*Voici la deuxième chronique de l'ami auditeur/lecteur Eddy Elrich qui remet le couvert moins d'un mois après nous avoir parlé du dernier album de Eyefear. Il s'attaque cette fois-ci à du thrash US, un de ses albums de l'année 2012 sorti chez Pulverised Records. Entre flashback et actualité, afin que celui-ci ne soit pas oublié...*
Aborder la vague de revival actuelle lorsque l’on s’apprête à présenter un album de groupe tel que Hexen, formation thrash californienne crée en 2003, semble être un exercice de style quasiment obligatoire. En effet, les jeunots de Los Angeles se sont illustrés dans un registre purement thrash et solidement influencé par leurs ainés lors de leur premier effort, State of Insurgency, et malgré les réserves émises par le leader Andre Hartoonian dans les interviews, il était difficile de ne pas affilier son groupe à la mouvance revival qui, si elle peut réveiller de bons souvenirs, peine à se démarquer des compositions des pères du genre. Néanmoins, il faut admettre que State of Insurgency se plaçait dans le haut du panier du style notamment grâce à ses structures alambiquées, ses thèmes sociaux loin des délires d’un Municipal Waste et ses soli inspirés et mélodiques. Prendre son pied sur du old school, avoir sa dose de headbang avec cependant une certaine sensation de déjà-entendu, voilà les attentes que nous placions dans Being and Nothingness, successeur de State of Insurgency.
Inutile de préciser l’intensité de la claque prise au moment d’insérer le CD dans la platine. Car Hexen n’a pas pris quatre ans à préparer son offrande pour rien. C’est simple, la meilleure façon de situer Being And Nothingness par rapport à State Of Insurgency serait de dire qu’absolument tout a été amélioré. A commencer par la pochette. Si l’on ne peut nier le talent et l’apport au metal d’Ed Repka qui a à son actif des artwork aussi légendaires que Rust In Peace (Megadeth) ou Leprosy (Death), son travail reste très ancré dans les 80s et si cela était en parfait accord avec le revival d’un Hell On Earth de Toxic Holocaust, Hazardous Mutation de Municipal Waste ou du premier Hexen, ses trois pochettes véhiculent une image assez kitsch en décalage avec le message d’Hexen sur ce Being And Nothingness. C’est donc à un graphiste plus actuel et loin du thrash que les californiens font appel en la personne de Necrolord qui a travaillé avec, entre autres, Dark Tranquillity, Dissection ou Ensiferum. Et le résultat est probant car ce bleu nuit spatial est ce qui a attiré l’œil de votre serviteur au milieu de ces artwork anonymes et identiques qui jonchent la scène thrash.
Enfin, une belle pochette ne vaut rien si elle ne s’accorde pas avec la musique et l’intro "Macrocosm" efface tous nos doutes à ce sujet. Clavier, cymbales et basses créent une ambiance mélancolique avant que les leads de la paire Dorian/Tavaratysan nous plonge dans une torpeur qui ne demande qu’à être brisée par les shred morbides ouvrant "Grave New World". Ce premier titre présente la voie choisie par Hexen. On songe tout d’abord au Human de Death puis le riff nous renvoie à un thrash technique et sombre d’un Coroner, le tout nuancé par un clavier perturbant sans être envahissant. Arrive alors le chant d’Andre Hartoonian et là encore, un pas a été franchi par rapport à State Of Insurgency, le bonhomme a pris du coffre et gagné en profondeur, s’émancipant du côté « révolté saoulard » du précédent opus. Le groupe n’oublie pas son amour du heavy et c’est un riff purement groovy qui prépare un refrain aux chœurs bien vindicatifs comme on les aime. Lors d’un break entre deux solos, Hartoonian pousse sa voix dans ses tonalités les plus graves (on frôle le growl) avant que nos gratteux se défoulent avec des solos dignes de Chuck Schuldiner tandis que les premiers (et rares) blast de l’album se font entendre. Le groupe poussera son penchant death-metal à son paroxysme sur "Private Hell", morceau le plus violent de l’album où l’on pourra là aussi entendre quelques blasts et où le chant sera d’une force certaine, notamment sur le refrain, déversant toute sa rage.
Mais ne nous égarons pas, les multiples incursions death metal old school ne doivent pas occulter la base thrash de cet opus. Et que les thrasheur se rassurent, si Being And Nothingness, est un album dense méritant de multiples écoutes, Hexen sait aussi se montrer direct et envoyer la sauce. "Walk As Many, Stand As One" est une pure tuerie qui saura remuer une fosse comme il se doit. Entre le riffing implacable du Kreator d’Extreme Agression et les chœurs jouissifs d’un Testament, Hartoonian déballe toute sa hargne et ses revendications libertaires avant d’envoyer un refrain qui saura fédérer les foules. Indefinite Archetype joue la carte d’un thrash plus ambiancé et lourd avec un riff implacable invitant à un headbang lent, calmé par l’incursion d’arpèges et de claviers. Les solos sont des perles sur ce morceau, alternant entre dissonance death metal et phrasé néo-classique à la Jason Becker. "Steam Of Unconsciousness" évolue lui aussi dans un registre ambigu, rapide et furieux sur les couplets et pesant sur le refrain où la lead produit des merveilles de mélodies.
