Quand on voit le nom de Pythia, on se dit que cette formation british tend franchement le bâton pour se faire battre quand on parle le français. Suffit de voir les jeux de mots de notre rédacteur en chef Ju de Melon pour se rendre compte qu'il n'est pas facile de porter un tel patronyme en nos contrées francophones. Vous voulez un exemple de sa subtilité merveilleuse, de ses blagues magnifiques ? « Ce groupe là, il a pas intérêt à faire pitié ! ». Mais tout le monde y pensait déjà, de toute façon. Non vous ne pouvez le nier, vous êtes coupables ! Bref, c'est pas entièrement votre responsabilité, j'avoue. Mais qu'est-ce qu'ils valent alors ? Sont ils aussi pitoyables que leur nom l'indique ? Hé bien … quand on se fie au line-up, on remarque qu'ils comptent dans leurs rangs Emily Alice Ovenden, ayant une réputation hors-metal au sein de Medieval Baebes. Intéressant tout ça … Second opus du nom de The Serpent's Curse en 2012, celui-ci succède à Beneath the Veiled Embrace.
Et dès l'opener « Cry of Our Nation », le groupe nous offre un léger condensé de ce qui sera proposé lors de la suite des événements : c'est épique, c'est rapide et puissant, du power metal pur jus. La formation joue carte sur table dès les premières minutes au risque de prendre l'auditeur pour un con en lui faisant croire qu'il ne s'agit que d'un coup de bluff avant la déception qui va arriver. Dans tous les cas, le combo lâche les chevaux et ouvre les hostilités par une piste qui démontre à quel point le sextet a fait des progrès et gagné en maturité. Il semblerait même que tout le potentiel qui pouvait s'entrevoir sur la précédente galette est parfaitement concrétisé. Bien que délaissant l'originalité, les britanniques brandissent la bannière du speed mélodique à claviers dans un titre où la guitare est la reine. Prête à être intronisée, elle nous délivre une flopée de riffs acérés, à une forte cadence, histoire de dire que même s'il y a une voix féminine, ce n'est pas l'aspect symphonique qui va primer. Rassurez-vous, chers lecteurs, cette facette restera majoritaire dans tout le reste du disque. Les anglais ont compris que dans un terrain miné comme celui du metal sympho à chanteuse, il faut se coltiner la référence Nightwish. Et des finlandais, Pythia en possède quelques petites caractéristiques. Pensez surtout à la période Oceanborn, mais moins axée sur le clavier et plus sur les instruments à cordes pincées. Vous voyez le topo ?
Le souci, c'est qu'on pourrait penser qu'une fois ce cap passé, la suite serait ponctuée de quelques déceptions. La réponse est oui … et non à la fois. Difficile d'analyser ce The Serpent's Curse qui, avouons-le, reste en moult points une grande réussite et tient bien la longueur grâce à ses mélodies variées, ses refrains entêtants (« Cry of Our Nation » et « Heartless » vous resteront en tête pendant des décennies), sa technicité alliée à sa simplicité et à la voix d'Emily, chanteuse de premier plan qui évolue dans un registre lyrique côtoyant les meilleures vocalistes actuelles dans le sympho / power. Oui mais … c'est là qu'on va commencer à annoncer les pointes de négativité, la plus préjudiciable restant certainement le manque flagrant d'originalité de ce brûlot. Difficile de s'imposer quand on pratique du power metal, à chanteuse qui plus est, sur des terrains ultra-balisés. Il y a deux façons de s'en sortir : larguer une petite bombe qui fera parler d'elle pendant quelques temps, ou trouver sa propre identité (bien que cette solution ne garantisse en rien la renommée, juste une intégrité musicale). Pythia ne verse ni dans l'un, ni dans l'autre. Toutefois, la première catégorie est atteinte du bout des doigts de temps en temps grâce à des moments de fulgurance assez excellents sur les bords. Du single « Betray My Heart » à la plus mid-tempo « Kissing the Knife » ou « The Circle », les atouts ne manquent pas. Seulement, « Cry of Our Nation » à part, ces morceaux deviendront-ils des imparables ? Là, le doute s'installe subitement. Être bon et savoir jouer / composer ne fait pas tout, il faut parfois amener l'ambition à la recette comme ingrédient pour que le plat ait son goût si particulier.
