donnant à la formation sa place sur des festivals très convoités comme le Ozzfest d’Ozzy Osbourne, faisant office d’adoubement à l’époque. Un bonheur pour les fans, puisque nos américains choisiront de jouer pas moins de quatre titres extraits de ce chef d’œuvre : "Demanufacture", "Self Bias Resistor", "Zero Signal" et "Replica". Un énorme circle pit se forme à la demande de Dino, et l’énergie circule partout. « My life a disarray, I – I - fade away ! ». Le tube "Replica", et son thème abordant le clonage, vient clore le programme et combler de nombreux fans de la première heure présents ce soir.
Au-delà de la dimension intellectuelle et de la profonde réflexion qu’inspire le propos du groupe, la musique de Fear Factory est essentiellement groovy, avec des refrains contenant des slogans forts très agréables à reprendre, des riffs de guitare, des lignes de basse et des parties de batterie emblématiques. C’est une musique très forte en live, aussi on pourra nettement déplorer cette histoire de batterie pas carrée, ainsi que la voix fatiguée de Burton, qui ne rendront ce soir-là pas justice à la maestria de leur musique. On entendra également certains dans la salle contester la cohérence de l’affiche : car si les deux formations possèdent de nombreux points communs, et qu’on leur sait une affection commune (Devin Townsend avouera lui-même pendant son set, et de manière très chic, avoir été influencé par la musique de Fear Factory qui aurait selon ses dires « changé sa vie »), et même s’il est vrai que les deux styles sont proches voire cousins, leur rendu sur scène est en revanche très différent, et l’approche du public en va de pair. Mais pour les nombreux fans des deux groupes, le point commun qui unit leurs musiques respectives comblera les cœurs : une musique à la fois intellectuelle et instinctive, qui pousse aux confins de la psyché, analyse la notion même d’humanité (chacun à sa manière), le statut de l’homme. Une mise en abyme en musique, complexe, substantielle et merveilleusement recherchée.
Setlist :
The Industrialist (The Industrialist)
Shock (Obsolete)
Edgecrusher (Obsolete)
Smasher / Devourer (Obsolete)
Powershifter (Mechanize)
Linchpin (Digimortal)
Recharger (The Industrialist)
Martyr (Soul Of A New Machine)
Demanufacture (Demanufacture)
Self Bias Resistor (Demanufacture)
Zero Signal (Demanufacture)
Replica (Demanufacture)
DEVIN TOWNSEND PROJECT
La transition vers le Devin Townsend Project s’amorce de la manière la plus inattendue qui soit : pendant le changement de set, des créatures de bande dessinée dansent et chantent de manière intempestive sur la toile de fond, dans un univers tordu, distordu et paranoïaque. C’est dans ce contexte étrange, et sous des spotlights criards jaunes et verts qu’arrive notre ami Canadien. "Supercrush" ouvre comme à l’accoutumée le show, et Devin de capturer l’attention du public avec ses expressions faciales pour le moins singulières, tel un mime, à la fois malsain et attachant. Au tour de la rythmique super carrée de "OM" de soulèver le public. On peut néanmoins noter, et ce au détriment d’une performance remarquable de musiciens très en place, un son pour le moins étouffé en fosse. Des basses trop imposantes et une guitare trop en arrière au début, ne laissent pas l’opportunité de profiter pleinement du solo de Devin sur "Planet Of The Apes" (et son clin d’œil au groupe Meshuggah sur la toile de fond), morceau sur lequel ses tendances contradictoires trouvent leur expression la plus symbolique. La chorégraphie pop du groupe invite le public à danser également, et sans complexes.
Un havre de paix s’instaure provisoirement avec la ballade "Where We Belong", extraite du dernier album, Epicloud. La voix d’Anneke Van Giersbergen surgit comme un lointain écho, et vient nous hanter le temps de cet interlude. Mais le sublime oscille vite vers le démentiel avec les titres "War" et ses visuels à la fois enfantins et étranges, puis "Vampira". Des squelettes dansants et la voix sublime de Devin, qui couronne le tout d’une magnifique envolée solo de guitare. Pourtant hypnotisé par moments par le déluge sonore qui s’offre à ses oreilles, le public est régulièrement sollicité pour danser. Constamment sur le fil du rasoir, le show prend tantôt des allures pop et rassurantes, pour sombrer aussitôt dans un psychédélisme flippant. Devin, qui n’a pas peur du ridicule, fait bouger le public comme des marionnettes : « You guys are ready to be lame ? » (« est-ce que vous êtes prêts à vous rendre ridicules ? ») Il ajuste des oreilles noires de panda sur sa tête et lance "Lucky Animals", extrait d’Epicloud encore. Très bien interprété et épique, comme le titre de l’album le suggère. Le titre "Juular" suit cette dynamique antinomique, avec son rythme haletant qui nous emmène dans les confins de la psyché, au fil de la course effrénée du train en toile de fond (qui reprend le thème du clip officiel de la chanson).
Mais selon Devin, les metalleux, en dépit de leur apparence hargneuse sont en réalité des âmes sensibles, ainsi l’instant de "Grace" vient apaiser cette quête aliénante, et sur fond de lumières blanches, apporter la trêve. "Deep Peace" amène le programme de ce soir vers une clôture en beauté et en douceur, et nous berce avec la guitare inspirée de Devin et son son transcendantal. Mais comme toujours, l’accalmie est suivie par "Bad Devil" et son boogie endiablé, qui fera danser une dernière fois l’assistance, constamment ballotée entre les hauts et les bas du voyage dans la conscience de l’artiste, qui ne laisse jamais son public retomber. Portée par un groupe réalisant un sans-faute, scéniquement et musicalement, une rythmique béton, un excellent Ryan Van Poederooyen à la batterie et un Devin grandiose, la musique chaotique trouve une échappatoire saine, tout en laissant apparaître des bribes de sa charge humoristique et de son message positif. A la fois sublime et malsain, le fou génial nous fait valser au gré de ses humeurs borderline. Torturé, bipolaire, et remarquablement porté sur scène. Du grand Devin.
Setlist :
Supercrush (Addicted)
Truth (Infinity)
OM (Christeen)
Planet Of The Apes (Deconstruction)
Where We Belong (Epicloud)
War (Infinity)
Vampira (Synchestra)
Lucky Animals (Epicloud)
Julaar (Deconstruction)
Grace (Epicloud)
Deep Peace (Terria)
Bad Devil (Infinity)
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http://www.yog-photography.com
Photos : © 2012 Nidhal Marzouk / Yog Photography
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