Hexen arrive à proposer un produit varié tout en maintenant une ambiance cosmique et froide, notamment grâce à ces solos au son si particulier. Si l’ambiance globale est savoureuse, cet album offre aussi des perles qui se démarquent de l’ensemble, des hits en quelque sorte. "Defcon Rising" en fait clairement partie avec son riff d’une mélancolie et d’une beauté rare encore plus frappante lorsqu’il est reproduit, plus tard dans le morceau, à la guitare acoustique. Le groupe véhicule tout son pessimisme vis-à-vis de l’impérialisme et de la belligérance américaine en usant subtilement de plan très heavy rappelant les grandes heures de Marty Friedman. Car si l’ombre de Symbolic et du Death mid 90s en général plane sur l’album, l’influence du Megadeth de la période Friedman est criante particulièrement sur les duels de solos rappelant Rust In Peace. Et c’est dans l’esprit de Countdown To Exctinction que débarque le hit de l’album, "The Nescient". Peut-être mon morceau favori grâce à son riff groovy et efficace au possible ainsi que son refrain imparable. Les plans s’enchainent et font tous mouches, la lead est toujours aussi prenante (le solo à partir de 2min55, la classe incarnée) et le texte, particulièrement bien écrit, prend aux tripes.
L’écriture est d’ailleurs particulièrement réussie et c’est peut être les meilleurs textes de thrash depuis un bon moment qui nous arrivent aux oreilles par ce Being and Nothingness. Les anglophones auront peut être reconnu l’Etre et le Néant dans ce titre, une des œuvres majeurs de Sartre et dont le groupe revendique l’influence , ainsi que celle de la philosophie en général. "The Nescient" condamne par exemple la théologie et fait fi des systèmes déterministes (« Phantom to me is theology »), nous invitant à ne pas perdre notre temps à chercher à expliquer les noumènes, ce qu’on ne peut connaitre (We spend lives dwelling on the biggest questions, Unanswerable, it's time we waste). On croirait entendre Kant. Mais le groupe sait se montrer plus terre à terre avec "Grave New World" et sa réflexion sur les machines ou "Defcon Rising".
Hexen nous offre un pavé de 15 minutes pour clore son album. "Nocturne "est divisée en 8 parties toutes composées à des moments différents, facilement identifiables mais créant un tout parfaitement cohérent. Les influences classiques du groupes sont exposées au grand jour avec en guise d’introduction une reprise à la guitare du nocturne 55 de Chopin. C’est même sur une pointe de power metal que le morceau démarre réellement avec un clavier à 100 à l’heure cher au speed mélodique. La violence reprend cependant ses droits et Nocturne s’impose comme un des titres les plus intenses de l’album, jonglant entre lead death metal, rythmiques thrash et guitare acoustiques magnifiques auxquelles on a laissé un peu plus d’espace. Nous aurons même droit à des chœurs en growl à 11min20 conférant une dimension monstrueuse inédite au morceau. C’est un véritable festival que nous avons là et notre paire de gratteux s’en donne à cœur joie. Après un passage en guitare clean minimaliste, ils nous offrent un ultime solo (vers 13min20) d’une aisance remarquable, peut-être le plus beau de l’album voir de cette année 2012. Carlos Cruz, batteur également de Warbringer, en profite pour balancer ses dernières descentes de toms à la Ventor de Kreator. La rythmique est d’ailleurs en béton armé et capable de manier les différents tempos que requiert la musique de Hexen.
A l’écoute de "Nocturne", on voit toute l’énergie et les moyens (d’où ce changement de label surement) qu’Hexen a mis dans Being and Nothingness. La production à première vue froide et clinique sert le message sceptique délivré par la formation et met en valeur ses solos imparables, les meilleures qu’il m’ait été données d’entendre depuis des lustres, me faisant même oublier le récent (et excellent) travail de Sami Yli-Sirniö sur Phantom Antichrist. On pourrait reprocher un son parfois brouillon sur certains riffs et de façon plus globale, un riffing qui n’est parfois pas suffisamment tranchant et qui n’égale pas la maestria des solis. Mais ne faisons pas la fine bouche, Hexen nous a offert un travail abouti en tous points qui ne fait nullement tâche aux côtés des nouveaux albums des cadors. Il n’y a plus qu’à espérer qu’une tournée et une meilleure distribution permettent à Hexen de siéger au côté des Kreator, Testament et autres Overkill.
Eddy Elrich