Ready for the fight ! Where are our enemies ?
Qui plus est, tout aurait été couronné de succès si tous les morceaux valaient le coup. Ce n'est pas le cas, ce qui explique qu'on zappera aisément « Long Live the King » et « My Perfect Enemy », manquant d'inspiration et / ou d'accroche. Et c'est bien dommage, surtout quand on sait à quel point ces anglais-là sont des machines à aligner les pépites du power quand ils le souhaitent. Surtout, merci, ils évitent l'écueil de la ballade cliché. Voir de la ballade tout court, en fait. Quelques titres ont des moments d'accalmie, mais cela ne dure pas toujours car la tempête succède toujours à la tranquillité. C'est ce qui s'illustre sur un autre titre de grande qualité qu'est « Dark Star ». Difficile d'accès au début, cette piste révèle ses charmes au fur et à mesure, grâce à son clavier polyvalent, sa montée en puissance et sa structure modulée, et bien sûr à l'alliance de tous les musiciens qui parviennent à recréer une atmosphère envoûtante. Mention spéciale à Emily qui sublime littéralement le titre, par quelques chœurs ou tonalités plus chaudes, qu'elle n'hésite pas à contrebalancer par des envolées et montées réussies, mais surtout par sa conviction. La technique de la jeune femme est un point fort qui n'est pas négligeable. Là où elle peut manquer de puissance, elle le rattrape sur sa forte expressivité et sa capacité à s'imprégner des titres. La belle est en osmose totale avec ce qu'elle chante, et sauverait presque les meubles sur la décevante « Long Live the King ». Presque.
Pythia aime jouer avec les ambiances. Et Ô merveille, si le clavier a une part importante dans la musique délivrée par les six compères, il n'est pas seul. Quelques teintes médiévales se font ressentir de temps en temps pour le plus grand bonheur de nos cages à miel. Et quand elles sont prédominantes, cela donne « The Circle », un titre assez inhabituel pour leur genre, contrastant avec une bonne partie de la galette. Ici, pas de point d'orgue mais juste une belle continuité, le morceau préférant jouer sur un tout et non sur une seule section de la musique. Les capacités d'Emily sont, une fois de plus, mises à l'épreuve, dont elle se tire avec brio. Sur « Heartless », où l'accent est mis sur la rythmique power / speed, la demoiselle sait comment placer sa voix là où il faut, sans en faire des tonnes, et ça fonctionne ! Puisqu'on parle de bons morceaux (vous avez de la chance, ils sont nombreux !), « Our Forgotten Land » possède quelques traits qui sont communs à « Cry of Our Nation » ou « Dark Star ». Coïncidence ? Ce sont les trois plus longues pistes de l'album. Et à part ça ? « Our Forgotten Land » conclue The Serpent's Curse aussi bien que « Cry of Our Nation » démarrait. Mais différemment : « Our Forgotten Land » se la joue un peu à la « The Circle », se reposant en grande partie sur son ambiance mystérieuse (merci les chœurs et la versatilité exemplaire d'Emily Ovenden qui va même chercher dans un excellent registre agressif) et chevaleresque.
Une fois l'écoute de The Serpent's Curse terminée, il est assez aisé de dresser un constat : c'était très bon. Quelques petits écarts peinent à entacher un bilan plus que prometteur. Car là où Pythia fait fort, c'est sur le potentiel que ce groupe laisse entrevoir. Les jeunes anglais maîtrisent énormément de points qui sont encore des lacunes pour moult formations plus confirmées et avec un bagage beaucoup plus important. Ce qui impressionne ainsi, c'est leur maturité. Et s'il leur faut désormais trouver leur petit truc plus à eux pour définitivement laisser une trace dans le power metal, gageons que cet objectif sera atteint très rapidement : après tout, à l'écoute de quelques pistes présentes ici, difficile de penser le contraire. Attention talent !